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les banquiers d’affaires bousculés par une vague de licenciements inédite depuis 2008

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  • les banquiers d’affaires bousculés par une vague de licenciements inédite depuis 2008



    ENQUÊTE - Les opérations de fusions et acquisitions se faisant plus rares depuis deux ans, les grandes banques d’affaires mondiales taillent dans leurs effectifs. Les bonus sont également en berne.

    «J'étais le plus performant et j'ai été viré», résume Paul, un brin dépité. Spécialiste des fusions et acquisitions d'entreprises, il était, depuis plus de huit ans, banquier senior - «managing director» dans la terminologie du secteur - à Paris dans une grande banque d'affaires anglo-saxonne. En octobre dernier, il est convoqué par son supérieur qui lui annonce que l'établissement va réduire la voilure de son activité à Paris, considérée comme n’étant plus stratégique. «La décision a été prise à New York. Ils ont regardé les organigrammes et supprimé deux postes de senior managers sur sept. J'étais l'un d'eux. Je ne m'y attendais pas du tout», précise le quadragénaire. Un mois plus tard, il avait quitté la banque. «J'ai pu facilement négocier mes indemnités de départ car en France, nous sommes protégés par le droit du travail, reconnaît-il. C'est beaucoup moins violent qu'à New York où les emails sont débranchés dans la demi-heure suivant l'annonce du licenciement, et à Londres au bout d'une journée.»

    Les licenciements express sont légion en ce moment dans les banques d'affaires. Le secteur, très compétitif, est habitué à des «écrémages» annuels : chaque année, les moins performants sont poussés vers la sortie. Mais cette fois, il s’agit de véritables «charrettes», en particulier dans les pays anglo-saxons. Si ces salariés sont très généreusement payés et ont les capacités de rebondir, la période est néanmoins délicate. Elle contraste surtout avec celle d’avant. Les banques avaient embauché à tour de bras, et à prix d'or, en 2020 et 2021, lorsque l'argent gratuit coulait à flots et propulsait au sommet le marché des fusions et acquisitions.

    Si elles font aujourd’hui machine arrière, c’est que la bise est venue : en 2023, les fusions et acquisitions - on dit M&A dans le jargon - ont dévissé au niveau mondial de 17%, après une année 2022 déjà en retrait (- 37%), constate le fournisseur de données LSEG. Ce revers de fortune a fait fondre comme neige au soleil une partie des revenus des banques d'affaires et leurs résultats.


    62.000 suppressions de postes en 2023


    En conséquence, le secteur a supprimé au niveau mondial près de 62.000 postes en 2023, a calculé le Financial Times, en se fondant sur les rapports et les déclarations des grands établissements. Ce qui en fait une des pires années dans les banques d'affaires depuis la crise financière de 2008. 2023 a été marqué par le rachat en urgence de Credit Suisse par sa rivale UBS, ce qui occasionnera le départ de 13.000 personnes dans le monde. Les banques anglo-saxonnes ont également taillé dans les effectifs mondiaux l'an dernier : 12.000 personnes en moins chez Wells Fargo (soit 5 % de sa main-d’œuvre totale) ; entre 3000 et 5000 chez Citigroup, Morgan Stanley, Bank of America, Goldman Sachs et Barclays. Et le mouvement semble s’amplifier, alors que le marché des fusions-acquisitions tourne toujours au ralenti. Citigroup a ainsi annoncé il y a deux semaines la suppression «à moyen terme» de 20.000 emplois (sur 240.000 salariés aujourd'hui). Des plans seraient aussi en préparation chez Deutsche Bank, Barclays et Lloyd’s.

    Quant à la célèbre banque franco-américaine Lazard, dans le rouge entre janvier et septembre, elle a annoncé son intention de se délester de 10% de ses effectifs mondiaux (3400 personnes employées en 2023). Néanmoins, à Paris, les réductions d'effectifs sont sans commune mesure avec ce qui se passe à la City de Londres ou à Wall Street. «Cependant, on a constaté, surtout en fin d'année dernière, pas mal de départs dans les bureaux parisiens de grandes banques d'affaires internationales. Il s'agit souvent de banquiers seniors, spécialisés dans les fusions et acquisitions, observe Diane Segalen, présidente du cabinet Segalen et Associés. En revanche, on note moins de réductions d'effectifs dans les grandes banques françaises qui avaient moins recruté, y compris dans les activités de banque de financement et d'investissement.»

    Les quadragénaires poussés vers la sortie


    Les banques internationales préfèrent souvent se séparer des salariés les mieux payés, au profit de plus jeunes prometteurs, moins chers et parfois plus flexibles au niveau des horaires. «Ceux qui ont entre deux et trois ans d’expérience au sein de la banque, sont les moins inquiétés», confirme Mathieu Gosselin, associé du cabinet de conseil Bartle. Même si tous sont extrêmement bien rémunérés, les écarts sur les fiches de paie peuvent aller du simple au double. En France, un banquier senior (managing director) avec neuf ans d'expérience dans le même établissement - et donc souvent âgé entre 38 et 42 ans - gagne en moyenne les bonnes années entre 500.000 et 600.000 euros, composé d’un fixe de 250.000 euros et d’un bonus. Soit près de deux fois plus qu'un plus jeune ayant six ans d'expérience (300.000 euros en moyenne, bonus inclus). Il faut compter 70.000 à 200.000 euros pour un analyste financier débutant.

    Ces rémunérations moyennes seront certainement revues à la baisse cette année. Car les bonus sont en berne. «Ils diminuent par rapport à ceux versés en 2023 au titre de 2022, confie un chasseur de têtes londonien spécialiste des fusions et acquisitions au site efinancialcareers. Et l'an dernier, la baisse était déjà considérable par rapport à l'année record de 2021. C'est l'une des pires années pour les bonus depuis dix ans.»

    Ce qui ne va pas améliorer le moral des banquiers d'affaires. «L'ambiance est mauvaise dans certains établissements, confirme l'un d’eux. Les gens sont déprimés. Ils ont peur de perdre leur emploi car peu d'opérations de fusions ou acquisitions voient le jour. Or, dans le contexte actuel, ils redoutent de ne pas retrouver de nouveau job avant six ou douze mois.» Car même si certaines banques continuent à recruter au cas par cas (Rothschild prévoit d'embaucher une trentaine de personnes cette année à Paris et Greenhill va aussi étoffer ses équipes), les embauches sont le plus souvent gelées.

    Plus d’heures de travail pour garder son poste


    Résultat, les banquiers en place s'accrochent. «Ils assistent à toutes les réunions, y compris celles auxquelles ils n'assistaient pas auparavant. Ou participent à des appels à 22 heures avec les États-Unis. Ils font parfois plus d'heures que lorsque le marché tournait à plein régime», relève un expert. Cette tendance semble répandue dans toutes les banques d'affaires à travers le monde. «J'ai appris cette semaine que j'étais licencié du poste en banque que j'occupais depuis quatre ans, racontait de façon anonyme en fin d'année dernière un banquier junior (en fusions et acquisitions) à Londres, sur le site efinancialcareers. Ce n'est pas la première série de licenciements lancée par la banque cette année. La dernière fois, on nous a tous rassemblés dans une pièce pour nous dire à quel point nous étions exceptionnels. J'y ai cru. Ça m'a poussé à travailler encore plus, un peu plus longtemps. (...) C'était du pitching permanent, encore et toujours, pour trouver des idées face aux clients en prévision du rebond du marché.» Mais le rebond n'est toujours pas arrivé.

    Fait marquant, les sociétés de capital-investissement, qui ont la réputation de couper les coûts et les têtes dans les entreprises qu'elles rachètent, licencient elles aussi à bas bruit. Ce qui ne s'était plus vu depuis 2008. «On demande aux associés (partners) de partir, plutôt qu'aux juniors ou aux niveaux intermédiaires», relève un chasseur de têtes britannique. Des licenciements de cadres seniors seraient au programme chez Carlyle, mais aussi dans d'autres fonds comme KKR et Cinven, selon efinancialcareers. Le secteur du capital-investissement traverse il est vrai une très mauvaise passe depuis la remontée des taux d'intérêt.

    Tous ces banquiers espèrent des jours meilleurs d’ici la fin de l’année, grâce à la reprise économique en Europe et la stabilisation des taux d’intérêt. De quoi relancer le marché des fusions et acquisitions pour un nouveau cycle. Et déclencher une vague d’embauches et regonfler les fameux bonus…

    Par Danièle Guinot
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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