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Quelle éducation face au radicalisme religieux ?

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  • Quelle éducation face au radicalisme religieux ?

    Quelle éducation face au radicalisme religieux ?
    mardi 12 décembre 2006.



    Face à un jeune qui mobilise du religieux pour « s’auto-exclure » ou « exclure les autres », comment les interlocuteurs du jeune peuvent-ils aborder la situation ? Comment faire du lien avec lui malgré l’écran religieux ? Quel type de prise en charge éducative peut être envisagée pour désamorcer un processus de radicalité ? Pourquoi et comment le discours radical fait autorité sur ce jeune ?

    Cet article tente de discerner ce qui appartient à la liberté de conscience et de culte du jeune en question - garantie par la loi de 1905 - de ce qui relève du dysfonctionnement, et d’en comprendre les fonctionnements.

    Cette recherche-action s’est déroulée sur trois ans sous la direction de Dounia Bouzar, anthropologue chargée d’études à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, rassemblant une fois par mois des groupes de travail interdisciplinaires issus de trois départements différents (93, 91 et 59), composé de professionnels de la jeunesse appartenant à des institutions différentes (PJJ, Education Nationale, Conseil Général, Jeunesse et Sport, Secteur associatif), exerçant des fonctions différentes (éducateurs, assistants sociaux, psychologues, psychothérapeutes, psychanalystes, conseillers prioritaires d’éducation, proviseurs, directeurs, etc.)

    Différents chercheurs - anthropologue, sociologue, politologue, historien -, ont été invité à chaque étape de la réflexion, pour répondre aux interrogations des membres des groupes qui se formulaient successivement. Toutes ces interventions ont donné lieu à des débats. Chaque groupe a également parlé de situations de jeunes qui les ont interpellés dans le cadre de leurs expériences professionnelles. La recherche s’est élaborée suite à une succession de remises en causes et de réajustements de questionnements. La praxis et la dialectique ont constitué le cœur même de ce travail.

    L’intention des professionnels engagés dans cette recherche-action a été à la fois humble et ambitieuse : proposer des bases et des éléments de débat sur un sujet délicat, plus souvent traité sur le mode de la passion que de la pensée réflexive. Il est important de souligner que ce travail ne reflète pas les positions institutionnelles des différents organismes auxquels appartiennent les professionnels. Il s’agit plutôt, pour chacun d’eux, de témoigner d’une pratique professionnelle réflexive et évolutive, au sein de leurs institutions respectives.

    L’objet de cette étude a consisté à comprendre le comportement des jeunes en rupture qui évoquent leur relation à l’islam pour s’auto-exclure ou exclure les autres. C’est donc la nature du lien qu’ils entretiennent avec leur religion qui est interrogée et non pas l’appartenance confessionnelle en elle-même, ce qui pose la problématique dans son aspect éducatif et non pas sur le plan religieux, évitant dans le même mouvement de réduire le jeune à son comportement ou à sa présumée appartenance religieuse. Le lien à l’islam est principalement évoqué car c’est la religion qui, dans le contexte actuel, est le plus évoqué par la majorité des jeunes en rupture, quelle que soit leur origine.

    Plutôt que de parler du contenu de l’islam, il s’agit donc de comprendre la nature du lien à la religion lorsqu’elle entrave le processus de socialisation d’un jeune. Nous parlons de radicalité lorsque le jeune se retrouve enfermé dans un système de valeurs qui le fragilise et qui l’amène à se positionner en rupture avec l’environnement social et familial. Toutes les références autres qu’une conception rigoriste de l’islam lui sont progressivement enlevées et il se retrouve dans un univers isolé.

    L’indicateur de radicalité réside pour nous non pas dans le contenu du discours mais dans l’effet du discours : il est qualifié de radical lorsqu’il a produit une rupture du jeune avec son univers familial, professionnel et social. Soulignons enfin que la radicalité peut constituer dans l’histoire du jeune une simple expérience, une crise, ou un fonctionnement plus stabilisé, selon les cas. La proportion qui s’engage dans les « groupes djihadistes » apparaît très faible au regard des témoignages des professionnels de la jeunesse de cette étude.

    Dans un premier temps, nous nous proposons de présenter quelques caractéristiques du fonctionnement des discours radicaux afin de comprendre comment ils font autorité sur certains jeunes. Dans un deuxième temps, nous proposerons des pistes de réflexions sur les postures professionnelles face à ce phénomène ; quel type de prise en charge éducative peut être envisagée pour désamorcer un processus de radicalité ? Face à un jeune qui mobilise du religieux pour « s’enfermer dans une bulle », comment les interlocuteurs du jeune peuvent-ils aborder la situation ? Comment faire du lien avec lui malgré l’écran religieux ? Nous réfléchirons enfin sur le type de formation initiale et continue à mettre en place.

    Repérer les indicateurs sur lesquels se baser pour faire la part des choses entre ce qui appartient à la liberté de conscience et de culte du jeune en question - garantie par la loi de 1905 - et ce qui relève du dysfonctionnement, traverse l’ensemble de la réflexion.
    I - L’AUTORITE DES DISCOURS RADICAUX

    Comment et pourquoi le discours radical fait-il autorité sur les jeunes ? Tous les acteurs de cette recherche-action constatent que, sur leurs terrains respectifs, des jeunes de plus en plus nombreux sont touchés. Pendant longtemps, les experts ont lié le radicalisme à la perte d’espoir social. D’autres l’expliquaient par la chute des grandes idéologies de combat (communisme, syndicalisme, etc.) Les derniers évènements internationaux ont montré que certains jeunes terroristes étaient ingénieurs, complètement insérés économiquement dans le milieu social où ils évoluaient. La question de la perte d’espoir social n’explique pas tout.

    Après avoir résumé les principales caractéristiques du fonctionnement des discours radicaux, nous nous arrêterons sur le rapport entre ces derniers et l’histoire.

    I.1 Quelques caractéristiques du fonctionnement des discours radicaux

    Un discours fait autorité sur un individu lorsqu’il donne du sens à sa vie. Essayons de comprendre comment opère ce type de discours.

    La proposition d’une communauté virtuelle reconstruite avec des frontières virtuelles dans un espace virtuel de substitution attire ceux qui n’ont pas de lien à un territoire

    Le discours radical fabrique des frontières strictes pour séparer les uns des autres par l’intermédiaire de la religion. Son objectif consiste avant tout à construire des cloisons étanches entre les uns et les autres, d’autant plus rigides qu’elles sont dépourvues de tout territoire concret. Pour cela, il réduit l’islam à un ensemble de codes et de normes, qui isolent ceux qui sont dedans de ceux qui sont dehors. El Qaida n’admet pas les lieux d’échange et de mélange. De nombreuses attaques ont été portées contre des vecteurs réels ou symboliques de ce qui rapproche les peuples et leurs activités : tourisme, transports, distraction, économie, diplomatie, etc.

    Les échanges des professionnels montrent que ce discours fait autorité sur les jeunes parce qu’il donne de la valeur à ce qu’ils sont déjà : sans attaches, ne sachant ni d’où ils viennent ni où ils veulent aller. Les signes négatifs deviennent soudain des signes positifs. Au lieu de leur dire qu’ils doivent s’enraciner, on leur dit qu’ils vont pouvoir être des héros de la révolution mondiale. Ce type de discours fabrique une communauté virtuelle de substitution dans un espace virtuel de substitution : le lien à l’islam devient une nouvelle « appartenance généalogique » qui remplace le lien au territoire du pays d’origine. Les jeunes se disent musulmans avant d’être fils d’Algériens ou de Marocains.

    Olivier Roy fait remarquer qu’ils sont « hors territoire », dans un autre espace qui va de New-York à Kula Lumpur, un espace qu’on vit à travers Internet, un espace de réseaux. » Marc Sageman arrive également à cette conclusion avec les biographies des jeunes liés à El Qaïda, puisqu’il ne trouve que des hommes sans attaches nationales, déterritorialisés. Ils se vivent comme des globalisés, des mondialisés, mais ne se sentent partie intégrante d’aucune culture et d’aucun espace politique national. Leurs revendications ne sont d’ailleurs jamais motivées par une stratégie politique de conquête d’un Etat.

    Les professionnels de la jeunesse confirment qu’un jeune vivant en France qui se sent Arabe, Marseillais, Français, Kabyle, Roubaisien, Algérien, Bambara, etc., n’adhère pas au discours radical. Un point commun des jeunes sensibles au discours radical concerne leur rapport au territoire : ils ne sont attachés à aucun territoire, ni celui de leurs ancêtres, ni celui où ils vivent. L’échantillon à risque est constitué de jeunes qui se sentent « de nulle part ».

    L’idéologie de rupture repose sur l’exaltation du groupe

    Tous ceux qui deviennent radicaux passent par le groupe, ou par de petits groupes fusionnels. L’un des grands débats dans les groupuscules extrémistes concerne la foi. Comment affirmer sa foi ? Ceux qui sont vraiment dans l’évidence religieuse ne font pas de discours à ce sujet ! Olivier Roy retrouve ce fonctionnement également chez les évangélistes : on parle de sa foi avec les autres, pour se fortifier réciproquement, et donc pour renforcer le lien du groupe, l’appartenance au groupe. Les prédicateurs radicaux prouvent aux jeunes que leur colère est justifiée et les renforcent dans l’idée que tout le système prévoit de les exclure parce qu’ils sont « d’origine musulmane ». Ils transmettent une idée de la religion sublimée qui les fait rêver. L’image qu’ils donnent d’elle est tellement inaccessible que la seule possibilité est de ressembler à celui ou à celle qui est en train de leur en parler. Ce qui compte, c’est de se ressembler. Ils ont besoin de s’identifier mutuellement dans cette conception du monde.

    Les psychologues qualifient ce phénomène de risque majeur de l’état groupal. Dans ce cas, l’individu est aliéné au groupe et perd ses propres contours identitaires, parce qu’il a le sentiment d’être « le même » que les autres et de percevoir exactement les mêmes émotions. L’identité du groupe remplace l’identité de l’individu.
    Dernière modification par nacer-eddine06, 14 décembre 2006, 02h15.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
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    Le discours radical fait autorité parce qu’il rend les jeunes « tout-puissants »

    L’imam et l’aumônier membres de la recherche-action ont évoqué tour à tour les difficultés qu’ils rencontrent face à des jeunes qui inversent la question de l’autorité : ces derniers ne se soumettent pas à une norme religieuse - comme c’est traditionnellement le cas pour les pratiquants musulmans ou d’autres religions - mais s’approprient l’autorité de la religion pour s’ériger eux-mêmes en autorités au-dessus de tous les autres hommes. Sous prétexte que seul, le Coran fait autorité, certains jeunes déclarent que l’imam et le savant ne commandent pas. Ils revendiquent donc le droit de parler « au Nom de Dieu », puisqu’il n’y a personne au-dessus d’eux à part Dieu. Alors que la « peur du jugement dernier » pousse habituellement les croyants à avoir une bonne conduite sur terre, ces jeunes passent par Dieu pour contourner leur réalité et la loi des hommes. Ils utilisent la force du rapport à Dieu pour établir un rapport de domination entre les individus.

    Ces démonstrations religieuses ressemblent à des « éclatements du moi » : « c’est moi qui existe, c’est moi qui décide, c’est moi qui donne la norme... » De nombreux éducateurs se sont surpris à parler de « jeunes radicaux » de la même façon qu’ils auraient évoqués des « jeunes toxicomanes » : pas d’intégration de la loi, recherche du plaisir immédiat - de l’extase -, absence fréquente de figure paternelle structurante, manque de repère de temps et de lieu, etc. Les psychologues ont noté que ces jeunes font souvent appel à Dieu comme à un père symbolique qui fait loi ou qui doit faire loi.

    Au niveau de l’organisation, on retrouve également des schémas comportementaux similaires aux anciennes bandes de délinquants ou de trafiquants de stupéfiants, à cette différence que les caïds surenchérissent sur les rituels et les démonstrations de foi pour s’imposer en chefs...

    I.2 - Le rapport des discours radicaux avec la mémoire et l’histoire

    La possibilité qu’un groupe humain se reconnaisse comme partie d’une lignée dépend, au moins pour une part, des références au passé et des souvenirs qu’il a conscience de partager avec d’autres, et qu’il se sent responsable de transmettre à son tour. Danièle Hervieu-Léger a montré comment l’un des traits majeurs des sociétés modernes est précisément de ne plus fonctionner comme une « société de mémoire », tout entière ordonnée à la reproduction d’un héritage.

    Dans les sociétés traditionnelles dont l’univers symbolico-religieux est tout entier structuré par un mythe d’origine, rendant compte à la fois de l’origine du monde et de l’origine du groupe, la mémoire collective est donnée : elle est entièrement contenue, de fait, dans les structures, l’organisation, le langage, les pratiques quotidiennes de sociétés régies par la tradition. Dans les sociétés modernes très complexes où plus rien n’est fixe, « la production d’un sens collectif et la confirmation sociale des significations individuelles deviennent affaire de communautés volontaires ».

    La transmission et la recomposition de la mémoire des jeunes issus de l’immigration maghrébine est sujet à de nombreuses difficultés car ces derniers se retrouvent au croisement d’imaginaires collectifs hérités de plusieurs histoires : leur histoire individuelle s’inscrit dans l’histoire collective à travers l’histoire de France et l’histoire du pays d’origine de leurs parents, dont les relations mutuelles ne sont pas encore entièrement apaisées. De nombreux sociologues ont montré combien cette « première génération de Français de confession musulmane » - ces « enfants illégitimes » , ont finalement grandi dans ce que l’on peut nommer des « trous de mémoire ».

    1.3.1 Des trous de mémoire creusés par tous les interlocuteurs des jeunes

    Primo Levi a dit : « Qui n’a pas de mémoire n’a pas d’avenir ». Les psychologues connaissent le rôle fondateur de la mémoire dans les quêtes d’identité et de dignité. Les situations les plus difficiles sont celles où les liens sont rompus avec le passé et les allégeances premières, avec l’histoire et la mémoire individuelle et collective. L’absence de récit historique collectif ramène chaque individu à la confusion entre histoire et mémoire : la mémoire fonctionne comme un filtre, reconstruisant l’histoire à partir de sentiments qui, eux-mêmes, sont intrinsèquement liés au vécu actuel. Progressivement, des groupes de mémoire tombent dans une espère ce concurrence quant à leur statut de victimes et s’en servent pour revendiquer tel ou tel droit.

    Ce sont toujours des groupes qui déterminent ce qui est mémorable et la manière dont cela le sera. Les jeunes sont au croisement des discours des parents, des enseignants, des médias et des religieux.

    Les pères

    Cette génération possède en commun des pères qui ont pris un jour la décision d’immigrer sur la terre de l’ancien colonisateur, dans la quête d’une amélioration de leurs conditions de vie. La perte de dignité entraînée par le chômage - qui touche de plein fouet les secteurs dans lesquels ils travaillent- a des retentissements sur le fonctionnement de chacun de ses membres. La déchéance - que l’on retrouve chez tous les hommes inactifs - est décuplée par l’histoire migratoire. Car le sens de l’émigration, pour ceux qui ont pris un jour la décision de quitter leur pays, repose sur l’économique : on part dans l’espoir d’une vie meilleure. Et la place du père au sein de la famille, son rôle, sa légitimité ainsi que celle de la place de la famille en France dans l’inconscient du père, repose sur sa qualité de travailleur. Perdre son emploi n’entraîne pas uniquement une perte de revenus mais la remise en cause du sens de l’histoire de la famille.

    Bien que l’installation en France soit devenue définitive, de nombreux sociologues ont mis en évidence comment elle est souvent redevenue provisoire pour ces hommes : la nostalgie les a préservés d’affronter la réalité et leur a permis de compenser la culpabilité de cet échec. Ce qui nous paraît important de souligner, c’est que dans ce contexte, le père déchu a du mal à mettre en mots son parcours migratoire : l’histoire de la famille devient une sorte de tabou qui ne se parle pas.

    Les discours politiques

    Le silence parental est renforcé par la cécité de la société française à travailler sur son passé avec les pays anciennement colonisés. Prendre en compte officiellement la période coloniale, la guerre d’Algérie, et le sacrifice des grands-parents pendant la deuxième guerre mondiale ne serait pas qu’une question de justice, pour que la France reconnaisse sa dette, mais bien une question symbolique fondamentale de mémoire commune.

    Reconnaître dans les livres d’histoire de l’enseignement public et dans les cérémonies officielles que les ancêtres de ces jeunes appartenaient déjà à l’histoire de France aiderait à la construction d’une histoire partagée, pour eux à qui on demande tous les jours de prouver leur francité.

    Les questions de l’identité et de la mémoire sont intimement liées. La mémoire est utilisée pour maintenir l’identité nationale. Dans de nombreuses déclarations politiques, les termes « mémoire » et « identité » renvoient l’un à l’autre.

    Ainsi, Lionel Jospin alors 1er Ministre, rappelle que « l’identité d’un peuple se forge de souvenirs qu’il assume, qu’il entretient ou qu’il perd, voire qu’il refoule ». L’historien Pierre Nora considère que la France est une spécialiste de la « surdétermination mémorielle » , survalorisant certaines pages de son histoire pour en occulter d’autres. Comme le soulignent aussi d’autres chercheurs, aussi divers que Pierre Birnbaum ou Suzanne Citron , la France s’est toujours construite dans un idéal d’unité qui ressemble à un mythe. La nation a dû, pour se substituer au roi et à Dieu, acquérir un pouvoir absolu en devenant « une et indivisible ». Elle a recomposé l’espace par le découpage en départements et a même tenté (de manière éphémère) de recomposer le temps par l’instauration d’un calendrier. Longtemps, les livres d’histoire ont mis en avant une commune provenance gauloise pour instaurer une sorte d’unité d’origine.

    La France s’est aussi définie par sa supériorité à l’égard des colonisés : « les races supérieures ont un droit parce qu’elles ont un devoir : civiliser les races inférieures. », déclarait Jules Ferry en 1885 à la Chambre des députés. C’est cette version de l’histoire, c’est l’affirmation de l’unité de la nation française, de la supériorité de sa langue et de sa culture qui a permis de justifier l’entreprise coloniale : il fallait « aider » les « indigènes » à se civiliser. Ces derniers ont ainsi été relégués au rang d’objets, incapables de devenir des sujets de l’Histoire. Le passé des peuples colonisés a été occulté, tandis qu’on refoulait aussi la diversité des cultures régionales. Le processus « d’intégration » a concerné les Juifs, les Italiens, les paysans du Languedoc, les Corses et même les ouvriers parisiens ...
    Dernière modification par nacer-eddine06, 14 décembre 2006, 02h22.
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    • #3
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      Les discours médiatiques

      D’une part, la production historique des sociétés arabo-musulmanes n’est guère valorisée dans les émissions télévisées de grand public. La part d’héritage que l’Europe a reçue du monde arabo-musulman en matière scientifique et philosophique (traduction de l’héritage scientifique grec) est bien souvent méconnue.

      D’autre part, dans les débats publics, l’islam est présenté comme un cas à part qui se distinguerait précisément par le fait que religion et politique y seraient indissociables. Contrairement au christianisme qui recommande de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », nombreux islamologues et islamistes énoncent d’une même voix, reprise en écho par les médias, qu’il n’existe aucune distinction entre l’instance spirituelle et l’ordre temporel en islam.

      Cette façon de prétendre que le christianisme, à l’inverse de l’islam, est intrinsèquement laïc évacue toute la dimension historique des déclinaisons des deux religions. Car il est évident que tout message religieux évolue en fonction des circonstances historiques. Quelle que soit le contenu de leur religion, les croyants interprètent leur texte en fonction de la mentalité de l’époque où ils vivent. C’est justement la laïcité qui a obligé les chrétiens à redéfinir leur manière de croire et d’exister, ainsi libérés de la tutelle des religions historiques . De nombreux auteurs ont démontré comment le désenchantement du monde ne signifie pas la fin de la religion mais le déclin des institutions et des formes religieuses traditionnelles.

      Il faut rappeler le long débat des catholiques sur les modalités à construire pour vivre dans un espace laïc. L’invitation du Pape Léon XIII au « ralliement » à la République, invitant les croyants à renoncer à une « cité catholique » et à ne plus vivre « dans le rêve d’une théocratie » date de 1892.

      L’école

      L’Éducation nationale a pris conscience du manque de transmission des divers patrimoines historiques dans son programme, puisque en décembre 2001 Jack Lang, alors ministre, a commandé à Régis Debray un rapport sur « L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque » . Ce rapport propose de réinjecter des références liées aux histoires des religions dans un certain nombre de matières (philosophie, mathématiques, histoire, géographie, matières artistiques, etc.) plutôt que de fabriquer une matière supplémentaire en tant que telle au programme. Les raisons énumérées concernent « la menace de déshérence patrimoniale », en ce sens qu’ « un certain nombre de faits, de lieux, d’œuvres deviennent illisibles » aux élèves. Le rapport propose de rechercher à travers « l’universalité du sacré à refonder une communauté de citoyens ».

      1.3.2 Le discours radical donne l’illusion aux jeunes de s’inscrire dans une filiation sacrée

      Les discours radicaux tentent d’effacer toutes les histoires en se ressourçant directement au temps de la révélation, comme si, depuis, rien n’avait existé, pour démontrer que l’islam contient « par essence » un certain nombre de valeurs universelles et qu’aucune civilisation n’a rien inventé de plus. Ils font la promotion d’une vision utopique de l’histoire : « Un passé revisité et magnifié en âge d’or nourrit la représentation d’un futur qu’on annonce différent d’un présent radicalement rejeté . »

      L’opération est double : ce type de discours convainc le jeune que la seule façon d’être fidèle à sa mémoire consiste à raisonner comme ses pieux ancêtres et dans le même mouvement, réduit le passé au temps de la révélation, ce qui permet à la fois de le sacraliser et d’occulter la dimension historique de chaque société dans laquelle il vit.

      Il nous semble que la relation à l’histoire des discours religieux n’est pas toujours la même. De manière un peu caricaturale, on peut dire que les discours « de type islamiste » « islamisent l’histoire » comme si cette dernière était un produit de l’islam, alors que les discours « de type fondamentaliste » arrêtent l’histoire, pendant que les discours « à la Ben Laden » nient toute histoire.

      Le discours islamiste islamise l’histoire

      Pour les islamistes, l’islam n’est pas seulement une religion mais un système social. Lorsqu’ils défendent des valeurs modernes, ils refusent néanmoins de les considérer comme un fruit de l’histoire, d’une expérience. Ils veulent persuader les jeunes que les valeurs précèdent les histoires humaines, que l’islam les contient déjà avant toute histoire. Certains vont parler de « féminisme musulman », d’autres « d’écologie musulmane ». Il y a ici un refus de reconnaître une réalité qui ne s’inscrit pas dans l’ordre de l’univers de la Vérité divine absolue. Le réel doit correspondre au texte sacré, comme s’il en était un décalque. En fait, ce discours restaure la religion en lui conférant un contenu qui concurrence l’organisation sociétale : les sociétés n’ont rien produit, tout était marqué dans le Coran, les autres musulmans sont en retard parce qu’ils n’ont pas su appliquer leur religion ; en vérité, l’islam détient les solutions détaillées à chaque problème.

      C’est ainsi que, pour s’adapter à la modernité, les islamistes islamisent les diverses productions historiques et sociales.

      Le discours fondamentaliste arrête l’histoire

      Quant aux discours des fondamentalistes (nommés salafistes) ou des tablighs, même si leurs processus de prosélytisme sont différents, s’inscrivent tous les deux dans une histoire dont ils ont arrêté l’horloge. Alors que les islamistes islamisent l’histoire, les fondamentalistes s’enferment dans le passé. Leur seule façon de rester fidèles au message musulman consiste à raisonner comme les pieux ancêtres. Les questions d’aujourd’hui ne sont pas abordées directement : on cherche un cas similaire dans le passé. Au lieu de se référer au Prophète, on s’identifie à lui. On raisonne par analogie. Qu’est-ce que le Prophète aurait pensé de cette question ? Est-ce qu’il aurait bu dans ce verre ? Aurait-il mis cet habit ? Pas besoin de comprendre, pas besoin de réfléchir, pas besoin des autres, la répétition donne l’impression de rester soi. On fait revivre le passé au présent.

      Au lieu d’interpréter le sens de l’univers grâce à son histoire, on tente de répéter le passé. On enjambe la chronologie pour entrer dans un temps sacré. On rejoue l’époque de ce que l’on considère comme « la création du monde » pour survivre au présent. Il se crée ainsi une sorte de relation pathogène au passé, qui devient une force incontournable.
      Ce discours n’est pas forcément dangereux pour la société mais l’est sans aucun doute pour le jeune puisqu’il lui enlève toute possibilité de rester Sujet, en lui inculquant que la solution se trouve dans le comportement de ses ancêtres et non pas dans sa propre compréhension de sa religion.

      Le discours « à la Ben Laden » nie toute histoire

      Nous distinguons ce que nous nommons « le discours à la Ben Laden » du discours fondamentaliste classique, car ce dernier n’appelle pas forcément à la lutte armée et peut se contenter de séparer les musulmans des autres humains. Le discours « à la Ben Laden », en revanche, appelle clairement au combat. Mais nous le distinguons aussi d’autres types de discours appelant au combat au sein des pays musulmans, car ces types de terrorisme contiennent des revendications politiques vis-à-vis de leur gouvernement. Le discours « à la Ben Laden » se caractérise par le fait qu’il s’adresse « au monde occidental » en général, sans émettre de réelles revendications auprès d’interlocuteurs repérés.

      Sa menace est d’autant plus dangereuse qu’elle est diffuse. Il est intéressant de constater que dans ce type de discours, aucune histoire n’est racontée, aucune culture n’est imaginée, pour « faire lien » entre les terroristes. Au contraire, la tradition est l’ennemie à combattre car elle est accusée d’avoir éloigné les musulmans de la « Vérité ». Ces mouvements critiquent avant tout les cultures musulmanes traditionnelles.

      C’est l’apologie de la déculturation dans l’objectif de rassembler autour d’une « pure » religion, indépendamment de toutes ses variations et influences culturelles. Il faut insister sur le fait que ce discours est une production moderne qui tente de détruire les cultures - qu ‘elles que soient leurs origines - et de souder ses adeptes autour de ce que l’on pourrait appeler « l’extase islamique »... Il ne s’agit pas d’inventer une nouvelle culture en continuité de celle des parents, mais de construire des frontières de séparation entre eux et « tous les autres ». La force de ce discours se construit davantage sous forme de rupture que sous forme de continuation d’un héritage.
      II LES PRATIQUES PROFESSIONELLES

      Comment traiter le processus de radicalisation d’un jeune avant qu’il ne soit plus possible de communiquer avec lui ? Telle est la question des professionnels de la jeunesse. Le danger est de laisser un jeune s’enfermer dans cet univers qui exclue toute possibilité d’échange avec les autres. C’est ce processus qu’il convient d’arrêter et non pas uniquement les transgressions qu’il engendre.
      Dernière modification par nacer-eddine06, 14 décembre 2006, 02h31.
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      • #4
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        II.1 - Quels types de formations professionnelles ?

        Essayant de faire la part des choses entre les affaires internationales et les familles musulmanes dont ils s’occupent, cette utilisation du religieux interroge et inquiète les professionnels en première ligne sur le terrain, d’autant plus qu’ils manquent d’éléments pour identifier les acteurs et évaluer ce qui sous-tend leurs discours .

        II.1.1 - Une formation nécessaire

        S’ouvrir à la problématique du fait religieux apparaît dans le contexte actuel indispensable pour remplir les missions éducatives auprès de la jeunesse à plusieurs niveaux.

        La protection des jeunes vis-à-vis de mouvements radicaux qui, sans être forcément tous dangereux pour la société, le sont pour les jeunes qu’ils enferment dans des dogmes, les coupant ainsi de la réalité. L’islam n’est pas un concept uni et monolithique, il est à la base d’une quantité de mouvements différents donnant lieu à des idéologies diverses. Il s’agit donc de donner aux professionnels les moyens de pouvoir identifier les acteurs individuels et associatifs en contact avec les jeunes et d’éviter les divers amalgames.

        La protection des jeunes vis-à-vis des discriminations : dans un contexte de crispations respectives accentuées par le contexte international et le traumatisme du 11 septembre 2001, une représentation figée d’un « islam par essence archaïque et dangereux » peut cultiver une hostilité vis-à-vis de toute manifestation religieuse. Or la suspicion constante d’intégrisme peut mener des jeunes à intégrer le stigmate et à le revendiquer en tant que valeur constitutive, passant du « délinquant présumé » à « l’intégriste présumé ».

        Par ailleurs, la non-reconnaissance de leur appartenance religieuse peut également les conduire à la surenchère. Il s’agit alors de permettre aux professionnels de l’éducatif d’acquérir assez de repères pour être en capacité d’affiner leur diagnostic sur les relations qu’entretiennent les jeunes avec le religieux et de les accompagner dans leur travail de structuration d’identité qui ne se décline plus selon un modèle unique.

        La réinsertion des jeunes : un certain nombre de jeunes prennent conscience que chacun des protagonistes parents-institutions a une représentation arrêtée de l’autre. Les enfants font alliance avec chaque système de représentation à tour de rôle, qu’ils alimentent d’images toutes faites, pour échapper ainsi aux injonctions des deux parties, se créant un espace à part. Les débats publics qui tournent autour d’une idée de choix entre l’islam, assimilé à l’archaïsme, et l’Occident, facteur de liberté et de progrès, renforcent ce processus. Il s’agit donc de permettre aux professionnels de sortir de la représentation bipolaire en identifiant les différents paramètres qui sont à l’origine de la radicalité.
        II.1.2 - Quelle posture professionnelle face à un comportement radical ?

        Les regards croisés interdisciplinaires et interinstitutionnels qui ont analysé les situations rencontrées sur leurs terrains respectifs sont riches d’enseignements. Leur apport fondamental consiste à nous montrer combien il est important de contourner « l’écran religieux » mis en place par le jeune. Appréhender le comportement de ce dernier comme le simple résultat d’une religion enfermerait le diagnostic dans le registre théologique et nous empêcherait d’y prendre place. Les professionnels laïques, garants de la neutralité républicaine, quelles que soient leurs propres convictions, ne peuvent devenir « juges de consciences ». Leur mission professionnelle consiste à faire « prendre conscience » au jeune, par lui-même, pour qu’il fasse des choix. Là est toute la différence.

        Autrement dit, si le jeune utilise le religieux comme « écran », la meilleure façon de contourner cet obstacle consiste à le considérer comme un simple symptôme, afin d’atteindre l’individu qui est derrière. Pour l’aider à sortir du discours sectaire qui fait autorité sur lui, les membres de cette recherche-action insistent pour que le professionnel trouve un moyen de remettre le garçon ou la fille dans une position de sujet. Le déstabiliser dans ses certitudes, introduire une faille dans la vision du monde dans lequel il est enfermé...

        Quelle que soit la méthode utilisée par le professionnel, l’objectif visé est d’introduire la subjectivité afin que chaque jeune se mette à penser par lui-même, préalable à toute perspective d’autonomie.

        Cette posture, qui refuse de considérer le comportement du jeune comme « le produit de sa religion » présente deux avantages majeurs.

        ? Premièrement, elle permet de s’étonner du comportement d’un jeune. Par exemple, un refus de communication avec les femmes n’est plus appréhendé comme « l’application de l’islam » mais le renvoie à ses choix. C’est lui qui choisit de devenir ce type de musulman. C’est lui qui choisit de comprendre sa religion ainsi. Si l’adulte est étonné, c’est qu’il existe d’autres façons d’être musulman. Cela interroge les certitudes du jeune. L’étonnement de l’adulte l’oblige alors à élaborer une pensée sur ce qu’il voulait présenter comme un automatisme.

        ? Deuxièmement, cette posture permet aussi aux professionnels d’utiliser leurs grilles de lectures habituelles. Car les débats retranscrits le prouvent : les disciplines nécessaires pour approfondir ces thématiques et s’outiller contre le radicalisme ne relèvent pas de la théologie, mais bien des sciences sociales et humaines habituellement utilisées lors des formations des professionnels de l’éducation : place dans la famille, relation au père, à la mère, aux pairs, situation socio-économique, vie du quartier, accès à la culture, scolarité, etc.

        A défaut, s’arrêter au niveau du symptôme, réduire un comportement à sa plus simple expression sans tenter de décrypter la demande implicite qui est derrière, appréhender son comportement comme si c’était le simple « résultat de l’islam », ne permet pas seulement de faire l’économie des analyses historiques, sociales et économiques, cela alimente aussi les idéologies de rupture.

        Construire un mode explicatif du comportement des jeunes par « leur appartenance à l’islam » débouche forcément sur un raisonnement qui repose sur des explications toutes faites et enferme toujours - en utilisant l’analogie - des individus dans un groupe. Cela entraîne des significations prédéterminées et enlève aux personnes la liberté fondamentale de se définir librement, en miroir des discours extrémistes.

        II.1.3 - Des connaissances avant tout de droit commun

        Quelles sortes de connaissances faut-il pour décrypter des comportements « de type religieux » ? Comment introduire une approche plurielle sur l’analyse de situations complexes et promouvoir des mécanismes sociaux reposant sur l’émergence d’un consensus de valeurs partagées ?

        Un débat contradictoire a animé les groupes sur les éléments nécessaires pour appréhender cette problématique qui apparaît sous une « forme religieuse » : le professionnel doit-il être formé à la connaissance du fait religieux, au contenu des fondements des religions ?

        D’un côté, les travailleurs sociaux craignent de tomber dans les travers du « culturalisme ». De nombreuses études ont démontré comment l’identité culturelle peut devenir une identité prescrite, définie à l’avance, par l’intermédiaire de laquelle on définit l’autre en le réduisant à l’état d’objet au lieu de le percevoir comme un sujet porteur d’une histoire spécifique. Se « former à l’islam » - au-delà du débat que cette formule peut susciter, présente le danger de reproduire le même fonctionnement sous le biais du religieux.

        Appréhender le comportement des jeunes « à travers leur appartenance à l’islam » ne pourrait permettre un travail de subjectivation puisque cela amènerait les professionnels à ne plus utiliser leur grille de lecture habituelle (histoire de la famille, traumatisme de la petite enfance, place et rôle des uns et des autres, conditions de vie, etc.), la cause du comportement étant identifiée a priori...

        D’un autre côté, les travailleurs sociaux relèvent qu’ils se sentent démunis face à un comportement ou à un discours qui fait référence à l’islam. Le manque de formation sur ce sujet les place dans une situation où ils se retrouvent face à eux-mêmes et se positionnent selon leur propre idéologie, affectivité, histoire, dans un climat de complète insécurité internationale. Ils manquent d’éléments pour distinguer ce qui relève du dysfonctionnement d’une famille de ce qui relève de ses repères religieux ou culturels. Cette déstabilisation de l’adulte peut ouvrir la porte à la surenchère des jeunes.

        Pour analyser les cas présentés tout au long de cette recherche-action, les professionnels participant aux groupes de réflexion se sont concentrés sur le contenu et la fonction des discours, notamment sur leurs contenus implicites : étude des productions imaginaires, des figures symboliques, des récits fondateurs, du registre d’expression et de l’imagerie utilisés, etc., des prédicateurs radicaux mais aussi des autres interlocuteurs des jeunes au sein de la société, afin de rentrer dans leurs univers de référence et de comprendre comment faire des ponts. Les compétences mobilisées doivent être celles liées aux sciences sociales et humaines.
        Dernière modification par nacer-eddine06, 14 décembre 2006, 02h38.
        The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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        • #5
          suite et fin bonne lecture

          II.2 - Peut-on imaginer de meilleures conditions institutionnelles pour aider les professionnels ?

          Pour garder sa légitimité, nous avons vu que le professionnel doit refuser tout registre théologique et garder une posture éducative. C’est le seul moyen pour contourner l’aspect religieux mobilisé par le jeune et pour déconstruire le concept de « personnalité islamique intangible » mis en avant pour justifier ou revendiquer certains comportements.

          Quelles sont les conditions institutionnelles pour que le professionnel ne cristallise pas sur le « symptôme » - demande explicite du jeune - et accède à la demande implicite, au signifié ? L’enjeu est bien de rester professionnel dans une situation où le jeune met en avant quelque chose qui déborde les compétences acquises en formation initiale. Les discussions menées à l’interne de cette recherche-action entre les interlocuteurs membres de différentes institutions débouchent sur une convergence : la distanciation de l’adulte apparaît comme fondamentale pour évaluer le contenu, le sens du comportement du jeune et sa fonction. La distanciation - également appelée « neutralité bienveillante » par les psychologues selon le concept de Winnicott - est un paramètre de base du travail éducatif, mais l’expérience montre qu’elle est fréquemment évincée face à une mobilisation religieuse.

          II.2.1 Créer des espaces institutionnels « de négociation »

          Les membres du groupe remarquent, à travers l’échange de leurs pratiques, que parfois ils n’appliquent plus leurs grilles de lecture habituelle et risquent de passer à côté de la vraie question en le réduisant à un aspect théologique (cas d’une adolescente non musulmane qui utilise la référence musulmane pour trouver une place sécurisante au sein des autres membres du groupe de jeunes). La distanciation est tout aussi fondamentale pour ne pas, à l’inverse, transformer une demande de type religieux en problème psychique pour le jeune (cas de l’adolescent enfant de couple mixte qui renverse son assiette parce qu’on l’oblige à manger du porc).

          La création d’un espace de négociation pour les professionnels d’une institution apparaît comme une solution qui permettrait de se préserver de toute sorte d’imposition, dans un sens ou dans un autre (obliger le jeune à manger de la viande non hallal ou imposer de faire manger de la viande hallal à tout le monde !). Il permettrait à l’adulte de dire : « je vais saisir cette instance et nous réfléchirons tous ensemble pour trouver une solution satisfaisante », ce qui laisse du temps pour vérifier qu’il n’y a pas une demande implicite derrière la demande explicite, en permettant un vrai débat et une réflexion qui laisse d’autre choix qu’une simple réponse codifiée d’un adulte acculé à devoir dire « oui » ou « non » sans rien pouvoir traiter au niveau du sens.

          L’espace de négociation devient une instance régulatrice et se fait avec des instances régulatrices, ce qui permet de sortir des positions idéologiques et personnelles en instaurant un cadre qui permette un débat démocratique. Cela se joue sur ces questions mais cela pourrait se jouer sur d’autres types de questions qui déstabilisent également le professionnel.

          II.2.2 - Cet espace institutionnel permettrait également de traiter la question de la légitimité des demandes liées au religieux.

          Pour des raisons de fond (le contenu de la demande posée à l’institution) ou pour des raisons de forme (la famille élabore mal sa demande parce qu’elle maîtrise mal le français), certaines demandes sont perçues comme non légitimes (par exemple, prendre l’arabe comme deuxième langue est perçu comme un handicap pour la scolarité de l’enfant, alors que prendre le polonais comme deuxième langue est perçu comme une richesse dans son parcours).

          L’appréciation de la légitimité contient une dimension personnelle, d’où la nécessité d’une base légale. Mais la base légale ne règle pas tout car, sur la même base légale, une demande peut être légitimée ou délégitimée en fonction de la personne qui la formule.

          La neutralité du professionnel doit donc être réévaluée en fonction de cette nouvelle donne socio-culturelle. Car l’espace de négociation ne sera jamais opérationnel si ce professionnel a intériorisé des positions de principe qui l’amènent à refuser la négociation (par exemple, le refus de manger de la viande « non hallal » est souvent vécu comme de la subversion. Autre exemple, dans une école primaire, une femme de service peut obliger un musulman à finir son assiette de veau parce que « ce n’est pas du porc », alors que les autres enfants peuvent seulement goûter, etc.)

          Il y a des cas où l’espace de négociation existe mais se heurte à une volonté de ne pas le faire fonctionner. Le professionnel fait un blocage complet dans des domaines où la loi et la règle permettent la négociation, parce qu’il a une position de principe intransigeante, due à ses propres filtres subjectifs.

          Lorsqu’il y a un vide juridique (exemple du conseiller principal d’éducation qui ne sait pas comment traiter les absences liées à l’Aïd), les questions qui relèvent de la politique générale de l’établissement renvoient encore plus à l’arbitraire de chacun et du coup, la sanction peut également devenir arbitraire.

          Dès lors qu’une institution instaure une instance démocratique pour élaborer les questions, il faut donc « baliser » ce type d’espace du côté de la légalité tout en évitant de tomber dans du légalisme, qui cache un arbitraire. Pour cela, l’appui sur un référentiel commun transversal, laïque - comme la convention des Droits de l’Homme ou celle des Droits de l’enfant - pourrait permettre de travailler et de dépasser les représentations des uns et des autres - représentations de soi et de l’autre.
          Conclusion

          Proposer aux jeunes des éléments de compréhension leur permettant de trouver le sens de leur vie et de se projeter dans l’avenir est fondamental. L’autonomie, c’est gérer ses différentes appartenances. Et non le contraire : avoir des appartenances qui vous gèrent. Seule l’inscription dans leur histoire peut les y aider, comme pour tout un chacun. La question centrale ne se situe pas au niveau d’une problématique de culture, de religion ou de droit à la différence, mais dans l’acceptation de découvrir, de parler, d’analyser les particularismes dus à l’histoire de la colonisation, à la transplantation de la famille, à l’exclusion, à la religion, à la laïcité, à la discrimination...

          Comment le jeune pourrait-il se soustraire à des déterminations sans les reconnaître, les connaître et les analyser ? Aider les jeunes à prendre conscience des interactions au cœur desquelles ils se trouvent, puis à les comprendre, demande aux interlocuteurs sociaux et politiques d’effectuer le même cheminement, en se questionnant sur leurs propres concepts familiaux et sociaux, mais aussi professionnels et institutionnels, qui définissent et orientent leurs rapports avec le monde. Assumer sa propre histoire est un préalable pour pouvoir aider les jeunes à se réapproprier la leur, dans l’objectif de construire ensemble un avenir commun.

          DOUNIA BOUZAR
          Dernière modification par nacer-eddine06, 14 décembre 2006, 02h44.
          The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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          • #6
            un ovni

            Whaouh! j'ai juste capté cette phrase qui suit, en diagonale, pour m'apercevoir que c'est un ovni qu'est tombé-là. J'espère c'est intéressant. . . : "Le lien à l’islam est principalement évoqué car c’est la religion qui, dans le contexte actuel, est le plus évoqué par la majorité des jeunes en rupture, quelle que soit leur origine."

            C'est exactement ce que j'essayais d'expliquer à quelqu'un ici.
            ----------- suivez mon regard

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            • #7
              Les Daltons!

              Donc!!!!!! personne dit rien?

              Imaginez si c'était vrai!

              Pas d'problèmes!?
              C'est ça?

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              • #8
                discours interressant rantanplan

                je trouve qu'il colle a une certaine realité malgre, forcemment, un parti pris evident.

                C’est ainsi que, pour s’adapter à la modernité, les islamistes islamisent les diverses productions historiques et sociales.

                je suis pas sur de sa definition de "l'islamisme"

                puis c'est bien d'equilibrer quand meme:
                c'est pas les seuls a tirer la couverture vers eux.

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                • #9
                  c peut etre que certains se sont reconnus
                  la crainte d etre demasquer et se sentir nu devant ces criantes veritees qui devoile au monde et particulierement aux faistes leur perfide jeu malefique
                  The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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                  • #10
                    Quelle éducation face au radicalisme religieux ?

                    Trés simple:

                    - Faire du Sport
                    - Etre honnette
                    - Dire la vérité
                    - Polis
                    - Propre
                    - Droit
                    - Corriger ses erreurs lui meme
                    - On ne peut etre parfait, mais on idealise la perfection dans l´action
                    et l´expression ( plus simple----> plus facile)
                    - Fidelité à soi
                    - Respecter la loi et et soi
                    - Faire un equilibre entre denia et Din
                    - Respecter les morts autant que les vivant

                    On economise le papier, en résumant la réponse!

                    Commentaire


                    • #11
                      Polis

                      oui .. dire bonjour poliment à la dame .. c'est important

                      Commentaire


                      • #12
                        Pour une fois que tu t'exprimes clairement, tu le fais avec maestria ! Censé, mesuré et concis, impeccable ! Si on commence par ça déjà...

                        Commentaire


                        • #13
                          Nabila et l'équilibre

                          - Faire un equilibre entre denia et Din
                          - Respecter les morts autant que les vivant


                          Sans vouloir polémiquer plus avant sur ce point (pour m'exprimer à ta façon), j'objecterai qu'il est préférable de respecter plus les vivants que les morts. . . Cela fait partie de l'équilibre entre "denia et Din".

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                          • #14
                            Le discours radical fait autorité parce qu’il rend les jeunes « tout-puissants ».

                            Pas seulement les jeunes. Ce "tout-puissants" devient "tout privilégiés" chez les plus vieux, "tout-fiers" même lorsqu'ils sont incultes, comme c'est le cas, la plupart du temps.

                            les difficultés que L’imam et l’aumônier (éd.) rencontrent face à des jeunes qui inversent la question de l’autorité : ces derniers ne se soumettent pas à une norme religieuse, (éd.) mais s’approprient l’autorité de la religion pour s’ériger eux-mêmes en autorités au-dessus de tous les autres hommes. Sous prétexte que seul, le Coran fait autorité,

                            Akiles : Excellente remarque !

                            certains jeunes déclarent que l’imam et le savant ne commandent pas. Ils revendiquent donc le droit de parler « au Nom de Dieu », puisqu’il n’y a personne au-dessus d’eux à part Dieu. Les psychologues ont noté que ces jeunes font souvent appel à Dieu comme à un père symbolique qui fait loi ou qui doit faire loi.

                            Mais ces jeunes se contredisent. De toute façon, les religieux, à partir de l’ère moderne, vivent dans une contradiction constante.

                            De nombreux sociologues ont montré combien cette « première génération de Français de confession musulmane » - ces « enfants illégitimes » , ont finalement grandi dans ce que l’on peut nommer des « trous de mémoire ».

                            Bof ! On trouve toujours des raisons justificatrices. Même chez des criminels monstrueux. Cela aurait pu tourner à leur avantage. Mais à voir, comme je le faisais remarquer sur le sujet « Fille de Harkis », à voir le peu de créativité que ces algériens avaient dans les camps, comparés aux juifs par exemple, il ne faut pas s’en étonner. Peut-être dans cette étude, que je n'ai pas encore lue entièrement, trouvera-t-on d’autres explications.

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                            • #15
                              ya d autres explictions
                              contradiction constante
                              jaurais pense contradictions contradictoires
                              koi ils se mangent la queue
                              The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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