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Nicolas Baverez : « Le piège de la dette se referme sur la France »

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  • Nicolas Baverez : « Le piège de la dette se referme sur la France »

    CHRONIQUE - En ancrant dans l’esprit des Français la conviction que l’argent public était illimité et gratuit au moment même où les conditions de financement des États se tendaient brutalement, Emmanuel Macron a aliéné la souveraineté de la France, analyse notre chroniqueur.

    Depuis plusieurs décennies, la France semble défier les lois de l’économie et de la finance, donnant tort à ceux qui, dans la lignée du rapport de Michel Pébereau, en 2006, alertent sur le caractère insoutenable de la dette publique. Celle-ci est passée de 20 % du PIB en 1980 à 58 % en 2000, 85 % en 2010 et 111,8 % en 2022. Elle atteint 3050 milliards d’euros à la fin du premier semestre 2023, soit 44.850 euros par Français, alors que le salaire annuel plafonne à 39.300 euros. La France a réagi à tous les chocs qui se sont multipliés depuis le krach de 2008 par une envolée des dépenses publiques qui culminent à 58,2 % du PIB. Dans le même temps, la croissance moyenne a chuté de 3,7 % dans les années 1970 à 0,2 % depuis 2010 et le chômage de masse s’est installé, ne revenant jamais en dessous de 7 % des actifs. Pourtant, la dette française n’a jamais été attaquée par les marchés, contrairement à la Grèce en 2009, l’Italie et les pays méditerranéens en 2011, le Royaume-Uni en 2022.


    L’impunité dont a joui la dette publique française s’explique par trois raisons. Tout d’abord, le cycle de baisse combinée de l’inflation et des taux d’intérêt - avec pour point d’orgue le passage en taux négatifs durant la pandémie de Covid -, qui a permis de diminuer le service de dette alors même que son montant explosait. Ensuite, la tolérance inouïe des Français à l’impôt doublée de l’efficacité du ministère des Finances pour en maximiser les recettes et lever de la dette - 285 milliards en 2023 -, efficacité qui n’a d’égale que son incompétence chronique pour favoriser la création de richesses et d’emplois autres que publics. Enfin, la protection de la zone euro liée au caractère systémique de la dette française pour la monnaie unique et à la garantie implicite de l’Allemagne.

    L'effondrement économique de la France


    Aujourd’hui, tout a changé. L’effondrement économique de la France s’amplifie avec une croissance potentielle nulle, la chute de 5 % de la productivité depuis 2019, la remontée du chômage vers 8 % des actifs, un déficit public de 4,9 % du PIB et un déficit commercial supérieur à 100 milliards d’euros en 2023. Mais l’environnement s’est radicalement transformé.

    Avec le retour de l’inflation, les taux d’intérêt se sont vivement redressés, passant pour la BCE de 0 % au printemps 2022 à 4 % depuis septembre 2023. La charge de la dette progressera de 40 milliards en 2021 à près de 80 milliards en 2027, devenant le premier budget de l’État et dépassant les recettes de l’impôt sur le revenu. Surtout, les taux d’intérêt réels sont désormais supérieurs à la croissance nominale, ce qui oblige à augmenter le surplus primaire du budget (avant paiement des intérêts), sauf à placer la dette sur une trajectoire explosive. Or la France est en déficit primaire de 2,9 % du PIB en moyenne. La dette publique française est donc programmée pour s’envoler et tendre vers celle de l’Italie (140 % du PIB), qui se trouve sous la pression des marchés.

    Par ailleurs, les prélèvements obligatoires atteignent un niveau record de 48 % du PIB – très au-dessus de la moyenne de 41,2 % au sein de la zone euro - et la grande jacquerie des « gilets jaunes » contre la taxe carbone comme l’affaiblissement de la compétitivité des entreprises françaises soulignent qu’il n’existe plus aucune marge pour augmenter les impôts dans notre pays.



    Enfin, la France est devenue, aux côtés de l’Italie, le maillon faible de l’Europe. Son déficit sera le plus élevé de la zone euro à partir de 2024, au moment où le Portugal ou l’Irlande affichent des excédents de 1 % et 1,6 % du PIB. L’envolée de sa dette contraste avec la diminution enregistrée dans la zone euro (88,6 % du PIB). Surtout, l’Allemagne est rattrapée par la crise de son modèle économique mercantiliste et de ses finances publiques depuis la sanction par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe de la débudgétisation par les fonds spéciaux, plaçant en apesanteur le financement de la transition écologique à hauteur de 60 milliards d’euros. Berlin, à couteau tiré avec Paris, a moins que jamais la volonté et la possibilité de réassurer la dette française.

    Choc financier majeur


    La France va donc droit à un choc financier majeur, indissociable d’une profonde crise politique dont l’Argentine permet de mesurer les risques. La seule solution pour assurer la soutenabilité de la dette consisterait à couper dans les dépenses et à céder des actifs publics. Mais ceci suppose une réforme de l’État qu’aucune force politique n’est prête à assumer. La dette n’a en effet pas été affectée aux investissements destinés à répondre aux grands défis de l’avenir - la réindustrialisation, la transition écologique ou la défense. Elle a financé des dépenses de fonctionnement - notamment la création de 148 000 postes de fonctionnaires depuis 2017, qui n’empêchent pas les services de base de l’éducation, de la santé, des transports, de la police ou de la justice de se dégrader, ainsi que le déversement d’aides sociales à hauteur de 34 % du PIB qui accompagnent la désintégration et l’ensauvagement de la société.

    Emmanuel Macron a non seulement endetté la France à hauteur de 750 milliards d’euros depuis son élection, mais il a dilapidé ces fonds gigantesques qui auraient dû être consacrés à la modernisation du pays. Pis, il a ancré dans l’esprit des Français, avec la formule du « quoi qu’il en coûte », la conviction suicidaire que l’argent public était illimité et gratuit, au moment même où les conditions de financement des États se tendaient brutalement. Il a ainsi aliéné la souveraineté de la France, qui se trouve dans la main des agences de notation, des marchés et de nos partenaires européens, et qui ne tardera pas à subir leur loi d’airain. Il ne dispose d’aucune légitimité pour résoudre la crise des finances publiques qu’il a contribué à faire sortir de tout contrôle. Pierre Mendès France rappelait que « les comptes en désordre sont la marque des nations qui s’abandonnent ». La France est depuis longtemps une nation abandonnée par ses dirigeants. Ce sont les Français qui acquitteront tôt ou tard le prix fort pour leur démagogie et leur lâcheté.

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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