La faim et l’inflation ont gagné tout le continent, et, avec elles, les manifestations, voire émeutes, qui les accompagnent. Les manifestations actuelles au Kenya témoignent de ce phénomène. “The Continent” s’étonne ainsi que, même dans des pays comme le Maroc, les manifestations se multiplient devant la hausse du coût de la vie.
Les Marocains ont manifesté plus de cent fois pour les salaires et le coût de la vie rien que cette année. D’Agadir [au sud] à Rabat [au nord], employés de ménage, ingénieurs, personnel de santé et retraités ont organisé des sit-in pour demander de meilleurs salaires, leur paiement dans les temps et une action sur les prix à la consommation. “Tout est cher et les salaires n’ont pas beaucoup changé, sauf pour les enseignants”, explique le journaliste marocain Mohamed Acheari.
Le ministère de l’Éducation a commencé en avril, avec quatre mois de retard, à verser une partie de l’augmentation mensuelle de 140 dollars [130 euros] qui avait été négociée avec les syndicats d’enseignants.
Si ces six dernières années ressemblent à une vaste révolte du pain, c’est parce que l’inflation des prix des denrées alimentaires a été brutale. Elle a atteint un pic de 32 % en février 2023. Les denrées alimentaires, les prix à la consommation et les salaires ont donné lieu à au moins 916 manifestations depuis 2019 – soit quinze par mois en moyenne.
C’est très inhabituel pour le pays : il n’y avait eu que 7 manifestations de ce type au cours des trois années précédant cette période. Les conditions économiques sont telles que ce phénomène représente la nouvelle “normalité”, précise Acheari.
Émeutes inflationnistes
Au moins douze autres pays africains se retrouvent sous la pression des citoyens à cause du coût de la vie depuis quelques années. Au Kenya, les manifestations de ce type ont doublé en 2020 par rapport aux deux années précédentes.
On constate la même pression en Afrique du Sud, en Tunisie, au Nigeria, en République démocratique du Congo, en Algérie, au Soudan et en Ouganda. The Continent a étudié près de 59 000 rapports de manifestation en Afrique compilés par l’Armed Conflict Location and Data Project [une ONG qui collecte, analyse et cartographie les données sur les conflits] entre le 16 janvier 2016 et le 23 mai 2024.
Nous en avons retenu 7 164, dont la description indique qu’elles ont été provoquées par les denrées alimentaires, la rémunération et les prix. La plupart se sont déroulées dans le calme, par exemple certains sit-in organisés par des syndicats, mais 13 % ont tourné à l’émeute : les manifestants ont bloqué les routes, brûlé des pneus, pillé les entrepôts de denrées alimentaires publics ou attaqué des intermédiaires responsables de denrées alimentaires et de produits de consommation.
La plupart de ces manifestations ont eu lieu après la pandémie de Covid : on en a recensé 5 039 depuis le 18 mars 2020, date de la proclamation officielle de la pandémie, contre 2 125 au cours de la période de même durée précédant la pandémie. Les manifestations contre le coût de la vie ont plus que doublé sur le continent depuis la pandémie. Le Covid n’explique pas tout.
Sécheresse et course au rendement
Au Maroc, la récession s’est accompagnée d’un changement de la politique agricole. Le pays avait fait passer sa production agricole à 12 milliards de dollars par an grâce à une politique ambitieuse baptisée “plan Maroc vert”. La réussite a été au rendez-vous mais les autorités ont commencé à pousser les agriculteurs vers des cultures d’exportation, en particulier de légumes. Les négociants ont fini par vendre dans le pays les produits frais presque aussi cher que s’ils les expédiaient en Europe.
Or le salaire minimum est de 275 euros au Maroc, contre 956 au Portugal et 1 323 en Espagne. Des manifestations ont éclaté dans tout le pays pour demander au gouvernement de donner la priorité à la “souveraineté alimentaire” au lieu de favoriser les exportations. Comme les récoltes diminuent à cause de la sécheresse provoquée par le changement climatique, cette revendication va probablement se faire entendre encore plus fort. La tension qui règne depuis au moins 2016 au Nigeria, où une grève a coupé le réseau d’électricité national au début de la semaine, a beaucoup à voir avec la stagnation des salaires.
La situation est exacerbée par une inflation record : 33 %, du jamais-vu depuis dix-huit ans. Le salaire minimum actuel est de 30 000 nairas (19 dollars) par mois, mais les syndicats jugent que 494 000 nairas (318 dollars, ou 296 euros) seraient plus raisonnables. Le gouvernement a proposé 60 000 nairas (40 dollars, ou 37 euros) lors des négociations avec les syndicats qui se tiennent actuellement à Abuja.
Comme l’écrit Stephen Onyeiwu, un professeur d’économie, c’est insuffisant pour sortir les travailleurs de la pauvreté. “Voilà huit ans que le nombre de pauvres augmente au Nigeria, et il continuera à augmenter tant que le salaire minimum ne reflétera pas le coût de la vie et ne tiendra pas compte de la prépondérance de services sociaux comme la santé, l’éducation et le logement.” Il serait aujourd’hui de 265 000 nairas (170 dollars, ou 158 euros) rien que s’il avait suivi le taux de change des devises.
Lydia Namubiru
Les Marocains ont manifesté plus de cent fois pour les salaires et le coût de la vie rien que cette année. D’Agadir [au sud] à Rabat [au nord], employés de ménage, ingénieurs, personnel de santé et retraités ont organisé des sit-in pour demander de meilleurs salaires, leur paiement dans les temps et une action sur les prix à la consommation. “Tout est cher et les salaires n’ont pas beaucoup changé, sauf pour les enseignants”, explique le journaliste marocain Mohamed Acheari.
Le ministère de l’Éducation a commencé en avril, avec quatre mois de retard, à verser une partie de l’augmentation mensuelle de 140 dollars [130 euros] qui avait été négociée avec les syndicats d’enseignants.
Si ces six dernières années ressemblent à une vaste révolte du pain, c’est parce que l’inflation des prix des denrées alimentaires a été brutale. Elle a atteint un pic de 32 % en février 2023. Les denrées alimentaires, les prix à la consommation et les salaires ont donné lieu à au moins 916 manifestations depuis 2019 – soit quinze par mois en moyenne.
C’est très inhabituel pour le pays : il n’y avait eu que 7 manifestations de ce type au cours des trois années précédant cette période. Les conditions économiques sont telles que ce phénomène représente la nouvelle “normalité”, précise Acheari.
Émeutes inflationnistes
Au moins douze autres pays africains se retrouvent sous la pression des citoyens à cause du coût de la vie depuis quelques années. Au Kenya, les manifestations de ce type ont doublé en 2020 par rapport aux deux années précédentes.
On constate la même pression en Afrique du Sud, en Tunisie, au Nigeria, en République démocratique du Congo, en Algérie, au Soudan et en Ouganda. The Continent a étudié près de 59 000 rapports de manifestation en Afrique compilés par l’Armed Conflict Location and Data Project [une ONG qui collecte, analyse et cartographie les données sur les conflits] entre le 16 janvier 2016 et le 23 mai 2024.
Nous en avons retenu 7 164, dont la description indique qu’elles ont été provoquées par les denrées alimentaires, la rémunération et les prix. La plupart se sont déroulées dans le calme, par exemple certains sit-in organisés par des syndicats, mais 13 % ont tourné à l’émeute : les manifestants ont bloqué les routes, brûlé des pneus, pillé les entrepôts de denrées alimentaires publics ou attaqué des intermédiaires responsables de denrées alimentaires et de produits de consommation.
La plupart de ces manifestations ont eu lieu après la pandémie de Covid : on en a recensé 5 039 depuis le 18 mars 2020, date de la proclamation officielle de la pandémie, contre 2 125 au cours de la période de même durée précédant la pandémie. Les manifestations contre le coût de la vie ont plus que doublé sur le continent depuis la pandémie. Le Covid n’explique pas tout.
Sécheresse et course au rendement
Au Maroc, la récession s’est accompagnée d’un changement de la politique agricole. Le pays avait fait passer sa production agricole à 12 milliards de dollars par an grâce à une politique ambitieuse baptisée “plan Maroc vert”. La réussite a été au rendez-vous mais les autorités ont commencé à pousser les agriculteurs vers des cultures d’exportation, en particulier de légumes. Les négociants ont fini par vendre dans le pays les produits frais presque aussi cher que s’ils les expédiaient en Europe.
Or le salaire minimum est de 275 euros au Maroc, contre 956 au Portugal et 1 323 en Espagne. Des manifestations ont éclaté dans tout le pays pour demander au gouvernement de donner la priorité à la “souveraineté alimentaire” au lieu de favoriser les exportations. Comme les récoltes diminuent à cause de la sécheresse provoquée par le changement climatique, cette revendication va probablement se faire entendre encore plus fort. La tension qui règne depuis au moins 2016 au Nigeria, où une grève a coupé le réseau d’électricité national au début de la semaine, a beaucoup à voir avec la stagnation des salaires.
La situation est exacerbée par une inflation record : 33 %, du jamais-vu depuis dix-huit ans. Le salaire minimum actuel est de 30 000 nairas (19 dollars) par mois, mais les syndicats jugent que 494 000 nairas (318 dollars, ou 296 euros) seraient plus raisonnables. Le gouvernement a proposé 60 000 nairas (40 dollars, ou 37 euros) lors des négociations avec les syndicats qui se tiennent actuellement à Abuja.
Comme l’écrit Stephen Onyeiwu, un professeur d’économie, c’est insuffisant pour sortir les travailleurs de la pauvreté. “Voilà huit ans que le nombre de pauvres augmente au Nigeria, et il continuera à augmenter tant que le salaire minimum ne reflétera pas le coût de la vie et ne tiendra pas compte de la prépondérance de services sociaux comme la santé, l’éducation et le logement.” Il serait aujourd’hui de 265 000 nairas (170 dollars, ou 158 euros) rien que s’il avait suivi le taux de change des devises.
Lydia Namubiru