La fille de Hadj Omar


Hadj Omar, à la recherche de sa fille, venue s’installer en ville, accosta un jeune «hittiste» (jeune Algérien adossé à un mur, choisi pour la circonstance, afin de lui donner un repère dans la vie de tous les jours):

- Mon, fils, je cherche ma fille, Amel, elle est comptable à Sonatrach..

- Je sais, Hadj Omar, je me rappelle de toi. Elle avait un logement en location ici, mais a dû déménager. Tu venais souvent la voir...

- Oui, mon fils, mais j’ai pas retrouvé son nouveau domicile, avec toutes ces constructions...

- Facile, Hadj Omar. Tu vois en face de nous, il y a deux rues. L’une est bien goudronnée et bien éclairée. C’est par là qu’ils ont l’habitude de faire passer e’Raïs. Tu prends l’autre rue.

- ?!?

- En continuant tout droit, tu trouveras deux immeubles. L’un est repeint à neuf tous les six mois. C’est là qu’habite le président de l’association de quartier. Lui et le trésorier. Tu prends l’autre immeuble. Là-bas, tu trouvera deux étages. Le premier est décoré de belles plantes. Il appartient à une enseignante de l’université. Elle est malade de propreté. Tu prends l’autre, le second étage. Là bas, en frappant à la porte, tu trouvera Hadja Halima, elle a deux fils. Le premier est un «harrag» qui n’est pas mort, ni en Algérie, ni en mer. Mais il vit comme un esclave en Espagne. Il est réceptionniste dans un hôtel. Remarque, lui au moins il a un boulot... Enfin ... C’est son autre fils qui nous intéresse, Adel. Lui est resté avec Hadja Halima. Il est chômeur. Comme moi. Il a justement aidé ta fille dans son déménagement. Il pourra te montrer sa nouvelle adresse.

- Merci mon fils...

Baissant les yeux, Hadj Omar fit demi-tour et s’en alla.

- Hadj Omar, ce n’est pas par là!

- Je sais mon fils, mais je viens de me rendre compte de toute notre douleur. Là-bas, au djbel, durant la guerre, il n’y avait pas deux routes, pas deux familles, pas deux maisons. Nous étions unis et solidaires. Quant nous perdions l’un d’entre nous, c’est toute la famille qui supportait le coup, le ftour, nous le partagions de manière équitable... Là-bas, quand je rêvais de la vie à donner à mes enfants, si Dieu me prêtait vie, je n’imaginais pas qu’elle ait à choisir entre deux routes si différentes... Aujourd’hui, je me rends compte qu’il y a ma fille pour qui j’ai imaginé le parcours au djbel, et celle qui vit quelque part dans cette ville pour laquelle tant de compagnons sont morts... Et le pire, c’est que je ne sais pas si elle a profité de mon rêve à moi...

Question à 1 dinar: Au moment où l’intérêt national est dans l’écriture de l’Histoire algérienne, si on devait poser la question à deux enfants de l’Algérie d’aujourd’hui, disons un fils de député et un fils de fellah, quelle est la probabilité qu’ils nous racontent la même histoire?

Moralité: S’il y a un facteur essentiel à prendre en compte dans l’écriture de notre passé, c’est bien le choix des témoins, les ruelles étant si éparses... Dans un sens, seule la douleur est commune, et c’est elle qui devrait baliser les extravagances des uns et des autres. Demandez à Hadj Omar qui n’a même pas sa carte de moudjahid. Il n’en a que faire... Il vous le dira.



par Benlazaar Sid Ahmed Le Quotidien d'Oran