Par Axel DE TARLE Le Journal du Dimanche

Encore un inquiétant record pour l'euro. A 1,52 dollar, la monnaie européenne a affiché, en fin de semaine dernière, un taux de change supérieur de 30% à celui de son lancement, le 1er janvier 1999, jour où elle valait 1,17 dollar. Sa progression atteint même 85% par rapport à son plus bas niveau d'octobre 2000 (0,82 dollar). Le JDD vous explique pourquoi.

Le dollar est au tapis


Que se passe-t-il?

Cette envolée reflète surtout l'effondrement du billet vert. L'économie américaine est en effet menacée de récession. Au quatrième trimestre 2007, la croissance des Etats-Unis a brutalement ralenti, passant de 4,9 % à seulement 0,6 %, en rythme annualisé. Vendredi, un nouvel indicateur a renforcé les craintes. L'indice d'activité des directeurs d'achat de Chicago (les responsables des approvisionnements dans les grandes entreprises locales) est ressorti à son plus bas niveau depuis décembre 2001, à 44,5 points. Or, on estime qu'un chiffre en deçà de 50 est annonciateur d'une contraction de l'économie.

Les analystes pensent que la banque centrale américaine baissera ses taux d'intérêts pour éviter la récession. Ils estiment que le loyer de l'argent pourrait passer de 3 % à 2,5 % mi-mars. A titre de comparaison, en Europe, les taux sont à 4 %. De ce côté-ci de l'Atlantique, il ne faut guère espérer de baisse. La Banque centrale européenne a pour mission de contenir l'inflation en dessous de 2 %. Or, la hausse des prix dans la zone euro s'établit actuellement à 3,2 % sur douze mois. Pas de quoi relâcher la garde.

L'écart entre les taux d'intérêt de part et d'autre de l'Océan contribue à faire chuter le dollar, et monter l'euro. En effet, il favorise ce que les traders appellent le carry trade ("emporter-échanger"). La pratique consiste à emprunter des billets verts aux Etats-Unis à 2,5 % et à immédiatement échanger ces capitaux contre des euros, placés en Europe à 4 %, en empochant la différence. Dans certaines salles de marché, ce petit jeu est une routine.

Qui en profite?

La hausse de l'euro augmente le pouvoir d'achat des Européens... à l'étranger. De plus en plus de touristes, des billets pleins les poches, viennent profiter d'une Amérique "en solde". Le nombre de visiteurs a bondi de 7 % l'an dernier aux Etats-Unis, avec un pic de + 22 % à New York. A l'inverse, les touristes américains, eux, sont à la diète. Sur l'île de Saint-Martin, dans les Antilles françaises, les restaurateurs tentent d'attirer cette clientèle à coup de promotion sur le change. Leur argument : "Ici, 1 dollar = 1 euro !"

La Banque de Chine tire aussi son épingle du jeu. Le commerce extérieur des Etats-Unis affiche un déficit abyssal, près de 60 milliards de dollars par mois (39,5 milliards d'euros). En achetant des produits made in Asia, les consommateurs américains alimentent le recul du billet vert. Résultat, la Banque de Chine se retrouve avec des réserves de change de 1.400 milliards de dollars (921 milliards d'euros), libellées aux deux tiers en monnaie américaine.

Les économistes craignent toutefois que les autorités chinoises, lassées de voir le dollar perdre de sa valeur, ne finissent par se détourner de la devise reine, aggravant sa chute. De fait, les banques centrales privilégient désormais l'euro. Il représente aujourd'hui 25 % des réserves de change dans le monde, contre 18 % en 1999.

Qui en souffre?

L'envolée historique de la monnaie européenne pose de plus en plus de problèmes aux industriels du continent. L'exemple d'Airbus est le plus courant. Mais ce n'est pas le seul. Mercredi, BMW a annoncé la suppression de 8.100 emplois, essentiellement en Allemagne. Le constructeur bavarois, qui réalise 25 % de son chiffre d'affaires aux Etats-Unis, a mis en avant le taux de change, qui renchérit ses voitures vendues hors du Vieux Continent. Dans l'ensemble, plus de 20 % des exportations de la zone euro sont à destination de l'Amérique du Nord.

Les automobilistes et ceux qui se chauffent au fioul en font aussi les frais. En effet, la chute du billet vert entretient l'envolée du pétrole. Les pays producteurs, qui se font payer en dollars, cherchent à augmenter le prix du brut pour compenser le recul de la devise, qui dévalorise leurs stocks. Vendredi, le baril a ainsi pulvérisé un nouveau record, dépassant 103 dollars. Sur un an, il a bondi de 65 %.

La dégringolade du billet vert, si elle se poursuit, sera aussi préoccupante pour les Etats-Unis. A ce jour, l'Amérique parvient à financer son économie en attirant des capitaux, notamment de Chine et du Brésil, grâce au statut hors norme du "roi dollar". Si la devise perdait son aura, la première puissance mondiale devrait alors remonter brutalement ses taux d'intérêt pour continuer à engranger des fonds, tel un "pays pauvre".