Jusqu’où peut aller le capitalisme familial en Algérie ?
Cette question longtemps évacuée en raison des priorités plus stratégiques comme toujours a fini par occuper pour un temps limité le devant de la scène à l’occasion d’une communication présentée à Paris par un professeur émérite d’économie et précédemment grand argentier du pays à la faveur d’une cérémonie de remise de diplômes aux lauréats de la (déjà) prestigieuse Ecole supérieure algérienne des affaires, fruit d’une coopération entre les gouvernements algérien et français.

Il faut convenir qu’aussi bien le moment que le lieu s’y prêtaient pour évoquer un tel sujet, d’une importance extrême pour l’avenir de la nation engagée dans une perspective libérale de développement. Les termes de l’équation sont simples, le secteur privé national porté jusqu’à présent par un capitalisme familial débridé réussira t il là ou le secteur public dopé par un capitalisme d’Etat rentier a échoué dans la conduite du projet historique de faire entrer l’Algérie dans le cercle des pays développés. D’abord, il faut reconnaître que si le secteur public n’a pas atteint les résultats escomptés, ce n’est pas tant la faute à sa nature de secteur public mais c’est beaucoup plus à l’encadrement politique dont il a été l’objet, erreur qui continue du reste de se commettre encore aujourd’hui au nom du dogme du propriétaire. Ensuite, il faut admettre que le secteur public a permis aux gestionnaires une connaissance approfondie des entreprises dans les fonctions de l’organisation, de la gestion des ressources humaines, de la réalisation des projets et pour beaucoup parmi ces cadres de rivaliser avec les compétences étrangères dans le management stratégique. C’est dire que le secteur public a généré des élites managériales qui auraient pu faire un contre poids au capitalisme des familles qui peuple aujourd’hui l’économie algérienne. Le pouvoir dans les entreprises privées algériennes n’est pas comme dans les entreprises des pays développés pris par les managers mais concentré entre les mains des propriétaires(dans tous les cas de figure, c’est la famille) en raison d’une absence totale de dispersion de l’actionnariat d’une part et d’un recours à l’emprunt et au crédit bancaire, d’autre part. Le marché financier n’a jamais constitué une préoccupation de ce capitalisme familial, voire clanique. Ce capitalisme familial en Algérie est très certainement satisfait de sa belle réussite et de sa participation au développement du pays. La plupart des sociétés privées affichent une bonne santé et arrivent même à supporter la concurrence étrangère puisque les faillites ou les liquidations ne sont pas légions. Seulement, il reste fermé à toute croissance externe et ne cultive pas la connaissance en termes d’organisation et de formation parce que la compétitivité n’est pas encore à l’ordre du jour. Les analyses qui ont été menées à ce jour par les spécialistes de différentes disciplines sur les conditions d’émergence du secteur privé en Algérie et la structure familiale du capital n’expliquent pas son positionnement dans la compétition économique ouverte qui se joue actuellement et ne font pas état d’une possible stratégie d’intégration en termes d’alliance avec d’autres acteurs nationaux ou étrangers. On a vu par exemple une alliance se conclure sous forme de partenariat entre un capital familial national et un capital étranger et qui s’est vite dénouée par une cession des actions au profit du partenaire étranger. La même opération dans un autre secteur de l’activité économique réalisée entre un opérateur public et un partenaire étranger a aboutit au même résultat, quoique pour des motivations différentes mais avec un objectif identique. Ces deux secteurs sont ils devenus archaïques pour le capital étranger et finalement les partenariats ciblés ne servent que comme porte d’entrée. Est ce à dire que l’absence de stratégie industrielle et donc de perspectives mettent mal à l’aise aussi bien les opérateurs privés que les opérateurs publics qui n’arrivent pas à contenir l’appétit des partenaires. D’autres suivront la même trajectoire et ce sera peut être le début de la fin du capitalisme familial après la disparition de son rival le capitalisme d’état. Certains diront que ceci n’est qu’affaire de temps et que les formes anciennes du capitalisme, moins efficaces, sont vouées à disparaître. Rien n’est moins sûr : en France, par exemple, les entreprises familiales, qui représentent 45 % des entreprises du Cac 40 (l’Oréal, Michelin…), dégagent une rentabilité des capitaux investis significativement supérieure à celle des entreprises non familiales, preuve qu’il ne s’agit pas d’un modèle archaïque. Seulement pour pouvoir se mouvoir et conserver sa structure familiale, il devient urgent pour le capital privé d’investir dans la connaissance et la formation et se doter ainsi des compétences qui puissent lui garantir sa croissance et lui assurer une présence continue dans le champ économique national. Il prendra le chemin inverse du secteur public pour mener à son terme le projet national de développement du pays.

Dib Saïd el watan