Import-import et marché informel en Algérie
Villas luxueuses, grosses cylindrées et train de vie royal ne sont plus les attributs de certaines capitales du luxe certifié. A l’image des nababs russes ayant largement profité de la déconfiture de l’empire soviétique, l’ouverture du commerce extérieur en Algérie a permis l’émergence d’une nouvelle caste de milliardaires, visages de l’évasion et de la fraude fiscales à outrance.

Perchés sur les hauteurs d’Alger, ou nichés au fond de petites villes de l’intérieur du pays, gros requins et petits poissons tiennent en tenaille tout le marché. Une boucle à l’origine de l’inflation des prix des produits importés. Car si les petits marchands ambulants et autres commerçants d’«el cabas» et du conteneur prospèrent, c’est bien grâce aux barons de l’import, parrains protecteurs envers les petites mains qui hantent les souks. Un petit tour à El Eulma, ville marché en éternel chantier donne le ton. Les ventes au détail dans le bazar le plus connu du pays n’est en fait que le dernier maillon d’une chaîne qui remonte vers les gros barons de la capitale. Une dizaine, d’après l’un de nos interlocuteurs ayant eu maille avec la filière, qui retiennent en otage une nation entière. Des barons de l’import-import autour desquels se constituent des consortiums d’investisseurs en bonne et due forme, à la différence près que l’ensemble des engagements pris ne font l’objet d’aucun contrat ni acte notarié. Les transactions sont donc intraçables et s’effectuent via des circuits informels.
Les investisseurs financent la totalité de l’opération en espérant en tirer un bénéfice de 50% au prorata de leur participation à la mise de départ. Au parrain, ils cèdent à l’avance un paiement cash en plus d’une commission. En contrepartie, celui-ci disposant d’un réseau de négociateurs à l’étranger, notamment en Chine, en Turquie et en Europe de l’Est, de comptes bancaires, de biens et même pour certains d’unités industrielles à l’étranger, ainsi que de soutiens biens placés en haut lieu, s’engage à apporter toutes les garanties d’une transaction sans risques aussi bien pour les investisseurs que pour les fournisseurs étrangers. Mieux encore, les barons s’arrangent pour ne pas se marcher sur les plates-bandes, pour ne pas inonder le marché avec un produit, notamment lorsqu’il s’agit de ciment ou de rond à béton, pour ne pas créer une pression à la baisse sur les prix. A ce stade, deux choix s’offrent à l’investisseur : ne se préoccuper de rien d’autre que le bénéfice à tirer, d’autant plus que le baron peut garantir la vente de la marchandise à quai de port, ou bien récupérer son capital et bénéfices en nature. Des marchandises qu’il pourra distribuer sur le marché informel via les petites mains.
Tonneau des Danaïdes
Mais dans les deux cas, il faudra s’assurer de complicités. Car, si pour le petit poisson il suffit de soudoyer certaines autorités au niveau local pour récupérer les marchandises en cas de saisie ou de rafle surprise, pour le baron le système est plus complexe et oserait-on dire ingénieux. Ayant mis un ou plusieurs responsables dans la poche en cas de survenance de gros couac, la douane est le second verrou que le parrain de l’import fait sauter en toute facilité. L’enjeu : le vu à quai.
Le crédit documentaire impose aujourd’hui certes une certaine traçabilité des transactions financières, mais la vérification des déclarations et des marchandises à quai dépend de l’agent des douanes. Un agent qui demeure corruptible. Un ex-cadre de l’administration douanière nous explique ainsi que tout se joue durant l’inspection. «Détaillé ou sommaire, cela dépendra des relations que l’agent des douanes entretient avec l’importateur ou son transitaire», ironise-t-il. Un commissionnaire en douanes, aujourd’hui à la retraite, se dit d’ailleurs étonné de l’ingéniosité et de la capacité d’adaptation des importateurs qui redoublent d’efforts pour diversifier leurs fausses déclarations. Il cite à titre d’exemple la minoration de la valeur en douane via les fausses déclarations sur la qualité de la marchandise importée ou la quantité arrivée à quai. Ils recourent souvent, explique-t-il, au subterfuge consistant à déclarer des marchandises au lieu d’autres pour profiter des meilleurs taux de taxation (droit de douanes et TVA à l’import). Exercice aisé lorsqu’on pense qu’ils peuvent compter sur la complicité des fournisseurs et des conseils prodigués par d’habiles consultants algériens établis en majorité en Chine.
Le langage au sein de l’administration fiscale est quant à lui sans équivoque. Une fois que la marchandise passe la frontière, il est ardu de faire face aux déperditions. Un cadre de l’administration fiscale explique, ainsi, que ce qui est déclaré aux douanes n’est en réalité que le tiers de ce qui est réellement introduit sur le marché. En plus de la complicité au sein des douanes, les importateurs ne manquent pas d’idées pour brouiller les pistes. Entre registres de commerce loués où tout bonnement de faux registres de commerce que les opérateurs véreux n’hésitent plus à produire, il devient difficile de faire le tri. Même si le ministère du Commerce planche actuellement sur le projet de création d’un registre de commerce infalsifiable, cette mesure est loin de limiter la saignée. Pour notre interlocuteur, il existe bien une pléthore de textes, mais sur le terrain c’est le tonneau des Danaïdes. Intraçabilité des opérations, inexistence du chèque lors des transactions, absence de facturation ne sont que les symptômes d’un seul et même mal, la déstructuration d’un marché devenu complètement incontrôlable.
Roumadi Melissa- El Watan
Villas luxueuses, grosses cylindrées et train de vie royal ne sont plus les attributs de certaines capitales du luxe certifié. A l’image des nababs russes ayant largement profité de la déconfiture de l’empire soviétique, l’ouverture du commerce extérieur en Algérie a permis l’émergence d’une nouvelle caste de milliardaires, visages de l’évasion et de la fraude fiscales à outrance.

Perchés sur les hauteurs d’Alger, ou nichés au fond de petites villes de l’intérieur du pays, gros requins et petits poissons tiennent en tenaille tout le marché. Une boucle à l’origine de l’inflation des prix des produits importés. Car si les petits marchands ambulants et autres commerçants d’«el cabas» et du conteneur prospèrent, c’est bien grâce aux barons de l’import, parrains protecteurs envers les petites mains qui hantent les souks. Un petit tour à El Eulma, ville marché en éternel chantier donne le ton. Les ventes au détail dans le bazar le plus connu du pays n’est en fait que le dernier maillon d’une chaîne qui remonte vers les gros barons de la capitale. Une dizaine, d’après l’un de nos interlocuteurs ayant eu maille avec la filière, qui retiennent en otage une nation entière. Des barons de l’import-import autour desquels se constituent des consortiums d’investisseurs en bonne et due forme, à la différence près que l’ensemble des engagements pris ne font l’objet d’aucun contrat ni acte notarié. Les transactions sont donc intraçables et s’effectuent via des circuits informels.
Les investisseurs financent la totalité de l’opération en espérant en tirer un bénéfice de 50% au prorata de leur participation à la mise de départ. Au parrain, ils cèdent à l’avance un paiement cash en plus d’une commission. En contrepartie, celui-ci disposant d’un réseau de négociateurs à l’étranger, notamment en Chine, en Turquie et en Europe de l’Est, de comptes bancaires, de biens et même pour certains d’unités industrielles à l’étranger, ainsi que de soutiens biens placés en haut lieu, s’engage à apporter toutes les garanties d’une transaction sans risques aussi bien pour les investisseurs que pour les fournisseurs étrangers. Mieux encore, les barons s’arrangent pour ne pas se marcher sur les plates-bandes, pour ne pas inonder le marché avec un produit, notamment lorsqu’il s’agit de ciment ou de rond à béton, pour ne pas créer une pression à la baisse sur les prix. A ce stade, deux choix s’offrent à l’investisseur : ne se préoccuper de rien d’autre que le bénéfice à tirer, d’autant plus que le baron peut garantir la vente de la marchandise à quai de port, ou bien récupérer son capital et bénéfices en nature. Des marchandises qu’il pourra distribuer sur le marché informel via les petites mains.
Tonneau des Danaïdes
Mais dans les deux cas, il faudra s’assurer de complicités. Car, si pour le petit poisson il suffit de soudoyer certaines autorités au niveau local pour récupérer les marchandises en cas de saisie ou de rafle surprise, pour le baron le système est plus complexe et oserait-on dire ingénieux. Ayant mis un ou plusieurs responsables dans la poche en cas de survenance de gros couac, la douane est le second verrou que le parrain de l’import fait sauter en toute facilité. L’enjeu : le vu à quai.
Le crédit documentaire impose aujourd’hui certes une certaine traçabilité des transactions financières, mais la vérification des déclarations et des marchandises à quai dépend de l’agent des douanes. Un agent qui demeure corruptible. Un ex-cadre de l’administration douanière nous explique ainsi que tout se joue durant l’inspection. «Détaillé ou sommaire, cela dépendra des relations que l’agent des douanes entretient avec l’importateur ou son transitaire», ironise-t-il. Un commissionnaire en douanes, aujourd’hui à la retraite, se dit d’ailleurs étonné de l’ingéniosité et de la capacité d’adaptation des importateurs qui redoublent d’efforts pour diversifier leurs fausses déclarations. Il cite à titre d’exemple la minoration de la valeur en douane via les fausses déclarations sur la qualité de la marchandise importée ou la quantité arrivée à quai. Ils recourent souvent, explique-t-il, au subterfuge consistant à déclarer des marchandises au lieu d’autres pour profiter des meilleurs taux de taxation (droit de douanes et TVA à l’import). Exercice aisé lorsqu’on pense qu’ils peuvent compter sur la complicité des fournisseurs et des conseils prodigués par d’habiles consultants algériens établis en majorité en Chine.
Le langage au sein de l’administration fiscale est quant à lui sans équivoque. Une fois que la marchandise passe la frontière, il est ardu de faire face aux déperditions. Un cadre de l’administration fiscale explique, ainsi, que ce qui est déclaré aux douanes n’est en réalité que le tiers de ce qui est réellement introduit sur le marché. En plus de la complicité au sein des douanes, les importateurs ne manquent pas d’idées pour brouiller les pistes. Entre registres de commerce loués où tout bonnement de faux registres de commerce que les opérateurs véreux n’hésitent plus à produire, il devient difficile de faire le tri. Même si le ministère du Commerce planche actuellement sur le projet de création d’un registre de commerce infalsifiable, cette mesure est loin de limiter la saignée. Pour notre interlocuteur, il existe bien une pléthore de textes, mais sur le terrain c’est le tonneau des Danaïdes. Intraçabilité des opérations, inexistence du chèque lors des transactions, absence de facturation ne sont que les symptômes d’un seul et même mal, la déstructuration d’un marché devenu complètement incontrôlable.
Roumadi Melissa- El Watan