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Avec difficulté, l’Opep sauve son unité de façade

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  • Avec difficulté, l’Opep sauve son unité de façade

    ÉNERGIES ANALYSE

    En proie à de graves dissensions internes, le cartel des pays producteurs de pétrole est parvenu à un accord de principe. Afin de maintenir des prix élevés, tous acceptent de réduire leur production, mais pas autant qu’escompté.

    Martine Orange



    Ils ont sauvé leur unité. C’était l’essentiel pour les membres de l’Opep. Car l’objectif était loin d’être acquis. Depuis des semaines, les tractations allaient bon train entre les pays producteurs de pétrole membres du cartel. Les divergences de vue étaient telles que la réunion qui devait arrêter leur politique de production pour 2024 a dû être reportée de plusieurs jours. Et jusqu’au bout, les négociations ont continué pour trouver un accord.

    Un accord de principe a finalement été trouvé jeudi 30 novembre et doit être signé formellement dans les jours qui viennent. Les membres de l’Opep acceptent de réduire leur production en 2024 afin de soutenir les marchés et les prix. La répartition des efforts entre les différents pays producteurs est encore en discussion mais le principe est entériné.

    Alors que les cours du baril ont baissé de plus de 10 % depuis septembre, Riyad, qui a réduit volontairement sa production de 1 million de barils par jour depuis juillet, demandait avec insistance une nouvelle diminution de la production pétrolière, mais partagée par tous les pays membres du cartel cette fois. Les perspectives sombres de l’économie mondiale et une offre mondiale en hausse risquaient, selon le royaume saoudien, de faire plonger plus encore les prix si l’Opep ne reprenait pas la maîtrise des choses. En cas de désaccord, Riyad menaçait de revenir sur ses efforts pour assurer l’équilibre des marchés. Au risque de faire plonger encore plus ces mêmes marchés.

    Les décisions annoncées par l’Opep ont d’abord été saluées par les milieux pétroliers. « Sans réduction réelle de la production, le marché pétrolier croulera sous une offre trop abondante et les cours plongeront », avait prévenu un analyste de Rapidan Energy Group interrogé par Bloomberg. La hausse des cours a été immédiate. Le prix du Brent (référence sur le marché européen) est monté de plus de 2 %, à 84,75 dollars le baril, et celui du WTI (West Texas Intermediate, le pétrole de référence aux États-Unis) de plus de 2 % également, à 79,34 dollars.

    Mais en quelques heures, tout est retombé comme un soufflé : au fil des annonces des pays membres, les analystes ont vite compris que le compte n’y était pas. Ils attendaient au moins une diminution de 1 million de barils par jour par l’Opep. Au mieux, elle ne sera que des deux tiers.

    Agrandir l’image : Illustration 1© Frederic J. BROWN / AFP

    L’Opep fait semblant de croire que ces mesures suffiront. Pour l’Arabie saoudite, ce compromis laborieux était un mal nécessaire pour conserver l'unité du cartel et pouvoir continuer à exercer son influence sur la région et les acteurs du monde pétroliers. Mais Riyad n’a pas pu aller plus loin. Les pays membres du cartel ont fait valoir leurs contraintes financières pour échapper à la discipline de marché voulue par les Saoudiens, soulignant ainsi que l’Opep n’est plus qu’une alliance économique lâche.

    L’arme émoussée de l’embargo


    Une absence brille dans les tractations des pays pétroliers : le conflit entre Israël et le Hamas. Il en a à peine été question dans les discussions. Contrairement à ce que certains redoutaient, l’Opep n’a jamais agité la menace d’un quelconque embargo pétrolier, comme il l’avait fait en 1973 au moment de la guerre du Kippour. Des échanges ont bien eu lieu dans les premiers moments de la guerre, en octobre. Certains pays, dont l’Iran et l’Algérie, se sont prononcés alors en faveur d’une réponse forte, prônant un embargo pétrolier pour venir en soutien de la cause palestinienne, mais ils n’ont pas été suivis.

    La crainte d’une escalade et d’un embrasement de toute la région a pesé dans ce choix. Et puis, comme de nombreux experts du Moyen-Orient l’ont souligné, les régimes dictatoriaux et autocratiques de la région sont beaucoup moins sensibles que leurs opinions publiques au sort des Palestiniens. Afin de calmer l’Iran et d’éviter une escalade des tensions dans la région, l’Arabie saoudite, qui a renoué les liens avec Téhéran, a même fait un geste. Lors du dernier sommet des pays arabes, elle a promis de renforcer sa coopération et ses investissements en Iran, si ce dernier renonçait à soutenir ses affidés au Liban et en Syrie.

    Au-delà de cette volonté politique partagée de ne pas se laisser entraîner dans un conflit, un autre argument a beaucoup plus compté : l’Opep de 2023 n’est plus celle de 1973. Il y a cinquante ans, le cartel exerçait un quasi monopole sur la production pétrolière mondiale. À l’exception des États-Unis et de la Russie, toute l’économie mondiale dépendait de ses approvisionnements.

    La prise de conscience de cette dépendance, la mise au point de nouvelles technologies, tant pour exploiter des gisements en eaux profondes que pour extraire du pétrole de schiste, ont radicalement rebattu les cartes. Il y a des productions pétrolières partout dans le monde, en mer du Nord, en Afrique, en Amérique du Sud, dans la mer de Chine, au Canada, en Alaska et bien sûr aux États-Unis, redevenus le premier producteur mondial grâce au pétrole de schiste. Si certains pays ont rejoint l’Opep – l’Angola, le Nigeria –, les autres agissent librement et font jouer la concurrence à plein.

    Pour l’Opep, l’arme de l’embargo est donc sérieusement émoussée. Le cartel risquait, en y ayant recours, de briser la cohésion de ses membres – certains gouvernements, à la recherche de ressources financières, préférant vendre leur pétrole plutôt que de se soumettre à la loi du groupe – et d’afficher ses faiblesses.
    Afficher un front uni du Sud


    D’autant que la politique des sanctions a montré, avec la guerre en Ukraine, toutes ses limites. La Russie est parvenue en quelques mois à contourner nombre de mesures adoptées par les Occidentaux contre le régime de Vladimir Poutine : elle vend en quantité ses cargaisons pétrolières partout dans le monde, y compris en Europe par des canaux détournés, à des prix allant bien au-delà du plafond des 60 dollars le baril fixé par les Occidentaux.

    Ce qui est vrai dans un sens risquait de l’être dans l’autre : un embargo adopté par l’Opep avait des chances de n’être que peu efficace, au moins dans les pays occidentaux. Cela aurait souligné la perte d’influence du cartel sur le marché pétrolier, sans apporter le moindre bénéfice, au risque de créer des fractures au sein des alliances qui sont en train de se nouer au sein du « Sud global ».

    Alors que la Chine, appuyée par la Russie, poursuit sa stratégie d’influence pour renforcer ce camp, notamment au travers la coopération des Brics – nombre de pays pétroliers y ont été admis en août dernier –, Pékin n’a pas manqué en coulisses d’insister sur cet argument : il importait de montrer un front uni et de s’afficher comme des acteurs responsables, travaillant pour la paix et des échanges organisés au bénéfice de tous.

    Signe de cette volonté affichée : juste après l’annonce de l’accord, le Brésil a annoncé qu’il rejoignait l’Opep+ à partir de début de 2024. Ce mouvement de coopération élargi permet à ses membres de participer aux discussions, d’adopter les mesures s’ils le souhaitent mais sans être contraints par le système des quotas de production arrêtés par le cartel.


    Agrandir l’image : Illustration 2Le prince saoudien Mohammed ben salmane et les responsables des autres pays arabes au sommet de la Ligue arabe le 11 novembre. © Thaer GHANAIM / PPO / AFP

    Réaffirmer la domination saoudienne


    Ces enjeux politiques doivent se décliner d’abord à travers le prisme de l’économie, selon le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, qui a repris en main toute la politique pétrolière du royaume depuis son accession au pouvoir. Avec comme ambition de reprendre le contrôle du marché pétrolier.

    Après s’être essayée à la guerre des prix en 2015, et s’y être cassée les dents, l’Arabie saoudite a radicalement changé de tactique : pour Riyad, le prix est désormais le facteur déterminant. Le régime saoudien a besoin d’un cours du baril entre 80 et 100 dollars pour équilibrer son budget et couvrir ses gigantesques investissements prévus pour préparer le pays à l’après-pétrole.

    Depuis 2019, Riyad a opté pour une réduction de sa production afin de stabiliser les cours pétroliers et surtout de les pousser à la hausse. Avec des résultats certains, sauf pendant la période de la pandémie du Covid naturellement. Depuis près de deux ans, Aramco, le bras pétrolier du régime, pratique une politique volontaire de réduction de sa production. La Russie l’a épaulé dans cette stratégie, estimant elle aussi préférable d’avoir des prix élevés plutôt que vendre plus de barils. Surtout après l’invasion de l’Ukraine.

    Au fil des mois, cette stratégie a fini par perdre de son efficacité. Les producteurs qui n’appartiennent pas au cartel pétrolier se sont engouffrés dans la brèche pour augmenter leur production et profiter des prix élevés.

    Au sein même de l’Opep, des pays qui étaient pratiquement sortis du marché, comme la Libye, ont relancé leur production pour soutenir leurs efforts de guerre. D’autres ont invoqué leurs difficultés financières pour produire plus. Les sanctions américaines ont été discrètement levées contre le Venezuela, en octobre, ce qui va lui permettre de revenir officiellement sur les marchés et d’augmenter sa production.

    Même la Russie, qui officiellement a consenti une réduction de plus de 300 000 barils par jour, ne semble pas totalement respecter son accord. Il y a beaucoup, beaucoup de pétrole russe qui circule par des canaux très opaques afin de soutenir son effort de guerre.

    Même si la demande n’a jamais été aussi élevée dans le monde – plus de 102 millions de barils par jour selon l’Agence internationale de l’énergie –, elle commence à montrer des signes de faiblesse, particulièrement en Europe : le ralentissement économique, confirmé au troisième trimestre, a commencé à se lire dans les chiffres de la consommation dès le deuxième trimestre. En face, l’offre est plus pléthorique que jamais. Et les prix ont commencé à décrocher à partir de septembre.

    Portant seul les efforts de stabilisation du marché, Riyad a tapé du poing sur la table : il était hors de question qu’il continue à assumer la charge de ce rôle sans en tirer aucun profit. Les autres pays membres devaient partager le fardeau.

    Les graines de la discorde


    Si l’objectif de faire remonter les cours a été partagé dès le début par tous les membres du cartel, sa mise en application a été laborieuse : chaque pays producteur a de bonnes raisons de ne pas réduire sa production et d’essayer de repasser le mistigri aux autres.

    Les discussions ont été particulièrement laborieuses avec l’Angola, le Congo et le Nigeria. Rencontrant de graves difficultés techniques et souffrant d’un sous-investissement chronique, ces pays produisent déjà moins que les quotas qui leur ont été attribués. Alors que leurs finances sont de plus en plus mal en point et que le pétrole représente leurs seules entrées sûres, ils demandaient à être exemptés de tout effort supplémentaire.

    Riyad, soutenu par d’autres membres du cartel, a refusé cette demande : tous les membres de l’Opep, selon le royaume, doivent appliquer les mêmes règles de restriction. Le bras de fer a duré des semaines et a manqué faire échouer l’accord. Finalement, un compromis a été trouvé. Tous les adhérents du cartel participeront à la réduction de la production. Mais les efforts seront plus ou moins grands en fonction des pays.

    Même si aucun chiffre n’est donné, l’Arabie saoudite aimerait bien que le baril retrouve le niveau des 100 dollars. Au moment où l’économie mondiale ralentit, où plusieurs parties du monde, notamment l’Europe et l’Asie, donnent des signes d’essoufflement, les intérêts divergents des membres de l’Opep rendent cet objectif de plus en plus éloigné.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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