Saïd Babouche dit si Tahar
Une vie pour la nation
Témoignage émouvant de la veuve de ce Chahid, un des grands martyrs de la guerre de libération.

Elle hésite à parler comme tout être sensible qui s'apprête à toucher à un vieux silence. Pour elle, désormais, évoquer l'itinéraire de son mari, c'est évoquer son propre malheur. Puis, peu à peu, les mots se mettent en place. Avec sa secrète inquiétude qui l'anime encore, soixante-quatre ans après, elle lâche doucement, mot par mot, comme si, dans son esprit, elle allait commettre le sacrilège d'évoquer Dieu et son éternité. Elle, c'est madame Naceri Dahbia, veuve Babouche Saïd, mort pour la nation, guillotiné un certain 8 avril 1957 à 4 h 40 du matin, à la prison de Serkadji, anciennement appelée Barberousse.
Touchée au plus profond de son être, cette femme d'exception ne raconte pas sa vie avec facilité. D'ailleurs, il suffit juste de voir son regard pour comprendre son itinéraire fait de drame, mais aussi d'héroïsme, d'honneur, du devoir accompli pour la patr 94 ans, ses pas sont incertains, sa voix porte encore l'empreinte d'une vie pénible, mais sa mémoire reste intacte. Les dissonances de la guerre et de tous les drames vécus ne semblent pas l'avoir affectée, même si, il faut le dire, le désespoir l'avait moult fois visitée. «Avant notre mariage, il envoya cinq émissaires chez nous pour s'enquérir surtout de la position de notre famille envers la révolution. C'était la seule chose qui l'intéressait», nous dit-elle, avec toutefois une certaine pudeur, un peu aussi pour résumer d'emblée la vie de son mari dédiée à la lutte pour l'indépendance. Puis, comme si une petite mécanique se mettait en place dans son cerveau, elle reprend: «Le bachagha Ait Ali, voisin de Saïd Babouche dans son village natal, Iassekren, dans la commune de Boudjima, avait prévenu les autorités coloniales de toutes ses activités depuis déjà belle lurette. Activités qu'il commença plus précisément en 1937. Depuis, il ne rentrait presque plus dans son village. Il venait souvent à Haouch Madieu, à la haute ville de Tizi Ouzou, où nous habitions, ma famille et moi. À vrai dire, il n'a laissé ni ville, ni village, ni montagne, sillonnant tout le pays dans ses activités politiques en vue de préparer la révolution. Avec le PPA, le MTLD, l'OS ou plus tard le FLN /ALN, il accomplissait ses tâches comme s'il obéissait à un élan profond de son être. Il se moquait de tout autre chose. Ni le luxe ni même l'argent ne l'intéressait. Plus tard, il se sacrifia jusqu'à ne plus voir qu'à des occasions rares ses propres enfants, surtout après la naissance du deuxième, en pleine guerre... À la maison, on ne laissait pas entrer beaucoup de monde de peur d'ouvrir nos portes à des (mouchards). «Ils ont la phobie» disaient beaucoup de monde à notre égard... Dieu sait combien c'est faux», reprend-elle avec parfois des phrases involontairement désarticulées. Par moment, le ressassement intérieur se ressent jusque dans ses silences. «Ils l'ont arrêté à Oued-Aïssi en 1955. Il voulait partir à Ait Ouacif. Blessé, il sera transféré à Tigzirt (camp Ali u Yacine) où il sera torturé un peu plus de deux semaines durant. Transféré pour un temps à Tizi Ouzou,à l'actuelle Maison de la culture, il sera orienté ensuite vers la tristement célèbre prison de Barberousse où il sera jugé par un tribunal militaire et condamné à mort. Lors de la dernière visite que je lui ai rendue, il me demanda juste de prendre soin des petits et de lancer des youyous le jour de sa mort. Chose que je n'ai pu exaucer car je ne pouvais le faire, regrette-t-elle encore aujourd'hui.
Lounes Ghezali
*Auteur
Une vie pour la nation
Témoignage émouvant de la veuve de ce Chahid, un des grands martyrs de la guerre de libération.

Elle hésite à parler comme tout être sensible qui s'apprête à toucher à un vieux silence. Pour elle, désormais, évoquer l'itinéraire de son mari, c'est évoquer son propre malheur. Puis, peu à peu, les mots se mettent en place. Avec sa secrète inquiétude qui l'anime encore, soixante-quatre ans après, elle lâche doucement, mot par mot, comme si, dans son esprit, elle allait commettre le sacrilège d'évoquer Dieu et son éternité. Elle, c'est madame Naceri Dahbia, veuve Babouche Saïd, mort pour la nation, guillotiné un certain 8 avril 1957 à 4 h 40 du matin, à la prison de Serkadji, anciennement appelée Barberousse.
Touchée au plus profond de son être, cette femme d'exception ne raconte pas sa vie avec facilité. D'ailleurs, il suffit juste de voir son regard pour comprendre son itinéraire fait de drame, mais aussi d'héroïsme, d'honneur, du devoir accompli pour la patr 94 ans, ses pas sont incertains, sa voix porte encore l'empreinte d'une vie pénible, mais sa mémoire reste intacte. Les dissonances de la guerre et de tous les drames vécus ne semblent pas l'avoir affectée, même si, il faut le dire, le désespoir l'avait moult fois visitée. «Avant notre mariage, il envoya cinq émissaires chez nous pour s'enquérir surtout de la position de notre famille envers la révolution. C'était la seule chose qui l'intéressait», nous dit-elle, avec toutefois une certaine pudeur, un peu aussi pour résumer d'emblée la vie de son mari dédiée à la lutte pour l'indépendance. Puis, comme si une petite mécanique se mettait en place dans son cerveau, elle reprend: «Le bachagha Ait Ali, voisin de Saïd Babouche dans son village natal, Iassekren, dans la commune de Boudjima, avait prévenu les autorités coloniales de toutes ses activités depuis déjà belle lurette. Activités qu'il commença plus précisément en 1937. Depuis, il ne rentrait presque plus dans son village. Il venait souvent à Haouch Madieu, à la haute ville de Tizi Ouzou, où nous habitions, ma famille et moi. À vrai dire, il n'a laissé ni ville, ni village, ni montagne, sillonnant tout le pays dans ses activités politiques en vue de préparer la révolution. Avec le PPA, le MTLD, l'OS ou plus tard le FLN /ALN, il accomplissait ses tâches comme s'il obéissait à un élan profond de son être. Il se moquait de tout autre chose. Ni le luxe ni même l'argent ne l'intéressait. Plus tard, il se sacrifia jusqu'à ne plus voir qu'à des occasions rares ses propres enfants, surtout après la naissance du deuxième, en pleine guerre... À la maison, on ne laissait pas entrer beaucoup de monde de peur d'ouvrir nos portes à des (mouchards). «Ils ont la phobie» disaient beaucoup de monde à notre égard... Dieu sait combien c'est faux», reprend-elle avec parfois des phrases involontairement désarticulées. Par moment, le ressassement intérieur se ressent jusque dans ses silences. «Ils l'ont arrêté à Oued-Aïssi en 1955. Il voulait partir à Ait Ouacif. Blessé, il sera transféré à Tigzirt (camp Ali u Yacine) où il sera torturé un peu plus de deux semaines durant. Transféré pour un temps à Tizi Ouzou,à l'actuelle Maison de la culture, il sera orienté ensuite vers la tristement célèbre prison de Barberousse où il sera jugé par un tribunal militaire et condamné à mort. Lors de la dernière visite que je lui ai rendue, il me demanda juste de prendre soin des petits et de lancer des youyous le jour de sa mort. Chose que je n'ai pu exaucer car je ne pouvais le faire, regrette-t-elle encore aujourd'hui.
Lounes Ghezali
*Auteur
- 00:00 | 03-11-2021
- lexpressiondz
