Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Les Chemins qui montent de Mouloud Feraoun

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Les Chemins qui montent de Mouloud Feraoun

    Les Chemins qui montent de Mouloud Feraoun est réedité chaque année que ce soit en France ou en Algérie et c'est d'ailleurs grâce à cet article que je l'apprends et tant mieux car Mouloud Feraoun est un auteur que je lis avec bonheur et je n'ai pas lus ce roman.

    ==

    Les Chemins qui montent de Mouloud Feraoun n’est pas uniquement un roman d’amour, même si sur le plan de la trame, il ne s’agit que d’une passion, certes vigoureuse entre Dahbia et Amer mais absurde et carrément invivable pour une multitude de raisons.

    Feraoun a choisi de débuter son récit par la fin : l’amoureux meurt quand Dahbia se lance dans la narration de ses sentiments et de ses contradictions. Il ne s’agit pas comme nous avons souvent l’habitude de le lire, d’une idylle qui commence de fort belle manière pour ensuite finir par tomber dans les serres des aléas imprévisibles de la vie avec l’assurance d’un épilogue souvent malheureux et parfois heureux.

    Dans L’Adieu aux armes de Ernest Hemingway, la femme aimée périt à la fin en plein accouchement mais elle ne trépasse qu’une fois l’amour vécu. Dans L’amour au temps du Choléra de Garcia Marquez Gabriel, la femme aimée troque son mari contre un richissime médecin. L’amant ne désespère pas. Il attend toute une vie et à la mort du mari, il part rejoindre son aimée afin de vivre la poignée de jours qui lui reste et mourir en sa compagnie. Dans Les chemins qui montent, Dahbia et Amer s’aiment de manière insolite. Le contexte de la Kabylie de l’époque (rencontres à la sauvette aux alentours de la fontaine) fait l’originalité de ce roman, qui est réédité chaque année tant en Kabylie, par diverses maisons d’édition qu’en France par Le Seuil. Si les mots utilisés par Feraoun sont simples, ce n’est vraiment pas le cas des idées exprimées.

    Les chemins qui montent est un roman profond et complexe. Et c’est en ceci que réside le génie de l’auteur. Le choix des personnages : d’abord Dahbia. Cette dernière n’est pas une femme kabyle comme il y en avait des milliers à l’époque. Dahbia, originaire d’Ighil N’ezman est de foi chrétienne. Personnage complexe ayant subi un traumatisme dans son enfance le jour où son père lui révèle brutalement ne pas être son vrai père. Elle avait neuf ans et était grièvement malade.

    “Petite vermine, tu peux crever, tu n’es pas ma fille !”


    Dahbia a une sensibilité hors du commun. Ce n’est pas un hasard si elle tombe amoureuse du fils de Madame. Amer est de père kabyle et de mère française. Dahbia ne le comprend jamais. Elle n’explique pas son sens du sacrifice, son rejet de l’égoïsme et son dévouement total envers les pauvres et les malheureux : “Pourquoi passe-t-il sous silence sa générosité, sa bonté pour les humbles, son mépris pour les grands, les riches, l’injustice et le mensonge ? (…) Au fond ce que chacun lui reproche, c’est sa franchise, son refus d’accepter l’hypocrisie générale qui est ici la règle de conduite”. Amer est un idéaliste. Il est désespéré car le monde dont il rêve n’existe pas et il ne peut pas exister. Pessimiste aussi. Le roman s’ouvre sur le deuil de son suicide. Dahbia a forgé sa forte personnalité dans la pauvreté et la privation affective ; ses parents étaient les plus démunis de la communauté.

    Amer est-il son prince charmant ? Rien n’est moins évident. Il lui apparaît qu’Amer ne l’aime pas spécialement, qu’il est bon et généreux, mais sur un plan trop élevé où elle aurait eu trop de peine à monter. Dahbia pense qu’elle ne représentait qu’une simple idée dans la tête de celui qu’elle aime.

    L’histoire dure six mois. A la mort de Amer, Dahbia s’enferme pour lire le journal de ce dernier. Ces six mois sont faits d’attente et de souffrances. Il y avait un peu de bonheur, juste un peu. Dahbia regrette déjà car elle ne connaîtra plus jamais ce genre de sentiment durant ce qu’il lui restera à vivre.

    Au beau milieu de l’idylle, surgit Mokrane, un homme marié, personnage antipathique et malheureux qui tentera de trouver son bonheur auprès de Dahbia mais sans savoir comment s’y prendre. Il tente de l’embrasser de force un jour qu’il lui ramène un plat de couscous. Dahbia résiste et l’intrus se sauve. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le lien entre ces deux personnage est étrange. Mokrane aime en réalité Dahbia mais il ne peut pas l’épouser en raison de la mauvaise réputation injustement attribuée à deux femmes vivant toutes seules dans un village et ayant auparavant fui leur patelin natal. Dahbia, de son côté, éprouve un sentiment à l’égard de Mokrane, un mélange d’amour et de haine. L’auteur ne nomme pas ce sentiment et laisse au lecteur toute latitude de conjecturer. Est-ce uniquement dans la tête de Mokrane qu’un scénario d’amour réciproque est dessiné ? Un beau jour, Mokrane se marie avec Ouiza, une femme qu’il n’aime pas. En revanche, cette dernière possède tous les critères “kabyles” pour faire une épouse respectable : la famille et l’argent ajouté à un zeste de beauté.

    Sans amour, ce mariage est acariâtre cependant. La nuit de noce, décrite par Mouloud Feraoun est un supplice pour les deux conjoints. C’est le visage de Dahbia que voit Mokrane. Quant à Ouiza, elle ne réalise même pas ce qui lui arrive. Des mots violents sont utilisés dans ce passage pour faire état de la psychologie des deux personnages lors de cette nuit décisive : “L’image de Dahbia surgit subitement dans son esprit. A vrai dire, il n’avait pas oublié la petite chrétienne et même, la veille, à côté de Ouiza, il y avait pensé comme malgré lui. Il avait revu son beau sourire et songé une seconde que, ci ç’avait été elle, là, sur le lit, il aurait été peut-être plus éloquent”. Cet épisode du roman montre comment un homme peut passer à côté du bonheur rien que par manque de courage à même de lui permettre de faire face à la société. Si Mokrane ne peut pas être heureux c’est parce qu’il ne peut pas épouser Dahbia par peur du qu’en dira-t-on. Le lendemain de sa noce, Mokrane rêve déjà de rencontrer, par hasard, Dahbia “pour lui montrer avec son regard qu’il lui est demeuré fidèle”. Mokrane, par dépit, devient un être méchant une fois son amour est hors de portée.

    Devant la lâcheté de Mokrane, Dahbia donne libre cours à son ire : “Fumier”, lui lance-t-elle, quand elle le croise. Mokrane pense qu’elle est jalouse suite à son mariage.

    Dahbia reste au village la femme que tout le monde désire pour sa beauté et son caractère mais que personne ne peut épouser pour les raisons précitées. Elle s’en moque éperdument. Elle aime Amer bien qu’elle sache que celui-ci est inaccessible à cause de son tempérament. Quand Amer meurt, Dahbia ne rêve que d’une seule chose, le rejoindre. Tout comme Dahbia, Amer est l’objet de la convoitise de plusieurs filles du village qui, intérieurement savent qu’Amer ne peut fixer l’œil que sur Dahbia. Amer est irrésistible. Paradoxalement, Dahbia a peur de Ouiza ; cette dernière pourrait séduire Amer grâce à son audace ainsi qu’à sa beauté, appréhende-t-elle lors de ses méditations solitaires. Le fait que Ouiza soit mariée à Mokrane ne constitue pas un handicap. Dahbia pense que Ouiza ne craint pas le scandale. Ce que Dahbia appréhende se produit : “Tantôt, elle interceptait un geste de l’un auquel l’autre répondait clairement, tantôt c’étaient des sourires fugitifs, imperceptibles, après quoi, toujours, Ouiza s’épanouissait, devenait loquace, heureuse, tandis que Dahbia se renfrognait”. Ouiza finit par être répudiée. La rumeur court. On dit même que les amants ont été surpris par le mari. Comme pour se venger, pour exprimer son désespoir, pour voler un moment de plaisir obscur à la vie ou carrément sans but aucun, Dahbia finit par se jeter dans les bras de Mokrane, un jour qu’elle tombe sur lui à côté d’un grand frêne.

    Tout finit mal dans ce roman. Un peu comme dans la vie réelle. Les rêves innocents de la tendre adolescence s’effilochent au fil des ans, quand l’amer dureté de la vie et son caractère éphémère commencent à devenir palpables. La deuxième partie du roman, présentée sous forme de journal d’Amer, rend le récit plus éloquent. L’image d’ange qu’avait Dahbia d’Amer n’existe pas. Amer aussi, et c’est lui-même qui l’écrit, désirait Dahbia et ne l’aimait pas, encore faut-il qu’il croit à l’existence de l’amour. Ceci confirme la démarche de Mouloud Feraoun, adoptée dans toute son œuvre, tendant à présenter les choses et les êtres humains tels qu’ils sont. C’est à dire ni tout à fait bons, ni tout à fait mauvais. C’est le cas d’Amer, de Dahbia mais aussi de Mokrane. Mouloud Feraoun confirme surtout la faiblesse de l’homme devant l’inexorable marche du destin.

    Par la Dêpeche de Kabylie

  • #2
    Ce roman est l'un des plus beaux de Mouloud Feraoun.
    IL joue sur le style qui est le plus connu de Feraoun, le journal et le jeu journalistique.
    Amer et Dehbia....

    Il y a une scène devant la fontaine, la fameuse scène , devrais-je dire, qui m'avait alors beaucoup marquée.

    Commentaire


    • #3
      Excellent livre. Je n'aime pas les histoires qui finissent mal mais celui-ci est vraiment unique dans son genre.
      *****Le grand obstacle au bonheur, c'est de s'attendre à un trop grand bonheur. *****

      Commentaire


      • #4
        Je ne résiste pas à la tentation de poster ce petit extrait d'un autre chef d'œuvre de M.Féraoun!

        TENDRESSE PATERNELLE .





        Quand on a bâti au village le premier moulin à presse hydraulique, puits et pompe, mon père y a travaillé vingt-deux jours. Ces journées m’ont laissé aussi leur souvenir.

        Les travaux avaient débuté au mois de juin, je crois. Nous étions encore à l’école. Le chantier se trouvait juste en face de chez nous, à une centaine de mètres. Il y avait là, en même temps que mon père, notre cousin Kaci le père de Said et Arab, le père d’Achour, un camarade d’école!

        Dés le premier jour, à onze heures, Said nous propose d’allez voir nos parents ; nous acquiesçons, Achour et moi. Nous avons compris à demi-mot ce que veut dire Said. N’est ce pas à onze heures que le patron fait arrêter le travail pour le déjeuner.

        Nous tombons sur eux, avec une louable exactitude, au même moment que les plats. Nos pères respectifs sont vivement contrariés. Mais le patron est généreux. Il nous ordonne de nous asseoir et nous mangeons, la tête basse. Nous mangeons quand même. D’abord une bonne soupe avec des pommes de terre, et nous recevons chacun un gros morceau de galette levée ; puis du couscous blanc de semoule, avec de la viande. Devant de telles richesses, la joie prend le pas sur la honte du début. Dès que nos estomacs sont pleins, nous nous sauvons. Le front ruisselant de sueur, sans remercier personne, emportant dans nos mains ce qui nous reste de viande et de galette.

        Le soir, ainsi que je m’y attendais, mon père n’était pas content de moi. Il n’insista pas beaucoup pour ne pas me faire de peine et me promit de m’apporter chaque soir la plus grande partie de ce que lui reviendrait de ces fameux repas. J’étais sûr de moi en décidant de ne plus jamais aller le voir au chantier. Il a tenu sa promesse et je n’ai pas tenu la mienne.

        Deux jours après, pendant la récréation, Said n’y tenant plus m’accosta et, sans préambule, se mit à me parler de la soupe.

        Il me travailla pendant toute la récréation. A onze heures, il se faufila jusqu’à moi dans la mêlée d’élèves et ne me quitta pas d’une semelle.

        […] Nous arrivons au carrefour. Je m’arrête. Instinctivement je regarde du côté du pressoir. Said a déjà fait le même geste que moi. Il tourne la tête, nos regards se rencontrent, se comprennent, il me prend la main et nous courons comme des fous vers les ouvriers. Nous ne prenons conscience qu’à dix mètres du chantier. Terrifiés de notre audace, nous essayons de nous cacher derrière une meule de paille. Trop tard ! ils nous ont vus. Le père Kaci nous interpelle avec colère et nous crie de faire demi-tour. Said part comme une flèche en direction de la maison. Mon père quitte son travail, se dirige calmement vers moi, me dit de ne pas bouger. Je reste planté là, plein de honte. Il me rejoint, me pose sa grosse main toute sale de mortier sur la tête et me dit :

        -Laisse-le partir. Vas à côté du père Kaci, tu mangeras à ma place. Je monte à la maison pour me reposer un peu. Aujourd’hui, je n’ai pas faim.

        Ce repas, sous l’œil dédaigneux des hommes, fut un supplice pour moi. Kaci et Arab se moquaient de ceux qui ne savaient pas élever leurs enfants. L’allusion était directe, je rougissais et je pâlissais. Je me disais, pour diminuer ma faute, que mon père n’avait pas faim. Mais je du me tromper car, en rentrant à la maison, je lui trouvai entre les mains, mon petit plat en terre cuite, orné de triangles noirs et rouges. Il achevait de manger mon couscous noir. Ce jour-là, il retourna au travail le ventre à moitié vide, mais il grava, une fois pour toute, dans le cœur de son fils, la mesure de sa tendresse.

        De Mouloud FERAOUN (Le fils du pauvre)
        "La chose la plus importante qu'on doit emporter au combat, c'est la raison d'y aller."

        Commentaire


        • #5
          J'adore ce passage aussi du fils du pauvre. Il m'avait vraiment touché.
          *****Le grand obstacle au bonheur, c'est de s'attendre à un trop grand bonheur. *****

          Commentaire

          Chargement...
          X