Des fournisseurs de deux géants de la cosmétique ont recours à des mineurs pour la cueillette de fleurs de jasmin, ingrédient clé de la parfumerie. Devant les images tournées clandestinement l’été dernier en Égypte par la BBC, L’Oréal et Estée Lauder assurent qu’elles prennent déjà des mesures pour faire cesser ces pratiques.
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Captures d’écran du documentaire de la BBC “Perfume’s Dark Secret”, une enquête sur le travail des enfants dans la récolte des fleurs de jasmin en Égypte réalisée à l’été 2023 et révélée le 28 mai 2024. CAPTURE D’ÉCRAN BBC/YOUTUBEPartager
Les fragrances de certains géants de l’industrie cosmétique ont une odeur âcre, celui du travail des enfants, révèle une enquête de la BBC. Selon le média public britannique, “des enfants récoltent les ingrédients des fournisseurs de deux grandes entreprises de produits de beauté” qui sont incorporés aux parfums deLancôme, une marque du groupe français L’Oréal, et d’Aerin Beauté, appartenant à l’américain Estée Lauder.
L’enquête menée l’été dernier “sur les chaînes d’approvisionnement en parfums a révélé que le jasmin utilisé par les fournisseurs de Lancôme et d’Aerin Beauté avait été cueilli par des mineurs”, alors même que “toutes les grandes marques de parfums de luxe revendiquent une tolérance zéro vis-à-vis du travail des enfants”.
L’Égypte fournit la moitié du jasmin mondial
Le jasmin présent dans l’eau de parfum Idôle Intense de Lancôme, dans Ikat Jasmine et Limone di Sicilia d’Aerin Beauté provient d’Égypte, pays qui représente à lui seul “la moitié de la production mondiale de fleurs de jasmin”. Le média britannique a filmé clandestinement, “au cours de la cueillette, l’été dernier”, des dizaines de mineurs au travail pour son documentaire Perfume’s Dark Secret, “Les Noirs Secrets du parfum”.
Le rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines d’esclavage, Tomoya Obokata, se dit “choqué par les preuves fournies par la BBC” et explique :
“Sur le papier, [l’industrie cosmétique] promet tant de bonnes choses, comme la transparence de la chaîne d’approvisionnement et la lutte contre le travail des enfants. En voyant ces images, il est clair qu’ils ne font pas ce qu’ils disent.”
Dans la région de Gharbeya, au cœur de la zone de production du jasmin égyptien, Heba, mère de quatre enfants âgés de 5 à 15 ans, “réveille sa famille à 3 heures du matin pour commencer à récolter les fleurs avant que la chaleur du soleil ne les abîme”. Elle dit “avoir besoin” de tous ses enfants pour l’aider. “Comme la plupart des cueilleurs de jasmin en Égypte, elle est ce que l’on appelle une ‘cueilleuse indépendante’ et travaille dans une petite exploitation agricole.”
1,40 euro pour 1,5 kilo de fleurs de jasmin
La nuit où la BBC les a filmés, sa famille et elle ont ramassé 1,5 kilo de fleurs de jasmin, en ont donné le tiers au propriétaire du terrain et empoché 1,50 dollar (1,40 euro). Un montant “plus faible que jamais, l’inflation en Égypte ayant atteint un niveau record”.
Quelque 30 000 personnes “travaillent dans l’industrie du jasmin en Égypte”, mais “il est difficile” de savoir combien d’entre elles sont des enfants. La BBC a recueilli de nombreux témoignages d’Égyptiens disant que “le prix si bas du jasmin les obligeait à faire travailler leurs enfants”.
Pour la maison de parfum Givaudan, qui travaille pour Lancôme, “il nous incombe à tous de continuer à prendre des mesures pour éliminer le risque du travail des enfants”. Firmenich, qui fabrique les parfums d’Estée Lauder mis en cause dans le documentaire, dit avoir changé de fournisseur en Égypte.
Du côté des maisons mères, L’Oréal assure tout mettre en œuvre pour “identifier les violations potentielles des droits de l’homme et trouver des moyens de les prévenir et de les atténuer, en mettant l’accent sur les risques liés au travail des enfants”. Quant à Estée Lauder, l’entreprise entend “améliorer la transparence et les conditions de vie des communautés qui nous fournissent”.
Heba, elle, a du mal à croire au prix des flacons de parfum aux fleurs de jasmin qu’elle a cueillies. Amère, elle déclare : “Ici, les gens ne valent rien.”
Courrier international