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Ryanair, le requin du ciel

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  • Ryanair, le requin du ciel

    Leading Verge. De cette société, on ne connaît que l'adresse : 26 Duke St. Douglas, île de Man, paradis fiscal bien connu. C'est pourtant à cette entreprise fantôme que, en octobre 2002, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Montpellier a attribué, après appel d'offres, un marché de « promotion de lignes au départ d'aéroports européens vers Montpellier ». Leading Verge recevra 300 000 euros de la CCI s'il parvient à attirer 100 000 passagers par an. Ou plutôt si Ryanair y parvient, la société mère irlandaise et masquée de Leading Verge, plus connue pour proposer des vols à bas prix. Roger Delmare, le directeur général de la CCI, le confirme, estimant avoir agi en toute légalité face aux exigences financières de Ryanair. « Il était hors de question d'attribuer une aide directe au groupe », dit-il. Reste que l'attribuer à sa filiale revient un peu au même.

    Montpellier n'est pas un cas particulier. Tarifs d'escale réduits, participation aux frais de marketing et parfois financement de la formation et des frais d'hébergement des personnels... Partout en Europe, Ryanair tente d'obtenir des aéroports, souvent trop petits pour refuser, un maximum de subventions contre la promesse d'un trafic élevé et de belles retombées commerciales. Pour la société irlandaise, c'est le jackpot : gagnant déjà de l'argent sans aides publiques, elle a trouvé là le moyen de faire exploser ses profits. Aussi longtemps, en tout cas, que les tribunaux et les instances de la Commission européenne, saisis de plusieurs recours pour aide d'Etat et concurrence déloyale, n'interdiront pas ces pratiques.

    Vêtu le plus souvent d'un maillot de rugby et d'une paire de jeans, Michael O'Leary, 42 ans, a façonné la compagnie qu'il dirige depuis 1997 à son image. Ryanair fonctionne comme une équipe entraînée dans un seul but : inscrire le maximum de points sur la ligne du bas de son bilan. Pour les aéroports français, les piliers de sa dream team sont Valérie Gateau, directrice commerciale, et surtout Bernard Berger, directeur du développement des nouveaux trajets. « Avec eux, c'est blanc ou noir, raconte à leur propos Thomas Juin, le directeur de l'aéroport de La Rochelle, que Ryanair relie à Londres depuis le 1er mai. Cela a le mérite d'être très clair. » En tant que directeur de la CCI de Tarbes, Camille Denagiscarde a également discuté avec eux pour l'ouverture - finalement avortée - d'une ligne entre Londres et sa ville. « Ils attaquent toujours très haut », raconte-t-il, muni d'un courrier de Bernard Berger exigeant un tarif réduit de 150 euros pour chaque service d'escale (83 % de réduction) et 25 euros par passager en échange d'une promotion sur Internet, le tout pour vingt ans. « L'accord financier trouvé, ils organisent une conférence de presse dans les deux jours et n'évoquent le montage financier qu'une fois la ligne lancée. Le respect de la légalité n'est pas leur problème. C'est pourtant du détournement d'argent public dans la poche d'une entreprise privée ! » s'emporte le président de la CCI de Tarbes.

    A l'évidence, ses voisins de Pau, distants de seulement 31 kilomètres, ont eu moins de scrupules en examinant les conditions de Ryanair. En jeu, le flux des pèlerins britanniques vers Lourdes, qui jusqu'ici transitait par Tarbes, avec Air Méditerranée. Pour l'emporter, la CCI de la capitale béarnaise a promis 80 000 euros pour le lancement de la ligne vers Londres, puis 400 000 euros par an si Ryanair fait débarquer 50 000 passagers à Pau. « Personne ne nous met au pied du mur », assure Patrice Bernos, directeur général de la CCI. De son côté, Valérie Gateau déclarait en janvier à L'Expansion : « Nous ne forçons pas les aéroports à accepter nos conditions. Nous sommes simplement une entreprise privée qui cherche à gagner de l'argent. » Depuis, c'est le silence radio à Ryanair.

    Après Pau, d'autres collectivités, avides de passagers, ont rejoint le camp de Ryanair « à l'insu de leur plein gré » : à Clermont-Ferrand, les collectivités locales verseront 770 000 euros la première année et 665 000 la seconde ; à Reims, ce sera au moins 150 000 euros par an ; à Strasbourg, 1,4 million... Ryanair applique les mêmes recettes à l'étranger. En Italie, la région des Abruzzes lui verse 1,6 million d'euros par an pour l'aéroport de Pescara, et celle de Sardaigne, associée à l'aéroport, 510 000 euros par an pour celui d'Alghero. Même sur ses propres terres, Ryanair ne fait pas de cadeaux. Aer Rianta, la société gestionnaire de l'aéroport de Shannon, assure avoir reçu une demande de 317 000 euros pour le lancement de nouvelles lignes en 2003.

    Ce modèle durera-t-il ? En tout cas, l'appel aux soutiens publics a fini par irriter les concurrents de Ryanair. Saisis en référé respectivement par les compagnies Air Méditerranée et Brit Air (la filiale d'Air France qui a dû arrêter son Strasbourg-Londres face au dumping de Ryanair), les tribunaux administratifs de Pau et Strasbourg ont rejeté le caractère d'urgence de leurs recours, mais promis de statuer sur le fond. Et la Commission européenne a souligné l'illégalité des aides d'Etat dans un courrier du 17 décembre signé de François Lamoureux (voir page 120), à la tête de la Direction générale énergie et transports. Elle seule peut accorder des dérogations, comme le rappellent les services du cabinet du ministre des Transports, Gilles de Robien. Or aucune dérogation n'a été sollicitée.

    « Nous participons simplement à la promotion de la région », objecte Patrice Bernos à Pau. Avec ses homologues liés à Ryanair, il insiste sur les très importantes retombées commerciales générées par le trafic aérien. Selon lui, il ne s'agit pas d'aides publiques mais de l'achat de prestations publicitaires. Si tel est le cas, « pourquoi ne pas rendre publiques les conditions offertes par l'aéroport, et peut-être lancer des appels d'offres ? » s'interroge Gilles Gantelet, le porte-parole de la Direction des transports à Bruxelles. Pour l'instant, seul Montpellier aurait agi de la sorte. Si la commission instruira les plaintes qu'elle a reçues, elle ne rendra pas de décision avant d'avoir tranché le cas de Charleroi, « cet été ou plutôt au début de l'automne ».

    La décision qu'elle rendra sur l'aéroport belge fera jurisprudence. Depuis décembre, la Commission enquête sur les concessions colossales consenties à Ryanair par cette infrastructure appartenant à la région de Wallonie pour que la compagnie en fasse l'une de ses bases européennes. Taxes d'atterrissage réduites de plus de moitié, versement de 160 000 euros par ouverture de ligne, plus 4 euros par passager et par an au titre du support marketing, 768 000 euros pour la formation du personnel local de Ryanair, 250 000 euros pour ses frais d'hôtellerie... A Bruxelles de valider ou non ce soutien public à un opérateur privé.

    L'éventuelle annulation de ces avantages n'inquiète pourtant pas Ryanair. Ni d'ailleurs la communauté financière. D'après les estimations de Nick Van den Brul, analyste à BNP Paribas-Londres, si Ryanair devait s'acquitter des mêmes charges aéroportuaires qu'easyJet, son principal challenger, sa marge opérationnelle s'en trouverait réduite d'environ 7 points. Un écart important mais loin d'être crucial, tant la société part de haut (30 à 32 % de marge opérationnelle et 220 à 250 millions d'euros de bénéfice annuel sont annoncés pour l'exercice 2002-2003), prospérant dans un secteur en crise : la veille de l'annonce des résultats d'easyJet, Ryanair s'engage à offrir à ses voyageurs 1 000 billets gratuits pour chaque million d'euros perdus par son rival britannique. Le lendemain, cette dernière affichera une perte semestrielle de 71,9 millions d'euros.

    Mais Michael O'Leary est ainsi. Provocateur et impitoyable. Après l'achat de la compagnie Buzz au prix plancher de 20,1 millions d'euros, il a tout bonnement supprimé 400 postes sur 600, annulé les accords syndicaux et menacé de mettre tout le monde au chômage si ses pilotes n'acceptaient pas de voler plus longtemps. Les candidats à un poste de pilote à Ryanair ne sont pas mieux traités. Ils doivent joindre 70 euros à leur CV et s'acquitter de 209 euros pour passer une évaluation... Signé Ryanair.

    source : l'Expansion
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