L'idée fait son chemin. Et si le transfert des actifs toxiques des banques dans des structures de défaisance, qu'on les baptise «bad banks» à l'anglo-saxonne ou banque poubelle à la française, était finalement le seul moyen de redonner au système bancaire mondial, la bouffée d'oxygène dont il a cruellement besoin.
Depuis que la crise a éclaté en août 2007, les banques sont confrontées à deux problèmes majeurs: le manque de liquidité sur le marché interbancaire et la dégradation de leur solvabilité. Malgré les actions spectaculaires des banques centrales pour éviter une paralysie totale du marché monétaire, malgré les plans de sauvetage décidés par les gouvernements, le constat est sévère: les banques restent méfiantes les unes envers les autres et rechignent à se prêter de l'argent tandis que leurs fonds propres s'amenuisent grevés par les pertes et les dépréciations d'actifs. Et ce n'est pas faute d'avoir mobiliser des capitaux pour tenter d'enrayer la crise. A elle seule, la Réserve Fédérale américaine (Fed) a injecté 1.000 milliards de dollars sous diverses formes pour soutenir les banques américaines auxquels s'ajoutent les baisses drastiques de taux d'intérêt. Les interventions de la Banque centrale européenne (BCE) se chiffrent en centaines de milliards d'euros sans pour autant vraiment effacer les maux des banques européennes les plus touchées par la crise.
En janvier, lors d'un discours à la London School of Economics, le président de la Fed Ben Bernanke reconnaissait que les banques détenaient encore une grande quantité d'actifs toxiques, ce qui leur compliquait la tâche «pour lever des capitaux et octroyer des crédits». Ce qui vaut pour les banques américaines vaut pour l'ensemble des établissements financiers de la planète. Les propos de Ben Bernanke mettent aussi en exergue les limites des plans de sauvetage orchestrés par les Etats qui reposaient jusqu'à une date récente sur des injections de capitaux dans les banques les plus souffrantes, des lignes de crédit et des garanties sur les actifs dépréciés.
Aux Etats-Unis, le plan Paulson adopté à l'automne s'est traduit par la mise en place du TARP, ou Troubled Assets Relief Program, un fonds doté de 750 milliards de dollars pour prendre des participations dans les banques. Au Royaume-Uni, le gouvernement n'a pas lésiné sur les moyens en attribuant une enveloppe de 500 milliards de livres dont 50 milliards pour intervenir dans le capital des banques. L'Allemagne a octroyé 400 milliards d'euros de garanties et 80 milliards pour renforcer le capital des banques. Mais cela n'a pas empêché Citigroup aux Etats-Unis de faire appel à deux reprises au TARP pour obtenir au total 45 milliards de dollars de capitaux et une garantie sur 306 milliards d'actifs à risque. Royal Bank of Scoltland (RBS), le fleuron de la banque au Royaume-Uni, se retrouve nationalisée à hauteur de 70%, tandis que les banques publiques allemandes sont sur le flan.
Les plans de sauvetage qui se voulaient politiquement corrects se révèlent être des fiascos. Citigroup a perdu plus de 18 milliards de dollars en 2008 alors que RBS affiche des pertes abyssales de 28 milliards de livres (32 milliards d'euros). Ces deux exemples, certes extrêmes, révèlent à quel point la mécanique qui consiste à laisser les actifs risqués des banques dans leur bilan, a des effets pervers. Plus les actifs se dévalorisent, plus les banques enregistrent des dépréciations et des pertes, qui diminuent leurs fonds propres donc leur solvabilité.
Opération sortir du cercle vicieux
Plus radicale, la création de structures de défaisance permettrait de délester le bilan des banques des actifs compromis et de sortir du cercle vicieux de la destruction des fonds propres. La mise en place de «bad banks» participera aussi à une opération vérité sur la véritable valorisation des actifs «pourris» que les banques détiennent en portefeuille et sur leur montant global. De nombreux experts estiment aujourd'hui que les valeurs inscrites au bilan sont souvent supérieures au prix de marché.
La grande peur des politiques et de la sphère financière, ce n'est pas tant de mettre en place des bad banks que d'être contraint ainsi de révéler au monde entier l'ampleur des dégâts. Certains observateurs n'hésitent pas à dire que la vérité des prix montrerait que les 4.500 milliards de dollars de fonds propres détenus par les banques de la planète avant la crise ont été en grande partie siphonnés. Reste à savoir qui doit assurer les coûts de portage des banques poubelles. Vu l'état gravissime de la situation, il n'y a guère que les Etats et les banques centrales qui soient capables d'assumer ce rôle. Et les gouvernements auront le plus grand mal à convaincre les opinions publiques d'accepter une telle charge. Pourtant, la valeur finale des actifs transférés peut être bien supérieure à leur prix initial. Le gouvernement helvétique a montré la voie en novembre pour éviter à UBS de sombrer, en isolant dans un fonds placé sous la houlette de la Banque Nationale Suisse, 60 milliards d'actifs dont la valeur est désormais ramené à 39 milliards.
Rejetées par nombre de gouvernements qui manquent de courage, la solution radicale des bad banks fait pourtant son chemin. Aux Etats-Unis, le nouveau plan de sauvetage des banques présenté par le secrétaire au Trésor Timothy Geithner, comprend la création d'un Financial Stability Trust pour fournir du capital aux banques et d'un Public-Private Investment Fund, qui s'apparente à une bad bank, pour financer le rachat des actifs risqués des banques américaines. Les investisseurs privés sont appelés à participer à ce programme qui sera doté dans un premier temps de 500 milliards mais pourra atteindre 1000 milliards de dollars.
Traitement de choc avant qu'il ne soit trop tard
Au Royaume-Uni, où le gouvernement est contraint de débloquer à nouveau 220 milliards d'euros pour garantir les actifs des banques, le ministre des Finances, Alistair Darling ne rejette pas l'idée d'une bad bank si le système d'assurance ne se révèle pas efficace. Les Allemands étudient pour leur part, la création d'une bad bank par établissement bancaire. De son côté, la Commission de Bruxelles travaille aussi sur le sujet.
Le temps presse. Moins les banques seront en situation de prêter, plus l'économie réelle s'enfoncera dans la crise. L'heure n'est plus aux postures idéologiques ou manichéennes, pour savoir si c'est bien ou mal de remettre les banques mondiales sur les rails et si le contribuable doit porter encore plus de risques. Il faut un traitement de choc pour soigner une maladie grave avant qu'elle soit fatale. Cela ne doit pas empêcher les gouvernements et institutions internationales de tirer les leçons de la crise. Et de faire obstacle à l'avenir aux dérives des acteurs de la sphère financière. Mais plonger dans une dépression planétaire au nom de la morale ne semble pas être l'attitude la plus responsable.
par Dominique Mariette, Slate
Depuis que la crise a éclaté en août 2007, les banques sont confrontées à deux problèmes majeurs: le manque de liquidité sur le marché interbancaire et la dégradation de leur solvabilité. Malgré les actions spectaculaires des banques centrales pour éviter une paralysie totale du marché monétaire, malgré les plans de sauvetage décidés par les gouvernements, le constat est sévère: les banques restent méfiantes les unes envers les autres et rechignent à se prêter de l'argent tandis que leurs fonds propres s'amenuisent grevés par les pertes et les dépréciations d'actifs. Et ce n'est pas faute d'avoir mobiliser des capitaux pour tenter d'enrayer la crise. A elle seule, la Réserve Fédérale américaine (Fed) a injecté 1.000 milliards de dollars sous diverses formes pour soutenir les banques américaines auxquels s'ajoutent les baisses drastiques de taux d'intérêt. Les interventions de la Banque centrale européenne (BCE) se chiffrent en centaines de milliards d'euros sans pour autant vraiment effacer les maux des banques européennes les plus touchées par la crise.
En janvier, lors d'un discours à la London School of Economics, le président de la Fed Ben Bernanke reconnaissait que les banques détenaient encore une grande quantité d'actifs toxiques, ce qui leur compliquait la tâche «pour lever des capitaux et octroyer des crédits». Ce qui vaut pour les banques américaines vaut pour l'ensemble des établissements financiers de la planète. Les propos de Ben Bernanke mettent aussi en exergue les limites des plans de sauvetage orchestrés par les Etats qui reposaient jusqu'à une date récente sur des injections de capitaux dans les banques les plus souffrantes, des lignes de crédit et des garanties sur les actifs dépréciés.
Aux Etats-Unis, le plan Paulson adopté à l'automne s'est traduit par la mise en place du TARP, ou Troubled Assets Relief Program, un fonds doté de 750 milliards de dollars pour prendre des participations dans les banques. Au Royaume-Uni, le gouvernement n'a pas lésiné sur les moyens en attribuant une enveloppe de 500 milliards de livres dont 50 milliards pour intervenir dans le capital des banques. L'Allemagne a octroyé 400 milliards d'euros de garanties et 80 milliards pour renforcer le capital des banques. Mais cela n'a pas empêché Citigroup aux Etats-Unis de faire appel à deux reprises au TARP pour obtenir au total 45 milliards de dollars de capitaux et une garantie sur 306 milliards d'actifs à risque. Royal Bank of Scoltland (RBS), le fleuron de la banque au Royaume-Uni, se retrouve nationalisée à hauteur de 70%, tandis que les banques publiques allemandes sont sur le flan.
Les plans de sauvetage qui se voulaient politiquement corrects se révèlent être des fiascos. Citigroup a perdu plus de 18 milliards de dollars en 2008 alors que RBS affiche des pertes abyssales de 28 milliards de livres (32 milliards d'euros). Ces deux exemples, certes extrêmes, révèlent à quel point la mécanique qui consiste à laisser les actifs risqués des banques dans leur bilan, a des effets pervers. Plus les actifs se dévalorisent, plus les banques enregistrent des dépréciations et des pertes, qui diminuent leurs fonds propres donc leur solvabilité.
Opération sortir du cercle vicieux
Plus radicale, la création de structures de défaisance permettrait de délester le bilan des banques des actifs compromis et de sortir du cercle vicieux de la destruction des fonds propres. La mise en place de «bad banks» participera aussi à une opération vérité sur la véritable valorisation des actifs «pourris» que les banques détiennent en portefeuille et sur leur montant global. De nombreux experts estiment aujourd'hui que les valeurs inscrites au bilan sont souvent supérieures au prix de marché.
La grande peur des politiques et de la sphère financière, ce n'est pas tant de mettre en place des bad banks que d'être contraint ainsi de révéler au monde entier l'ampleur des dégâts. Certains observateurs n'hésitent pas à dire que la vérité des prix montrerait que les 4.500 milliards de dollars de fonds propres détenus par les banques de la planète avant la crise ont été en grande partie siphonnés. Reste à savoir qui doit assurer les coûts de portage des banques poubelles. Vu l'état gravissime de la situation, il n'y a guère que les Etats et les banques centrales qui soient capables d'assumer ce rôle. Et les gouvernements auront le plus grand mal à convaincre les opinions publiques d'accepter une telle charge. Pourtant, la valeur finale des actifs transférés peut être bien supérieure à leur prix initial. Le gouvernement helvétique a montré la voie en novembre pour éviter à UBS de sombrer, en isolant dans un fonds placé sous la houlette de la Banque Nationale Suisse, 60 milliards d'actifs dont la valeur est désormais ramené à 39 milliards.
Rejetées par nombre de gouvernements qui manquent de courage, la solution radicale des bad banks fait pourtant son chemin. Aux Etats-Unis, le nouveau plan de sauvetage des banques présenté par le secrétaire au Trésor Timothy Geithner, comprend la création d'un Financial Stability Trust pour fournir du capital aux banques et d'un Public-Private Investment Fund, qui s'apparente à une bad bank, pour financer le rachat des actifs risqués des banques américaines. Les investisseurs privés sont appelés à participer à ce programme qui sera doté dans un premier temps de 500 milliards mais pourra atteindre 1000 milliards de dollars.
Traitement de choc avant qu'il ne soit trop tard
Au Royaume-Uni, où le gouvernement est contraint de débloquer à nouveau 220 milliards d'euros pour garantir les actifs des banques, le ministre des Finances, Alistair Darling ne rejette pas l'idée d'une bad bank si le système d'assurance ne se révèle pas efficace. Les Allemands étudient pour leur part, la création d'une bad bank par établissement bancaire. De son côté, la Commission de Bruxelles travaille aussi sur le sujet.
Le temps presse. Moins les banques seront en situation de prêter, plus l'économie réelle s'enfoncera dans la crise. L'heure n'est plus aux postures idéologiques ou manichéennes, pour savoir si c'est bien ou mal de remettre les banques mondiales sur les rails et si le contribuable doit porter encore plus de risques. Il faut un traitement de choc pour soigner une maladie grave avant qu'elle soit fatale. Cela ne doit pas empêcher les gouvernements et institutions internationales de tirer les leçons de la crise. Et de faire obstacle à l'avenir aux dérives des acteurs de la sphère financière. Mais plonger dans une dépression planétaire au nom de la morale ne semble pas être l'attitude la plus responsable.
par Dominique Mariette, Slate