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Géopolitique, hydrocarbures, démographie... Les nouveaux Brics changent-ils vraiment la face du monde économique ?

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  • Géopolitique, hydrocarbures, démographie... Les nouveaux Brics changent-ils vraiment la face du monde économique ?

    ENTRETIEN - Jean-Joseph Boillot, économiste spécialiste des pays émergents et chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), décrypte cette nouvelle donne mondiale.

    Une annonce qui fait grand bruit. En 2024, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Iran, Éthiopie, Égypte et Argentine rejoindront les Brics. C’est à l’occasion de leur quinzième sommet que Chine, Russie, Inde, Afrique du Sud et Brésil se sont entendu pour agrandir leur club économique. Un élargissement lourd de conséquences pour le commerce et la géopolitique mondiale.


    Agrégé de sciences économiques et sociales, docteur en économie, ancien professeur à l’École normale supérieure et ex-conseiller du Trésor, Jean Joseph Boillot est aujourd’hui chercheur associé à l'Iris (Institut des relations internationales et stratégiques). Pour le Figaro, ce spécialiste des grandes économies émergentes analyse la portée de cet élargissement plus que symbolique.
    Jean-Joseph Boillot Photo personnelle J-J Boillot

    LE FIGARO - Comment expliquez-vous cet élargissement des Brics ?

    JEAN-JOSEPH BOILLOT- Il faut regarder cela au prisme de l'offre et de la demande. Depuis dix-huit mois environ, il y a eu une augmentation considérable des demandes d'adhésion ou de partenariat. Il y a eu 22 candidatures officielles d'adhésion et une quarantaine de pays ayant exprimé le souhait de rejoindre le club. Contre l'avis du Brésil, de l'Inde et de l'Afrique du Sud, la Russie n'a cessé de pousser pour l'ouverture du club, et ce pour éviter de s'isoler géopolitiquement à cause de la guerre en Ukraine. En parallèle, l'objectif fondateur des Brics n'avait pas beaucoup avancé. Il s’agit de réformer l'organisation économique internationale. À savoir le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale notamment, où ces poids lourds ne représentent pas plus de 15% des droits de vote. Proportionnellement à leur poids démographique et économique, ils devraient en obtenir près de 25%. En termes d'offre et demande, il y a donc une convergence. De la part des Brics fondateurs, la pensée était : plus nous pèserons, plus nous pourrons réformer l'économie mondiale.

    Quels ont été les critères d'adhésion ?

    Il y a eu un accord consensuel des cinq membres fondateur pour définir au préalable des «paramètres d'adhésion». Ils ont dégagé trois critères clairs. Le premier était de ne pas élargir trop vite, car l'élargissement peut conduire à la multiplication des désaccords et donc à la paralysie du club – l'Union Européenne connaît bien le problème. Le second était de respecter un équilibre entre le groupe des pays autoritaires politiquement et économiquement (Russie et Chine), et le groupe des pays plus démocratiques à économie de marché (Inde et Brésil). Il s'agit de l'équilibre de base du premier groupe des Brics constituée en 2009 à Ekaterinbourg en Russie. Enfin, le troisième critère est géographique : respecter l'équilibre entre les différents continents représentés, dans la tradition du sommet de Bandung de 1955 conceptualisant le «non-alignement».

    S'est donc posée la question de considérer le monde arabo-musulman comme un pseudo-continent. Un certain nombre de pays de cette aire géographique avaient demandé l'adhésion. Les membres ont validé ce choix immédiatement. Les pays arabo-musulmans sont des pays à la fois proches de l'Inde et de la Chine et, pour l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, constituent une puissance économique majeure. Puissance qui manquait jusqu'à présent.

    Quels arguments ont pu jouer en faveur des six nouveaux adhérents ?

    Pour la zone du Golfe, l'Iran, pays proche politiquement de la Russie et de la Chine, est surtout une puissance pétrolière indéniable. Militairement aussi, elle est considérée comme étant la onze ou douzième puissance mondiale. Pour respecter le principe d'équilibre, il y a eu l'adhésion de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Si leur puissance économique - car pétrolière - est remarquable, a joué également la plus grande proximité des EAI au monde occidental. L'idée était d'avoir un groupe de pays arabo musulman équilibré.

    Pour l'Afrique, l'Égypte est un pays qui fait consensus comme puissance politique et démographique. Mais l'Égypte étant à la limite du continent africain et du groupe arabo-musulman, l'Afrique du Sud a poussé pour avoir un deuxième pays subsaharien à l'intérieur du club. Les deux candidates étaient alors l'Éthiopie et le Nigeria. Mais ce dernier n'a pas été retenu il abrite une branche du système de commandement américain, en plus d'être en compétition avec l'Afrique du Sud.

    Pour l'Amérique latine, le candidat naturel était l'Argentine – puissance démographique et productive. Surtout que le Mexique avait retiré sa candidature.

    Avec l’élargissement, les Brics sont-ils devenus plus puissants que le G7 ?

    Sur le papier oui avec désormais près de 47% de la population mondiale contre 10% pour le G7 et un poids désormais équivalent en termes de PIB mondial calculé en parité de pouvoir d'achat (40%). Mais il faut regarder en termes de « puissance » au sens large. Ce n'est pas parce qu'un pays est peuplé qu'il est une « puissance ». L'Arabie saoudite ne pèse pas grand-chose en termes de population, mais a un poids économique et diplomatique très important. La notion de puissance prend comme indices la population, le produit intérieur brut en parité de pouvoir de d'achat, mais aussi la puissance financière, technologique et industrielle, et enfin ce qu’on appelle le soft power, c’est-à-dire la capacité à influencer le reste du monde. De ce point de vue par exemple, la puissance des pays du golfe n’a cessé de progresser ces dernières années par exemple…

    Selon mes calculs, avec l'élargissement aux six nouveaux pays, la puissance des Brics a quasiment doublé, pour atteindre à peu près celle du G7. Militairement en revanche, le G7 reste supérieur puisqu'une union bloc contre bloc est impensable : l'Inde ne s'allierait pas à la Chine par exemple.

    Quelles conséquences pourraient avoir l’entrée de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l’Iran sur l’approvisionnement en pétrole international ?

    Ce qui me frappe le plus dans cet élargissement est que le marché des hydrocarbures mondial est désormais contrôlé par les Brics. Personne n'a vu et suffisamment noté que l'enjeu derrière est les négociations sur le climat. Négociations qui vont reprendre avec la Cop 28 qui se tiendra, comme par hasard, a Dubaï, la capitale de facto des Émirats arabes unis. Or, ces pays ne sont pas pressés de mettre fin à l’ère des hydrocarbures comme le voudraient les pays occidentaux et soutiennent les gros consommateurs de charbon comme la Chine et l'Inde. Et eux souhaitent une transition carbone plus souple pour les pays en développement…

    Au vu de leurs grandes ressources (population, ressources naturelles, agricoles, hydrocarbures…), les Brics pourraient-ils prendre leur indépendance du monde occidental ?

    Oui, les deux mondes pourraient vivre de façon relativement séparée. Pourtant, qui dit souveraineté ne veut PAS forcément dire autarcie. Personne n'y a vraiment intérêt actuellement. Les deux atouts maîtres des pays riches restent la supériorité technologique et une nette domination dans la finance internationale. On voit avec le bras de fer entre les États-Unis et la Chine ce que cela signifie par exemple en termes d'accès aux composants électroniques les plus sophistiqués. Les pays émergents n'ont donc pas vraiment le souhait de se découpler complètement du monde occidental. Ils cherchent simplement à augmenter leur capacité de pression dans les instances internationales comme le FMI ou la Banque Mondiale sur le plan économique, et à l'ONU sur le plan diplomatique avec la volonté d'élargir le cercle des membres permanents du conseil de sécurité.

    Pourquoi la candidature de l'Algérie n'a pas été retenue ?

    Le critère déterminant a été celui d'un élargissement limité. La question est donc pourquoi moins l'Algérie que l'Égypte ? L'Égypte est une vraie puissance diplomatique, économique, démographique. De plus, le président Nasser a joué un rôle clé lors de la constitution du groupe des non-alignés, ce qu'on appellera ensuite le Tiers-Monde. Toutefois, cela ne veut pas dire que l'Algérie ne rentrera pas à l'avenir dans le club des Brics. L'élargissement n'est pas terminé, a bien précisé le président sud-africain Ramaphosa dans son discours de clôture. Les prochains pourraient être l'Indonésie, l'Algérie, la Turquie et le Nigeria, même si les deux derniers posent quelques problèmes en termes d'équilibre au sein du club.

    À l'inverse du mouvement actuel, un pays pourrait-il quitter le bloc des Brics ?

    Les Brics sont un club, et non une organisation internationale. Il n'y a pas eu de statut déposé. Il y a un fonctionnement pragmatique qui repose sur l'accord, la discussion, le consensus. Un pays pourrait donc sortir des Brics. Mais le vrai problème se pose en termes d'expulsion éventuelle d'un pays qui romprait avec les principes fondamentaux du club. Un pays qui prendrait une position clairement anti-russe dans la guerre russo-ukrainienne poserait un vrai problème pour l’unité du groupe. Les Brics et les six nouveaux entrants ont d'ailleurs tous adopté une position relativement neutre vis-à-vis de ce conflit.

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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