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La Paykan, malédiction automobile de l’Iran

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  • La Paykan, malédiction automobile de l’Iran

    Bonjour, saga de l'industrie automobile iranienne...
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    L’homme d’affaires occidental qui débarque à l’aéroport de Téhéran et appelle un taxi va s’engouffrer, sans le savoir, dans une encyclopédie de l’économie iranienne. C’est bien vrai : les tôles froissées, le moteur poussif, les poignées arrachées et les sièges fatigués de la Paykan qui emporte notre voyageur en direction de son hôtel peuvent raconter, mieux que des dizaines de rendez-vous, les dysfonctionnements d’un système étatisé à la révolution de 1979, les stigmates laissés par huit années de guerre contre l’Irak et le formidable potentiel d’un marché de 65 millions d’Iraniens.

    La Paykan (qui signifie arc, inspiré par les bas reliefs de Persépolis), c’est la voiture nationale. Fabriquée sans interruption depuis 33 ans par l’entreprise Iran Khodro et ses 14’000 employés sur le modèle de la vieille Hillmann Hunter britannique, à raison aujourd’hui de 126'000 exemplaires par an, dont 95% de pièces produites localement.

    Commençons par cette odeur d’essence qui flotte en permanence. Le carburateur est percé mais cela ne fait rien : l’essence est gratuite ou presque. A 12 francs le plein de 40 litres (taux de change du marché libre), c’est sans doute la moins chère au monde. Une aubaine pour les Paykan, qui consomment jusqu’à 30 litres aux cent kilomètres, mais un désastre incalculable pour le gouvernement. Il se ruine à subventionner l’essence pour maintenir la paix sociale : le litre de benzine lui coûte 1200 rials, souvent importée à cause des faibles capacités de raffinage du brut iranien, alors qu’il se vend 350 à la pompe. Avec une consommation intérieure de 1,6 million de barils par jour, qui commence à grever sérieusement les exportations, cela porte le prix de la subvention à 10 milliards de francs par an, soit près d’un dixième du budget de l’Etat pour l’année persane 1379 (2000-2001).

    Tout ce pétrole brûlé fait de Téhéran une des villes les plus polluées au monde. Pour notre homme d’affaires, dont les bronches vont désormais s’enrichir d’un demi gramme de plomb par jour, c’est le moment de s’intéresser au prix de la guimbarde qui vibre de tous ses boulons dans sa montée vers les quartiers du nord où logent les plus fortunés des 12 millions d’habitants de la métropole. Oui, il a bien compris la réponse du chauffeur : 58 millions de rials (50'000 francs), à peu près le prix hors taxe d’une Renault Clio. Comment les usines Iran Khodro justifient-elles un prix pareil alors que les coûts en Iran sont entre dix et vingt fois inférieurs à l’Europe, et surtout comment font les Iraniens pour s’en acheter une, alors que le salaire moyen tourne autour des 600 francs par mois ?

    On touche là aux mystères de l’économie iranienne et ces deux questions allongent un sourire navré sur le visage de Majid Torkan, vice ministre de l’industrie et patron du conglomérat gouvernemental IDRO qui dirige toute l’industrie automobile du pays. " Les Iraniens aiment tellement les Paykan, dit-il avec ironie, qu’ils en ont fait une valeur de placement ". C’est bien vrai : pour acquérir une Paykan il faut déposer 30 millions de rials (24'000 francs). La période de dépôt correspond souvent à la " décade de l’aurore ", du 1er au 11 février, qui commémore le triomphe de la révolution en 1979. Ensuite, il faut attendre presque deux ans durant lesquels sera servi un taux d’intérêt de 18% (vu l’interdiction de l’intérêt par le Coran, cela s’appelle " compensation de l’inflation ") et payer encore 10 millions de rials (8000 francs) à la réception du véhicule. A ce moment, la grande majorité des acheteurs se dirigent tout droit vers le marché noir, où ils revendent immédiatement la Paykan avec un bénéfice allant jusqu’à 10 millions. Dans ce marché de pénurie, complètement fermé aux importations, tous les prix sont permis. Il arrive même qu’une Paykan de 1978 coûte plus cher qu’une de 1988, parce qu’elle contient plus de pièces britanniques.

    " La Paykan, c’est plus qu’une voiture, soupire un haut responsable du ministère de l’industrie qui désire garder l’anonymat. C’est une banque, c’est un indicateur économique comme le prix de l’or et c’est un désastre. Une malédiction. Nous avons calculé que si le gouvernement offrait une voiture neuve à tous les propriétaires de vieilles Paykan, il retrouverait son argent en trois ans, grâce aux économies sur la consommation de pétrole ".

    La rancune de haut fonctionnaire à l’égard de la voiture qui le transporte chaque jour dans les embouteillages de la capitale semble ne pas avoir de limite. " L’Iran est coupé du monde depuis 20 ans, dit-il. Voilà pourquoi nous faisons des Paykan ! Mais nous ne sommes pas les seuls responsables. Tout le monde dans ce pays fait sa Paykan. Les banques, la télévision, les cadres de l’administration, les douanes, les fondations révolutionnaires, et tellement d’autres. Le jour où la Paykan changera, tout changera ".

    Mais on ne se débarrasse pas aussi facilement de la Paykan ; Majid Torkan, à la tête de toute l’industrie automobile du pays, est bien placé pour le savoir. Début 2000, il annonçait que la Paykan serait progressivement remplacée par la Peugeot 405, produite depuis 1992 par Iran Khodro. Cela a déclenché un tel tollé chez les milliers d’investisseurs inquiets pour leurs dividendes que Torkan a dû faire marche arrière. " Nous allons continuer plus longtemps que prévu, dit-il, mais surtout augmenter la production des Peugeot. Nos objectifs sont de 500'000 véhicules toutes marques et catégories confondues produits par an dès 2003, au lieu de 250'000 aujourd’hui ". Une étude récente des consultants irano-américains Atieh Bahar estime la demande totale à 600'000 véhicules par an.

    Chez Peugeot, on est plus prudent. " Le potentiel du marché iranien est important mais nous avons du mal à l’appréhender, explique Michel Mansuy, représentant de la marque française à Téhéran. Les listes d’attente des investisseurs ainsi que la situation de pénurie nous masquent la demande effective ". Quant à la production de 405, en dents de scie, elle n’est pas liée à la demande mais à la disponibilité de devises pour importer les pièces CKD françaises, qui représentent encore 30 à 35% du véhicule fini. " En 2000, nous progressons fortement puisque nous sommes à 25'000 véhicules à fin septembre contre 5'000 à la même période l’an dernier ", poursuit Michel Mansuy.

    Les liens sont étroits, entre le constructeur de Sochaux et l’Iran, qui fut en 1998 le plus gros client hors Europe. Iran Khodro, le plus gros conglomérat industriel du Moyen-Orient, a déjà mené à terme deux développements de la 405 : un modèle intitulé Peugeot Persia, doté d’une carrosserie plus moderne et d’un moteur à injection, qui sera livrable début 2001, et un modèle tout à fait particulier, la Peugeot RD, où la coque est celle d’une 405 alors que le châssis et le moteurs sont ceux d’une … Paykan. Le mariage fut techniquement difficile, la Paykan étant à propulsion et la Peugeot à traction avant, mais connaît actuellement un succès commercial. Surtout, on attend la production en série de 206, à destination de consommateurs jeunes et urbains. La publicité bat déjà son plein à la TV iranienne mais la souscription n’a pas encore commencé. La production devrait commencer à petite cadence mais les ambitions sont grandes, et, de source iranienne, on parle d’une production de plusieurs dizaines de milliers de véhicules par an à partir d’octobre 2001.

    La suite...
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

  • #2
    Ainsi, l’immortalité de la Paykan est trompeuse : l’industrie automobile iranienne est en plein essor. Sa croissance durant les cinq dernières années fut de 27,6% en moyenne. " L’usine d’Iran Khodro pousse de partout, recrute et développe des projets, raconte Michel Mansuy. Et l’activité n’est pas moins fébrile chez les fournisseurs ". Pour beaucoup d’analystes, cette phase d’investissements intensifs explique aussi le prix élevé des voitures.

    Plusieurs nouveaux modèles devraient ainsi venir animer un paysage routier dominé par les Paykan : la Citroën Xantia, dont l’assemblage doit commencer dans les usines de Saïpa, second constructeur iranien après Iran Khodro, qui produit des modèles du Coréen Kia après avoir assemblé, respectivement à partir de 1968 et de 1975, des Citroën Diane et des Renault 5. Troisième constructeur national, Pars Khodro, à vendre, intéressait FIAT pour produire des Palio et Volkswagen pour un modèle Skoda, mais a finalement été achetée par Saipa. Plus petit encore, le Groupe Bahman commence la commercialisation de la Mazda 323 alors que Kerman Motors, partenaire de Daewoo, lance cette année un petit modèle, la Matiz.

    Mais le projet mystérieux qui fouette l’imaginaire des amateurs de voitures iraniennes va sortir du géant Iran Khodro. Il a pour nom de code X7 : une nouvelle " voiture nationale " que les spécialistes surnomment déjà " Paykan 2000 ". " Ce sera du haut de gamme, nous avons travaillé sur le design grâce à Internet ", promet Majid Torkan. " Tout a été conçu et fabriqué en Iran ", ajoute Ali Reza Ghalambor, directeur des exportations chez Iran Khodro. Dans les faits, la berline en question, dont les images circulent au compte-goutte, est un savant mélange de style coréen, allemand et français. Elle est née dans un bureau d’ingénieurs britannique, First Automative, qui la destinait à Taiwan. Le partenaire taiwanais ayant fait faux bond, les Anglais ont approché l’Argentine, la Chine et l’Iran, où un contrat a été signé en mai 1995. La ligne de production X7, fabriquée avec les Coréens de Hyundai, sera la première en Iran à comporter des robots, qui seront pilotés par des logiciels iraniens et allemands (Siemens). Elle aura une capacité de 100'000 véhicules par an, équipés d’un moteur Peugeot 2000 cm3. Les premiers exemplaires devraient sortir au printemps 2001.

    On ne chôme pas non plus du côté des fournisseurs. En quelques années, ce réseau de plus de 600 sociétés s’est hissé à des niveaux de qualité leur permettant d’exporter en Europe. Peugeot a d’ailleurs entraîné passablement de ses fournisseurs européens à venir passer des accords en Iran, " pour augmenter la qualité des composants locaux entrant dans la fabrication des voitures en Iran", explique Michel Mansuy. Citroën, de son côté, a signé un contrat de " buy-back " pour la Xantia : le montant des importations nécessaires en CKD sera compensé d’un montant égal en exportations de pièces qui seront intégrées dans la production européenne. De plus, une bonne partie des Xantia assemblées en Iran est elle aussi destinée à l’exportation.

    " Le secteur automobile est stratégique en Iran, estime Siamak Namazi, consultant formé aux Etats-Unis, directeur du risk management chez Atieh Bahar à Téhéran. Ce secteur emploie en tout 540'000 personnes dans le pays, il a d’excellentes perspectives de croissance avec aujourd’hui une offre trois fois inférieure à la demande et peut créer 600'000 emplois en cinq ans, ce qui répond directement aux priorités fixées par le 3ème plan quinquennal du président Khatami ". De plus, une certaine stabilité semble garantie sur le marché grâce à une interdiction complète (et semble-t-il durable) des importations. Au cours des vingt dernières années, la politique douanière a plusieurs fois été modifiée radicalement, de l’ouverture sauvage à la fermeture totale, ruinant au passage à la fois les industriels qui avaient investi dans leur outils de production et les importateurs qui avaient engagé d’importants frais de représentation. Aujourd’hui, on parle d’un quota de 30'000 véhicules importés par an, des voitures de luxe très lourdement taxées qui ne concurrenceraient pas la production nationale.

    Pour l’investisseur étranger, Atieh Bahar estime que le secteur automobile dans son ensemble est digne d’intérêt, mais insiste sur deux produits particulièrement nécessaires et porteurs : un 4x4 de taille moyenne et bon marché pour compléter l’offre des Nissan Patrol dont l’assemblage par Pars Khodro plafonne à 8'500 exemplaires par an, et des autobus alimentés au gaz naturel compressé (CNG) pour les transports publics de Téhéran, qui étouffe de pollution et où le réseau de transports en commun n’est qu’à l’état embryonnaire.

    De cet avenir prometteur, la visite de l’usine Iran Khodro à Paykanshar (qui signifie ville des Paykan), 20 km à l’ouest de la capitale, donne un pâle reflet. Des carcasses de Paykan se balancent avec indécision au plafond. Des pièces manufacturées au chalumeau sont jetées à terre sans ménagement, prenant là leur baptême de chocs en prévision de la circulation chaotique de Téhéran. Les 14'000 ouvriers de cette usine qui s’étend sur 3 millions de mètres carrés sont considérés comme l’élite industrielle du pays. Ils reçoivent 250 dollars par mois (trois fois le salaire d’un fonctionnaire moyen) sans compter les avantages en nature : des rations de riz et de poulet, des bons pour des chaussures, une excellente couverture sociale. " Notre système de management est basé sur le modèle japonais de l’esprit de kaizen (s’améliorer chaque jour) ", explique Ali Reza Ghalambor, directeur des exportations. Mais les hymnes à la productivité, chantés dans les usines japonaises, sont remplacés ici par la prière, particulièrement fréquentée en période de ramadan. Au mur, il y a aussi une boîte pour les idées et un set de casseroles à gagner pour celui qui aura la meilleure.


    Par Serge Michel
    12/4/2000 IranReporter
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

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