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Darija - Arabe académique

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  • Darija - Arabe académique

    (NB: La mère prononce le qaf ق à la tlemcénienne: ء - أ)

    Aujourd’hui, en rentrant à la maison, ma petite sœur a piqué sa crise d’étalage de connaissances nouvellement acquises au collège, je soupçonne dans la cour plutôt qu’en classe. Elle a lancé, comme ça, avec une mimique qu’elle pensait digne d’un grand théâtre londonien : « To be or not to be, that is the question. »
    Tout s’est alors arrêté dans la maison. Ma mère a abandonné ce qu’elle était en train de faire. Les mouches ont suspendu leur vol. Même les gouttes d’eau qui tombaient du robinet qui fuyait ont cessé de rythmer la fuite du temps. Moi-même je suis resté figé alors que j’aurais bien voulu lui envoyer une cinglante riposte à cette petite morveuse dans une vaine tentative de la remettre à sa place mais elle s’est vite éclipsée sans me laisser le temps de trouver quoi dire.

    Et puis le monde est redevenu le monde et je vois ma mère qui fixe le vide, en pleine cogitation. Faut dire que ma mère fait partie d’une longue chaine matrilinéaire de femmes analphabètes et en principe soumises au mâle réputé pourvoyeur du gite et du couvert. Mais elle m’a avoué qu’elle avait juré, au temps où très rares étaient les filles qui avaient accès à l’instruction, qu’elle avait décidé d’être la dernière de la lignée. Ainsi, je me rappelle qu’elle avait changé les paroles d’une berceuse que chez nous on chantait pour les petites filles et qui disait en gros : « Ma fille deviendra grande, elle deviendra belle, elle sera bonne ménagère (chatra), elle épousera un homme qui la fera vivre dans une belle maison… » Voici ce que dit à peu près un « couplet » de la version que ma mère a improvisée pour rompre la chaîne dont elle voulait être le dernier maillon :
    را را را را رَ را
    را را بنتي را را
    أنا عشت ف الدنيا غريبة
    تكبر بنتي و توَلي طبيبة
    Les circonstances ont fait qu’elle n’a eu aucune difficulté à nous envoyer, ma sœur et moi, à l’école. Malgré son handicap, elle est arrivée à suivre pas à pas, à sa manière et avec ses moyens de bord, les progrès scolaires de sa fille, après avoir fait un difficile apprentissage avec moi.

    Et là, au moment de maintenant, je sens une petite inquiétude… Et voilà. Ce qui devait arriver, arriva. Ma mère me fixe un instant et me lance :
    أجي أنْتينا. آسَمْ هاديك مَخْوييْتك كانت اتّمْتَمْ تحت نيفْها

    والو آ مّا... غير واحَد نڤليزي واسْمو شكسيبر قراوْ عليه...

    أْراوْ عليه. لِيَهْ مسكين مات ؟

    أ لا يا مّا... يقراوْ على شي ألّي كتبو هاذ خييْنا... قراوْ بلِّي قال: نكون و لاّ ما نكونْش تما الحكاية.

    و بَصَّح بلّي هاذ لحْوايَج تأْراوْهم ف لْكوليج ؟... هذا فايًنْ فْهَمت بلّي يْعَمّْرو لْكُم راسكم غير ب الدْفيش. كيفاش بهاذ الهدرة الخاوْيَة واحد يخرج طبيب ، لاخر جَنْيور و هاذاك بوڤادو و زيد و زيد... كان يْأولها سيدي اللـه يرحمو و يوَسَّع عليه: ألّلي أْرا أْرا بكري... شوف يا وْليدي ، أولْ لَخْتك تمشي عند هاداك شيكس لكبير... هاداك نڤليزي و تْأول لو يأرُس روحو حتّى يَزْراءْ جَلدو. إيلا اتّأْرَح يَسَّمّا راه كايَن ويلا ما اتّأْرَحش يَسَّمَّا راه ينوم ولاّ راه ميَّتْ، إيوا ما عليه غير يستنا عزرايَن كي يبْدا يْكَمَّد لو ف عظامو بالهْراوَة، تمّا يشوف إيلا هُوَ كايَن ولاّ ما كاينش.

    ما شي هاكداك آ ما. داك لكلام تاع نڤليزي فيه حكمة...

    لا لا يا وْليدي. الحكمة غير عند الوَلْية ، اللـه ينفعنا ببراكتهم، و الطُلبة اللي آرْيين الستين، و خَطْرات عند الدراوش ولاّ عند باك كي يكون على خاطْرو

    شوف يا مَّا... الهدرة هاديك ماشي دْفيش. هاديك يْعَلْمونا بيها كيفاش نْخَدْمو نْواعَر مُخْنا باش انْخَمْمو بعيد. و باش نتعَلْمو نْسَقْسيوْ رْوَاحنا على الدنيا ألّي راحنا عايْشين فيها... هاديك، كيفاش نْقول لَكْ... تْفَلْسيف... كيف هاذاك ألّي قال: أنا نخمَّم يَسَّمّا أنا كايَن"

    Là, j’ai ouvert sans le vouloir un nouveau front. J’ai dû essayer de lui expliquer longuement, en bredouillant, cette phrase que moi-même je n’arrivais pas à bien, et même à mal, comprendre. Sa conclusion :
    صحّا، على حْساب ما فْهَمْت، هاذا صْحَيَّبنا هُوَ راه كايَن على خاطَر يْخمَّم...بصَحتو و يْدَوَّمها عليه نعمة... و كيفاش حكاية ألِّي ما يْخَمَّمْشِ؟ أول لي... ما راهش كايَن... هاذاك خايْ تالف الرايْ ، ألّي ما عمرو ما خمَّمْ ، على حسابْكُم ما راهْش كاين، خايْ والو، ناضا، زيرو... يَمّا أنا، حنّاك نْتينا، ما ولْدَتوش... كْلاتو ف كَرْشْها... بـتْفَلْسيف تاعكم حبّيتو ترزيوْني ف خايْ لَعزيز، مومو عيْنِيَا، ياكْ... إيوا غايا هذي...
    Et c’est ma mère l’analphabète qui me débite cette forte dose de sophisme. Ça me laisse coi.

    Elle reste un moment silencieuse, plongée dans une réflexion qui n’augure rien de bon. Puis :
    اسمع نْتينا... فايَن ريك غايَص... شوف أ وليدي، روح ، يْسَجِّيك ، أول لَخْتكْ تْجي تْحَفَّضْ لي واش آل داك نڤليزي... حابَّة كي نَمْشي للحَمَّام و لاّ كي نكون في وَسْط رْباعة نطْلَأْها لْهُم باش يعرفوني واش نَسْوا
    Là, c’est un uppercut sous l’oreille suivi d’un direct au plexus que je reçois.

    Durant mon KO, j’imagine alors ma mère avec une dizaine de matrones réunies autour d’une siniya de thé et plein d’assiettes de griweche, maqroute, ghribiya, samsa, ka3b-ghzal. Elles sont là en train de casser du sucre sur le dos d’autres matrones qui n’ont pas eu la bonne idée d’assister à cette tea-party… Profitant d’un court et rare instant de silence complet, alors que toutes les autres étaient occupées à mastiquer un morceau de gâteau, ma mère lance d’une voix forte :
    آسَم حبِّيتو يا لخواتات
    [hochements de tête des autres, le jingle a produit l’effet voulu],

    الواحد خاصّو يْخَدَّم عَأْلو إيلا ما حَبّْشْ حيَاتو تْروح باطل
    [hochements de tête plus appuyés et ouvertement approbateurs]

    لازم تسأْسيوْ راسْكمْ بْلا حيلة و لا نفاءْ: “تو بي أور نُط تو بي، ظات إيز ذو كويشتيون
    Les mâchoires oublient de continuer leur travail de mastication. Ma mère en profite pour ajouter :
    هذا كْلام تاع واحد الشيخ نڤليزي و لّي المعنى تاعو هي
    Ma mère soigne son effet théâtral par une courte pause et, imitant à la perfection l’emphase des invités des talk-shows des télés arabes, elle assène doctement :
    1أكون أو لا أكون، هذا هو السؤال

    Au sourire triomphal teinté de malice de ma mère répondent de fortes quintes de toux, et une dizaine de voix qui réclament de l’eau pour éviter l’étouffement…

    1 En arabe académique dans le discours
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

  • #2
    Une matrone tlémcenienne qui revisite Descartes sans façon et renvoie Shakespeare à ses pupitres : un must !

    Merci pour ce petit régal provincial...
    كلّ إناءٍ بما فيه يَنضَح

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    • #3
      Salut benam,

      Merci pour cette petite promenade down memory lane...

      (NB: La mère prononce le qaf ق à la tlemcénienne: ء - أ)
      Une petite minute de parler tlemçani:
      http://youtu.be/aJCfSZAvM80?t=29s
      ¬((P(A)1)¬A)

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      • #4
        Bonsoir Lombardia,
        En fait, j'ai voulu introduire avec des propos légers un sujet qui me semble très sérieux: celui du rapport entre les darija et l'arabe académique notamment quand il s'agit d'exprimer des idées "complexes".

        Salut Sidi Noun,
        On raconte que durant une séance d'expression orale dans une classe de première année à Tlemcen, l'instituteur demande à un élève :
        اسأل زميلتك (pose la question à ta camarade)

        et l'enfant se tourne vers sa camarade et lui administre une belle gifle.

        L'instituteur avait oublié cette histoire de hamza (prononcer le qaf , ء - أ: a). Gifler se dit en darija: sqal = اسقل...

        Je ne peux pas visionner ta vidéo: ma connexion pédale dans la semoule.
        "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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        • #5
          ...pour la maman bien sur

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          • #6
            Bonsoir Lombardia,
            En fait, j'ai voulu introduire avec des propos légers un sujet qui me semble très sérieux: celui du rapport entre les darija et l'arabe académique notamment quand il s'agit d'exprimer des idées "complexes".
            Salut benam,

            C'est effectivement un sujet sérieux, mais tellement vaste et compliqué qu'il dépasse largement, me semble-t-il, le cadre de ce forum.

            Ce que je peux en dire, comme ça à chaud, c'est que l'arabe académique dispose de plusieurs longueurs d'avance en la matière sur les différents dialectes, ne serait-ce que parce qu'il est standardisé et dispose justement d'académies dont l'une des missions est de recenser les ressources liguistiques et forger continuellement de nouveaux vocables.

            Ce qui ne veut pas dire que la darija n'est pas en mesure de véhiculer des concepts compliqués, mais le coût en termes de mobilisation terminologique est nettement plus élevé qu'avec l'arabe académique que ça en devient presque ridicule, en tout cas pas raisonnable. Du moins, dans l'état actuel des choses...

            Qui sait comment les choses vont évoluer dans l'avenir ? Peut-être que les dialectes maghrébins vont finir par se rapprocher, se standardiser et s'autonomiser par rapport à l'arabe standard actuel ? Quelle politique linguistique finira par s'imposer dans cette région du monde, à un moment où des dizaines de langues et de dialectes sont en train de disparaître à une allure vertigineuse ?
            كلّ إناءٍ بما فيه يَنضَح

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            • #7
              excellent
              La Réalité est la Perception, la Perception est Subjective

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              • #8
                Salut Lombardia,
                A mon avis, il n'y a pas concurrence ou antagonisme entre les darija et l'arabe académique. Il y a plutôt complémentarité.
                Si l’on adopte la stratégie de promotion de l'arabe académique au détriment des darija (comme cela a été nettement le cas en Algérie) ou bien l'inverse, on ne fera que précipiter la décadence de l'ensemble au plan national.

                Ce qui compte, à mon avis, c'est le renforcement des vecteurs de cette complémentarité :
                • créations cinématographiques, théâtrales et télévisuelles de qualité en darija (et non pas cette langue insipide sortie je ne sais d'où et qu'affectionne l'ENTV dans ses mousalsalate dramiya pleurnichardes et dans la plupart de ses sketches-chorba).
                • chansons, qcidates et poèmes dans la continuité, tout en les modernisant, des poésies et chants traditionnels
                • langues de la télé, des radios et des discours
                • productions littéraires

                A ma connaissance, il y a de plus de plus d’initiatives qui vont dans ce sens.
                Dernière modification par benam, 20 octobre 2014, 10h15. Motif: Edit... Formulations
                "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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                • #9
                  1أكون أو لا أكون، هذا هو السؤال

                  Au sourire triomphal teinté de malice de ma mère répondent de fortes quintes de toux, et une dizaine de voix qui réclament de l’eau pour éviter l’étouffement…

                  1 En arabe académique dans le discours
                  Echec et mat ? Plus de place à l'amour de Sophia ?

                  Les 3 points de l'espoir. Oui, "Mazel kayen l'espoir"... et puis "mazal nebghik ya bent ennas (Sophia).

                  Merci benam.
                  "Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien."
                  Socrate.

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                  • #10
                    Bonjour ami Benam

                    Je suis chez nous Bonne fête de l'aïd aussi c'est un peu tard !

                    Commentaire


                    • #11
                      Bonjour à tous,

                      Je sais, vous êtes les protecteurs de la darija, mais je vous dirai quand même ce que j'en pense.
                      Pour moi, c'est de la polution, c'est ce qui fait que l'Algérien communique mal, ce qui fait que nos ministres bégayent au lieu de faire des discours.
                      C'est la darija qui nous empêchera toujours de parler convenablement une langue.
                      ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément

                      Commentaire


                      • #12
                        @sammy,
                        Envoyé par sammy
                        ...pour la maman bien sur
                        La maman vient de me demander de te dire merci. Elle n'a pas pu le faire elle-même, elle assiste à un colloque sur les nouvelles tendances de l'art du tmanchir.

                        _
                        "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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                        • #13
                          Salut Risk Merci !
                          "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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                          • #14
                            Bonsoir elfamilia,
                            Envoyé par elfamilia
                            mazal nebghik ya bent ennas
                            Abdelhadi Belkhayate est plus terre à terre: "ya bent ennas ana faqir we drahem youmi ma3douda".
                            "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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                            • #15
                              Hi Aloha ! Comment vas-tu?
                              Bienvenue au bled.
                              Aïdek mabrouk (dans quelques jours ce sera le nouvel an hégirien)
                              "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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