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Béjaïa médiévale

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  • Béjaïa médiévale

    Les témoignages médievaux qui évoquent Béjaïa sont nombreux : les notations d’al-Idrîsî (12e s.), les vers du voyageur et poète toscan Fazio Uberti, le mathématicien Leonardo Pisano, qui y étudie, et exprime avec chaleur sa gratitude à l’égard de ses maîtres ; Ibn Khaldûn, enfin, qui y sera chambellan (hâjib) et y enseignera sous les Hafçides, en 1365-1366 ; sans oublier, 160 ans plus tard, l’andalou Léon l’Africain, qui en parlera avec émerveillement dans sa Descrizione dell’Africa.

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    Dernière modification par Harrachi78, 06 mai 2022, 10h25.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

  • #2
    Un grand port méditerranéen

    Y accostent des bateaux andalous, catalans, provençaux, génois, pisans … etc. Les Européens du S. y ont leurs entrepôts-hôtelleries (fundûq), où ils pratiquent sans entraves leur commerce et leur religion. À l’importation, d’Andalousie et d’Europe, proviennent des tissus, des voiles, du matériel de fabrication navale, des armes et diverses denrées alimentaires. Y arrivent aussi les captifs, exposés près du port pour y être vendus comme esclaves. À l’exportation, de la résine, des goudrons, et cette spécialité de Bejâïa que sont les chandelles enveloppées de cire : les bougies. La cire brute est vendue aux Génois qui se mettent aussi à en fabriquer. Autre spécialité : les peaux de mouton. Un des noms courants de Bejâïa est Bazana, du nom du cuir provenant de peaux de mouton tannées avec des substances végétales, dénommé « basane ». Fonctionnent aussi des chantiers navals et, grâce au bois des forêts et au minerai de fer des massifs montagneux, des ateliers métallurgiques. Des réserves d’armes sont entreposées le long de la côte du domaine hammâdide, jusqu’à Marsa al-Kharaz (El Kala), près de l’actuelle frontière algéro-tunisienne.

    Une cité opulente

    Bejâïa est une cité de belle allure, avec sa grande mosquée de la Citadelle (Jāmi3 al-Qaçaba), ses parcs, ses fontaines et ses trois palais. À celui de la Perle d’al-Mançûr, s’ajoutent celui de l’Étoile et le palais Amimoun. Le poète Ibn Hamdîs a chanté ses cours intérieures et ses lions en marbre montant la garde au bord de vasques plaquées d’or et d’argent. De leurs gueules ruisselaient des draperies d’eau, « semblables à des lames de sabre fondues ». Célèbres aussi sont les fresques du plafond où s’ébattent les animaux de chasse à courre, et la tour majestueuse, construite par des Génois, dénommée Shûf al-riyâd (la vue sur les vergers) ou al-Manâra (le phare). Il reste peu de traces de tous ces édifices, sauf quelques exceptions comme Bâb al-Bahr, la « Porte Sarrazine » des Européens, commandant le passage des bateaux de la mer à la darse — aujourd’hui comblée —, alors réputée refuge sûr pour les navigateurs. D’autres portes, ouvertes dans un rempart ponctué de bastions rectangulaires, ne subsistent que quelques fragments. L’administration hammâdide se soucie aussi de travaux édilitaires : les fontaines sont multipliées, des aqueducs et citernes romains de l’antique Saldae restaurés.

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    Dernière modification par Harrachi78, 06 mai 2022, 10h29.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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    • #3
      Un centre culturel et universitaire

      Centre d’enseignement et pôle intellectuel, Béjaïa attire, du 11e au 15e siècle, des étudiants du Maghreb, et rayonne au-delà. Sa "Cité de la science" (Madînat al-3ilm) — est renommée. En l’honneur d’un soufi local avec qui il s’est lié, al-Nâçir crée un institut Sīdi Touāti où sont enseignées nombre de disciplines, dont l’astronomie. Une "Maison de la sagesse" (Bayt al-hikma) est le théâtre de controverses doctrinales. Comme dans la Tāhert rustamide deux siècles plus tôt, ces débats sont organisés avec des adeptes d’autres écoles juridiques de l’islam sunnite, et même avec les tenants du Mu3tazilisme. Alors que le malikisme ordinaire est peu favorable au mysticisme, les discussions sont ouvertes à des soufis dans l’inspiration d’al-Ghazâlî, et même à des débats avec des non-musulmans.

      Du fait de la Reconquista chrétienne, plusieurs proviennent de Sicile, et surtout d’al-Andalus : à côté d’érudits et fuqahâ’ classiques venant de la Qal‘a, de mystiques ayant trouvé leur chemin de soufi lors d’une rihla au Mashreq, et de ces Catalans, Génois et Toscans qui fréquentent la ville, d’autres figures expriment les tendances raffinées d’al-Andalus : le di poète venu de la Qal‘a, Abû Amrân, l’élégant poète de cour sicilien Ibn Hamdîs al-Siqillî (1055-1133) qui avait dû quitter son pays en 1079 lors de la conquête normande. On a parfois comparé ce panégyriste et chantre nostalgique de sa Sicile perdue à un Goethe de langue arabe. Plus attaché aux Hammâdides, l’historien Ibn Hammād, à qui l’on doit une histoire des rois ‘ubaydides et une histoire de Bejâïa, qui ne sont connues que par les références qu’y puisa Ibn Khaldûn, puisque ses manuscrits ont été perdus.

      Il faudrait aussi évoquer tous les séjours à Béjaïa du philosophe majorquin Ramon Lulle, le « docteur illuminé » auteur du Liber contemplationis. Il y étudie aux 14e-15esiècles les mathématiques et s’y livre avec une passion partagée à des débats avec des 3ulamā musulmans. Possédant l’arabe aussi bien que l’hébreu, ce mystique passionné de dialogue islamo-chrétien tente de persuader ses interlocuteurs du suprême bien-fondé de la conversion au christianisme. Son argumentaire est noté dans l’Arbor Scientiae (l’Arbre de la Science), compendium pédagogique de son Ars Magna. Condamné par l’Inquisition pour ses folâtreries péri-islamiques, il est agressé lors de son dernier retour à Béjaïa, et laissé pour mort en place publique, avant d’être ramené aux Baléares où il meurt (1315).

      C’est aussi à Béjaïa, où son père est le représentant des marchands toscans, qu’étudie, fin 12e siècle, le mathématicien Leonardo Pisano. Il rapporte en 1202 en Toscane son Liber abaci (le Livre des calculs), en latin, suivi d’autres traités, dont le Liber Quadrotorum, 23 ans plus tard — un traité sur les racines carrées et cubiques. Il y puise notamment dans les travaux du mathématicien égyptien du 10e siècle Ahmad ibn Yûsuf. C’est Pisano qui introduit en Europe les chiffres arabes et la numération décimale, non sans incompréhensions et inquiétudes de la part de ses contemporains qui en sont restés à la numération romaine. Le zéro, en particulier, les angoisse : en 1280, le gouvernement de Florence interdit les chiffres arabes et le système décimal. Plus connu de l’ensemble du Maghreb est le maître du soufisme d’origine andalouse al-qutb (le pôle, la sommité) Abû Madyan (1126-1197), qui vit à Béjaïa dans la seconde moitié du 12e siècle et y dispense un enseignement mystique de renom. Il aurait été inspiré par al-Ghazāli et par le prédicateur hanbalite ‘Abd al-Qâdir al-Jilâni (1077-1166). Abû Madyan meurt à Tlemcen en se rendant de Béjaïa à Marrakech. Le tombeau de celui qui va devenir le saint patron de Tlemcen se trouve encore, tout près, à al-‘Ubbad.

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      "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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      • #4
        D’autres soufis illustrent la ville : Sīdi Yah, et surtout Sīdi Touati, qui sermonne tant le hammādide al-Nâçir -quelque peu dépravé- que le souverain se résout à finir ses jours dans le renoncement dans l’îlot des Pisans, face à la ville ; et d’autres célébrités comme le diAbd al-Haqq, auteur d’une œuvre monumentale de commentaires de hadîth(s) et d’un traité de médecine ; et encore la figure de sage renonçant du soufisme du di Abû ‘Alî Hasan, réputé pour ses travaux de fiqh et de théologie. La galerie de portraits ne serait pas complète sans l’algébriste al-Qurashi et le biographe et historien de Béjaïa, le Kabyle al-Ghubrīni, qui étend ses recherches à des domaines bien plus larges ; ni sans tous ces savants andalous — le pharmacien Ibn Andras, spécialiste des plantes médicinales, le botaniste Ibn al-Baytar, spécialiste de la classification des plantes ; et enfin l’astronome Ibn al-Raqqām (1250-1315), qui consacre sa vie à dresser des tables d’astronomie (al-zîj al-kâmil) dans la lignée de celles conçues par Ahmad b. Yûsuf.

        Au total, la Béjaïa du 12e siècle respire une atmosphère d’ouverture et vit dans une ambiance libérale. Le vin importé à Béjaïa n’est pour sûr pas destiné qu’aux rares consommateurs chrétiens : sous peu, les Almohades se scandaliseront assez des mœurs de ces musulmans tenus pour douteux par ces doctrinaires intraitables. Léon l’Africain rapporte que les bougiotes furent « plutôt joyeux et [qu’ils] ne songe[ai]ent guère à autre chose qu’à se donner du bon temps et à vivre joyeusement, au point qu’il ne se trouv[ait] personne qui ne sache jouer d’un instrument de musique et danser (ballare) ».

        À Béjaïa, aussi bien qu’à la Qal‘a, vivent en paix des communautés juives, dont la présence est aussi attestée à Ouargla, et subsistent même au 11e siècle, des chrétiens également présents à Annaba et dans l’Aurès. Le hammādide al-Nâçir entretient une correspondance avec le pape Grégoire VII : en 1076, tenant à faire ordonner évêque un prêtre maghrébin, iI demande de lui expédier des évêques de Rome car, pour ce faire, il n’en a pas en suffisance à sa disposition. Tout indique donc à Béjaïa une ambiance et un souci de concorde des esprits et de cohésion du corps social.

        Béjaïa reste très prospère et rayonnante jusqu’au début du 13e siècle ; puis, sans retour, elle perd progresssivement son importance et son attractivité.

        [Fin de l'extrait]
        "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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