Pour la première fois depuis 1920, Moscou entreprend cet été un inventaire des exploitations agricoles. Un homme déja est heureux, c'est un pauysan russe
Evgueni Evguenievitch Latkine qui est le premier premier producteur individuel de pommes de terre de Russie.
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Evgueni Evguenievitch Latkine fait des jaloux dans sa région. Cet agriculteur de 49 ans est devenu le premier producteur individuel de pommes de terre de Russie. Ce solide paysan exploite une ferme près du bourg d'Arzamas, dans la région de Nijniy Novgorod, à six heures de route à l'est de Moscou. Dans un pays dont la production agricole s'est effondrée avec le démantèlement de l'URSS, où la collectivisation des terres a durablement marqué les structures et les esprits, Evgueni fait figure d'exception. Et pourtant, raconte-t-il, « il y a cinq ans, j'ai failli abandonner. Il fallait toujours investir ». Sans retour immédiat. Ce petit-fils de koulak (propriétaire terrien) déporté du nord de la Russie vers la région de Nijniy, fils d'un mécanicien de kolkhoze, a lui-même débuté comme tractoriste au kolkhoze local. En 1988, à la faveur des privatisations, il se lance, avec sa femme et ses deux filles.
En 2000, alors que la production ne décolle guère, Evgueni part à l'étranger. « J'ai compris deux choses : l'importance de la technique et l'utilité du crédit. » Il hypothèque sa maison pour 1 million de roubles (environ 30 000 eur) et, aidé par un entrepreneur local, emprunte 5 autres millions (150 000 eur). Un risque que ses voisins ne prennent pas.
«Ma meilleure récolte»
Emprunt, investissement dans des machines agricoles allemandes dernier cri, application scrupuleuse de méthodes agronomiques, tels sont les secrets de la réussite d'Evgueni. Ajoutés à un rythme de forçat : « Je travaille de 5 heures du matin à minuit. » La première année, il a réussi à faire grimper son rendement de pommes de terre de 6 tonnes par hectare à 25 tonnes sur des terres pourtant moins fertiles que le fameux tchernozium des plaines du sud et d'Ukraine. « L'an dernier, c'était ma meilleure récolte, j'ai fait 50 t/ha » (contre 42 t/ha en moyenne en France en 2005), raconte Evgueni dans son bureau, assis face à l'écran plat de son ordinateur qui affiche un tableau Excel bourré de chiffres. Le décor contraste avec les fermes de milliers de paysans russes encore privées d'électricité ou d'eau courante, parfois proches des conditions de l'époque du servage, aboli il y a cent cinquante ans.
Aujourd'hui, Evgueni exploite 2 500 hectares, loués à des particuliers et à la région. Il rémunère 30 salariés, 9 000 roubles par mois en moyenne (270 eur). Des revenus bien supérieurs aux 2 500 roubles perçus par les kolkhoziens d'Arzamas. Trente employés alors que les kolkhozes soviétiques de 1 000 hectares faisaient vivre 1 000 personnes. Le patron raconte avoir du mal à trouver des employés de qualité, et surtout sobres.
Evgueni s'offre chaque année deux voyages à l'étranger. De Hollande, il a ramené un système de ventilation pour le stockage des pommes de terre. « Avant, 30 à 40 % de ma récolte pourrissait. » C'est encore le cas chez de nombreux agriculteurs en Russie, héritiers d'un système entièrement tourné vers la production sans se soucier de la conservation. Aujourd'hui, un simple système d'air circulant contrôlé par ordinateur lui permet de limiter les pertes à 3 ou 5 %. Une révolution.
Un appétit sans limite
Evgueni ne se plaint pas. Mais il aurait bien aimé être davantage aidé par l'Etat. « C'est lui qui a tout détruit, et c'est moi qui reconstruis avec mon argent », raconte-t-il en faisant le tour du propriétaire, téléphone portable à la main. L'Etat lui fournit gratuitement l'électricité, lui rembourse les deux tiers des intérêts de ses emprunts et ne lui prélève que peu d'impôts. Mais au pays du pétrole et du gaz rois, l'Etat a largement laissé l'agriculture en friche. Avant 1990, le PSE (« Product support equivalent »), qui permet de mesurer le soutien public à l'agriculture, était de l'ordre de 75 % en Russie, contre environ 45 % dans l'UE. En clair, pour 100 $ de production, l'Etat russe en dépensait 75. En 2003, le PSE était quasiment nul en Russie : 0,9 %, contre 37 % dans l'UE. Le plus grand pays du monde importe aujourd'hui 20 % de ses besoins alimentaires. Mais l'agriculture figure désormais parmi les « quatre projets nationaux » annoncés par Vladimir Poutine l'an dernier (avec la santé, l'éducation et le logement). Un effort particulier portera sur l'élevage. L'Etat financera l'importation de 50 000 vaches. Une goutte de lait quand on sait que le cheptel bovin est passé de 50 millions de têtes dans les années 1985-1990 à 22 millions aujourd'hui, et qu'il en a perdu plus d'un million rien que l'an dernier. L'appétit d'Evgueni pour les terres ne connaît pas de limites. Il s'apprête à racheter les dettes du kolkhoze voisin, « Souvenir de Lénine », encore signalé par un panneau à l'effigie de Vladmir Illitch. Les machines sont hors d'âge, les bâtiments en ruine et beaucoup de terres abandonnées. Depuis une loi de 1997, les kolkhozes ont le statut de SARL et beaucoup de grandes entreprises moscovites en ont racheté. En homme avisé, Evgueni ne rachètera pas aux kolkhoziens leurs parcelles, il se contentera de les exploiter. « S'ils ne sont plus propriétaires, les kolkhoziens voleront les récoltes. »
Une solide tradition remontant au servage contre laquelle, Evgueni, comme d'autres exploitants, se prémunit en payant des gardes qui patrouillent jour et nuit dans ses champs.
Par Le figaro
Evgueni Evguenievitch Latkine qui est le premier premier producteur individuel de pommes de terre de Russie.
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Evgueni Evguenievitch Latkine fait des jaloux dans sa région. Cet agriculteur de 49 ans est devenu le premier producteur individuel de pommes de terre de Russie. Ce solide paysan exploite une ferme près du bourg d'Arzamas, dans la région de Nijniy Novgorod, à six heures de route à l'est de Moscou. Dans un pays dont la production agricole s'est effondrée avec le démantèlement de l'URSS, où la collectivisation des terres a durablement marqué les structures et les esprits, Evgueni fait figure d'exception. Et pourtant, raconte-t-il, « il y a cinq ans, j'ai failli abandonner. Il fallait toujours investir ». Sans retour immédiat. Ce petit-fils de koulak (propriétaire terrien) déporté du nord de la Russie vers la région de Nijniy, fils d'un mécanicien de kolkhoze, a lui-même débuté comme tractoriste au kolkhoze local. En 1988, à la faveur des privatisations, il se lance, avec sa femme et ses deux filles.
En 2000, alors que la production ne décolle guère, Evgueni part à l'étranger. « J'ai compris deux choses : l'importance de la technique et l'utilité du crédit. » Il hypothèque sa maison pour 1 million de roubles (environ 30 000 eur) et, aidé par un entrepreneur local, emprunte 5 autres millions (150 000 eur). Un risque que ses voisins ne prennent pas.
«Ma meilleure récolte»
Emprunt, investissement dans des machines agricoles allemandes dernier cri, application scrupuleuse de méthodes agronomiques, tels sont les secrets de la réussite d'Evgueni. Ajoutés à un rythme de forçat : « Je travaille de 5 heures du matin à minuit. » La première année, il a réussi à faire grimper son rendement de pommes de terre de 6 tonnes par hectare à 25 tonnes sur des terres pourtant moins fertiles que le fameux tchernozium des plaines du sud et d'Ukraine. « L'an dernier, c'était ma meilleure récolte, j'ai fait 50 t/ha » (contre 42 t/ha en moyenne en France en 2005), raconte Evgueni dans son bureau, assis face à l'écran plat de son ordinateur qui affiche un tableau Excel bourré de chiffres. Le décor contraste avec les fermes de milliers de paysans russes encore privées d'électricité ou d'eau courante, parfois proches des conditions de l'époque du servage, aboli il y a cent cinquante ans.
Aujourd'hui, Evgueni exploite 2 500 hectares, loués à des particuliers et à la région. Il rémunère 30 salariés, 9 000 roubles par mois en moyenne (270 eur). Des revenus bien supérieurs aux 2 500 roubles perçus par les kolkhoziens d'Arzamas. Trente employés alors que les kolkhozes soviétiques de 1 000 hectares faisaient vivre 1 000 personnes. Le patron raconte avoir du mal à trouver des employés de qualité, et surtout sobres.
Evgueni s'offre chaque année deux voyages à l'étranger. De Hollande, il a ramené un système de ventilation pour le stockage des pommes de terre. « Avant, 30 à 40 % de ma récolte pourrissait. » C'est encore le cas chez de nombreux agriculteurs en Russie, héritiers d'un système entièrement tourné vers la production sans se soucier de la conservation. Aujourd'hui, un simple système d'air circulant contrôlé par ordinateur lui permet de limiter les pertes à 3 ou 5 %. Une révolution.
Un appétit sans limite
Evgueni ne se plaint pas. Mais il aurait bien aimé être davantage aidé par l'Etat. « C'est lui qui a tout détruit, et c'est moi qui reconstruis avec mon argent », raconte-t-il en faisant le tour du propriétaire, téléphone portable à la main. L'Etat lui fournit gratuitement l'électricité, lui rembourse les deux tiers des intérêts de ses emprunts et ne lui prélève que peu d'impôts. Mais au pays du pétrole et du gaz rois, l'Etat a largement laissé l'agriculture en friche. Avant 1990, le PSE (« Product support equivalent »), qui permet de mesurer le soutien public à l'agriculture, était de l'ordre de 75 % en Russie, contre environ 45 % dans l'UE. En clair, pour 100 $ de production, l'Etat russe en dépensait 75. En 2003, le PSE était quasiment nul en Russie : 0,9 %, contre 37 % dans l'UE. Le plus grand pays du monde importe aujourd'hui 20 % de ses besoins alimentaires. Mais l'agriculture figure désormais parmi les « quatre projets nationaux » annoncés par Vladimir Poutine l'an dernier (avec la santé, l'éducation et le logement). Un effort particulier portera sur l'élevage. L'Etat financera l'importation de 50 000 vaches. Une goutte de lait quand on sait que le cheptel bovin est passé de 50 millions de têtes dans les années 1985-1990 à 22 millions aujourd'hui, et qu'il en a perdu plus d'un million rien que l'an dernier. L'appétit d'Evgueni pour les terres ne connaît pas de limites. Il s'apprête à racheter les dettes du kolkhoze voisin, « Souvenir de Lénine », encore signalé par un panneau à l'effigie de Vladmir Illitch. Les machines sont hors d'âge, les bâtiments en ruine et beaucoup de terres abandonnées. Depuis une loi de 1997, les kolkhozes ont le statut de SARL et beaucoup de grandes entreprises moscovites en ont racheté. En homme avisé, Evgueni ne rachètera pas aux kolkhoziens leurs parcelles, il se contentera de les exploiter. « S'ils ne sont plus propriétaires, les kolkhoziens voleront les récoltes. »
Une solide tradition remontant au servage contre laquelle, Evgueni, comme d'autres exploitants, se prémunit en payant des gardes qui patrouillent jour et nuit dans ses champs.
Par Le figaro