Pour la première fois il y a quelques semaines, dans un discours de vingt-neuf minutes posté sur un site Internet islamiste, largement passé inaperçu des médias, mais soigneusement décrypté par les services antiterroristes français, Abdelmalek Droukdal, "émir" suprême de l'organisation d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), menaçait directement la France.
"Ceux qui pensent,affirmait Droukdal le 22 septembre, que la France assurera sa sécurité sur ses terres (...) se trompent." Elle n'aura pas la capacité "de le faire, puisqu'elle sera, le jour venu, préoccupée par sa propre sécurité". Un an plus tôt, presque jour pour jour, Ayman Al-Zawahiri, le numéro deux égyptien d'Oussama Ben Laden, avait appelé les musulmans d'Afrique du Nord à "soutenir (leurs) fils moudjahidin (de l'AQMI) contre les croisés et leurs enfants" et à aider à "débarrasser" la région des Français et des Espagnols.
Droukdal l'Algérien et ses cohortes djihadistes ont-ils les moyens de mettre leur menace à exécution ? "La France n'est pas plus menacée que d'autres, mais elle est une cible potentielle", expliquait Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, peu après cet appel. Plus alarmiste, Louis Caprioli, qui fut le patron de la lutte antiterroriste à la direction de la surveillance du territoire (DST) de 1998 à 2004, évalue la menace "à un niveau orange-rouge" : "Pour l'instant, elle est dans les discours, mais ils ne pourront pas s'en contenter, à un moment ou un autre, ils frapperont." L'ancien commissaire, qui conseille aujourd'hui le groupe de gestion des risques GEOS, rappelle que "tous les réseaux démantelés jusqu'en 2005 sur le sol français étaient en relation avec l'ex-GSPC (ancêtre de l'AQMI)".
Un officier des services de renseignement français le confirme au Monde : "En théorie, une attaque est faisable. Il suffit d'une poignée de fanatiques décidés à mourir pour faire du grabuge. Mais tout ce beau monde est surveillé de près." A tout hasard, à la lumière de ce qui vient de se produire à Bombay et sans préjuger de l'enquête indienne sur les auteurs de l'hécatombe, Michèle Alliot-Marie vient d'ordonner aux patrons de la police et de la gendarmerie de réfléchir à la mise en oeuvre, sous dix jours, d'un exercice grandeur nature, comme son ministère en conduit régulièrement, qui permettrait de voir comment réagir à "plusieurs attentats multiples et concomitants en plusieurs points d'une capitale".
Pour autant, confie Christophe Chaboud, le patron de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste en France (Uclat), "il ne s'agit pas de présenter nos cités et nos quartiers en bases arrière potentielles d'Al-Qaida Maghreb". S'il est vrai que, au début des années 1990, lorsqu'ils mettaient l'Algérie à feu et à sang - 150 000 morts en dix ans - les Groupes islamiques armés (GIA), dont l'AQMI est un héritier direct, disposaient de réseaux dans tous les grands pays européens, les massacres qui s'étaient multipliés à partir de 1996 avaient "écoeuré" bon nombre de sympathisants.
Un réseau nouveau, mis en place par un activiste qui voulait rejoindre les maquis maghrébins de l'organisation armée, a certes été démantelé autour de Paris le 18 décembre 2007. Mais "ces gens ne sont pas dans une logique de bande, note M. Chaboud. Ils se méfient des risques de pénétration". Les "services" savent néanmoins que les Français sont des cibles et se préparent. Il y a quelques mois, une poignée de touristes italiens capturés au Mali par des activistes de l'AQMI se seraient entendu dire par le chef de la bande : "Si vous aviez été français ou américains, on vous aurait tués."
Un temps présenté comme le nouveau front du combat djihadiste, le Maghreb n'est pas encore devenu cette "zone de guerre" espérée par Zawahiri. Même si les touristes occidentaux doivent, selon les diplomates du Quai d'Orsay, "y faire preuve d'une prudence grandissante pour leurs déplacements", le tableau demeure contrasté.
Dans quelle mesure l'ancien Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) en Algérie, officiellement rebaptisé Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) en janvier 2007, à sa demande et avec l'accord - annoncé en vidéo - de Zawahiri, est-il parvenu à fédérer tous les mouvements islamistes armés de la région ? Officiellement, cette tâche lui a été dévolue par la "maison mère" dès l'adoubement. "Rien, cependant, note Jean Pierre Filiu, professeur à Sciences Po et auteur arabisant de nombreuses études sur le sujet, ne permet de confirmer que les trois autres groupes combattants de la région - tunisien, marocain et libyen - siègent à la direction collective d'AQMI. Mais il est avéré que ces formations djihadistes n'ont plus d'activité publique depuis son avènement."
Pour autant, note Marc Sageman, spécialiste américain reconnu du terrorisme international, "n'importe qui, aujourd'hui dans le monde, peut se déclarer combattant d'Al-Qaida". La nébuleuse, qui a subi de lourdes pertes en Irak, en Arabie saoudite et dans les pays du Golfe - "le réseau Ben Laden est sur la défensive partout dans le monde", avançait fin mai, peut-être un peu vite, Michael Hayden, le directeur de la CIA - s'apparente plus, à présent, à une idéologie qui continue d'essaimer plutôt qu'à une organisation structurée.
"En tant qu'organisation, Al-Qaida est en déclin, c'est certain", note Lawrence Wright, journaliste vedette au New Yorker et expert indiscuté de "la centrale" : "Elle a pris des coups. Les services égyptiens estiment que son noyau dur est inférieur à 200 personnes. Les Américains vont jusqu'à 300 à 500. Mais l'organisation a réussi à s'adapter, à évoluer. Elle n'est pas sur le point de mourir." Grâce à Internet, qui est devenu en quelque sorte son quartier général, le réseau Ben Laden "a noué des alliances dans plusieurs régions du monde".
Ainsi de l'ancien GSPC qui émerge en 1998-1999. Dès le début, note M. Filiu, "le GSPC prétend mener "le djihad contre le régime algérien qui a renié l'islam, et contre ses maîtres chrétiens et juifs"." Avec l'invasion américaine de l'Irak en mars 2003, "invasion qui va servir de catalyseur au recrutement et à la radicalisation de beaucoup de jeunes islamistes", une querelle interne éclate au GSPC. D'un côté, les tenants du combat "islamo-nationaliste" purement algérien, de l'autre, ceux qui veulent internationaliser la "guerre sainte". Ces derniers l'emportent dès l'été 2003. Premier artificier du groupe, puis chef de sa logistique, Abdelmalek Droukdal devient l'émir du GSPC à la fin de 2003.
"Ceux qui pensent,affirmait Droukdal le 22 septembre, que la France assurera sa sécurité sur ses terres (...) se trompent." Elle n'aura pas la capacité "de le faire, puisqu'elle sera, le jour venu, préoccupée par sa propre sécurité". Un an plus tôt, presque jour pour jour, Ayman Al-Zawahiri, le numéro deux égyptien d'Oussama Ben Laden, avait appelé les musulmans d'Afrique du Nord à "soutenir (leurs) fils moudjahidin (de l'AQMI) contre les croisés et leurs enfants" et à aider à "débarrasser" la région des Français et des Espagnols.
Droukdal l'Algérien et ses cohortes djihadistes ont-ils les moyens de mettre leur menace à exécution ? "La France n'est pas plus menacée que d'autres, mais elle est une cible potentielle", expliquait Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, peu après cet appel. Plus alarmiste, Louis Caprioli, qui fut le patron de la lutte antiterroriste à la direction de la surveillance du territoire (DST) de 1998 à 2004, évalue la menace "à un niveau orange-rouge" : "Pour l'instant, elle est dans les discours, mais ils ne pourront pas s'en contenter, à un moment ou un autre, ils frapperont." L'ancien commissaire, qui conseille aujourd'hui le groupe de gestion des risques GEOS, rappelle que "tous les réseaux démantelés jusqu'en 2005 sur le sol français étaient en relation avec l'ex-GSPC (ancêtre de l'AQMI)".
Un officier des services de renseignement français le confirme au Monde : "En théorie, une attaque est faisable. Il suffit d'une poignée de fanatiques décidés à mourir pour faire du grabuge. Mais tout ce beau monde est surveillé de près." A tout hasard, à la lumière de ce qui vient de se produire à Bombay et sans préjuger de l'enquête indienne sur les auteurs de l'hécatombe, Michèle Alliot-Marie vient d'ordonner aux patrons de la police et de la gendarmerie de réfléchir à la mise en oeuvre, sous dix jours, d'un exercice grandeur nature, comme son ministère en conduit régulièrement, qui permettrait de voir comment réagir à "plusieurs attentats multiples et concomitants en plusieurs points d'une capitale".
Pour autant, confie Christophe Chaboud, le patron de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste en France (Uclat), "il ne s'agit pas de présenter nos cités et nos quartiers en bases arrière potentielles d'Al-Qaida Maghreb". S'il est vrai que, au début des années 1990, lorsqu'ils mettaient l'Algérie à feu et à sang - 150 000 morts en dix ans - les Groupes islamiques armés (GIA), dont l'AQMI est un héritier direct, disposaient de réseaux dans tous les grands pays européens, les massacres qui s'étaient multipliés à partir de 1996 avaient "écoeuré" bon nombre de sympathisants.
Un réseau nouveau, mis en place par un activiste qui voulait rejoindre les maquis maghrébins de l'organisation armée, a certes été démantelé autour de Paris le 18 décembre 2007. Mais "ces gens ne sont pas dans une logique de bande, note M. Chaboud. Ils se méfient des risques de pénétration". Les "services" savent néanmoins que les Français sont des cibles et se préparent. Il y a quelques mois, une poignée de touristes italiens capturés au Mali par des activistes de l'AQMI se seraient entendu dire par le chef de la bande : "Si vous aviez été français ou américains, on vous aurait tués."
Un temps présenté comme le nouveau front du combat djihadiste, le Maghreb n'est pas encore devenu cette "zone de guerre" espérée par Zawahiri. Même si les touristes occidentaux doivent, selon les diplomates du Quai d'Orsay, "y faire preuve d'une prudence grandissante pour leurs déplacements", le tableau demeure contrasté.
Dans quelle mesure l'ancien Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) en Algérie, officiellement rebaptisé Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) en janvier 2007, à sa demande et avec l'accord - annoncé en vidéo - de Zawahiri, est-il parvenu à fédérer tous les mouvements islamistes armés de la région ? Officiellement, cette tâche lui a été dévolue par la "maison mère" dès l'adoubement. "Rien, cependant, note Jean Pierre Filiu, professeur à Sciences Po et auteur arabisant de nombreuses études sur le sujet, ne permet de confirmer que les trois autres groupes combattants de la région - tunisien, marocain et libyen - siègent à la direction collective d'AQMI. Mais il est avéré que ces formations djihadistes n'ont plus d'activité publique depuis son avènement."
Pour autant, note Marc Sageman, spécialiste américain reconnu du terrorisme international, "n'importe qui, aujourd'hui dans le monde, peut se déclarer combattant d'Al-Qaida". La nébuleuse, qui a subi de lourdes pertes en Irak, en Arabie saoudite et dans les pays du Golfe - "le réseau Ben Laden est sur la défensive partout dans le monde", avançait fin mai, peut-être un peu vite, Michael Hayden, le directeur de la CIA - s'apparente plus, à présent, à une idéologie qui continue d'essaimer plutôt qu'à une organisation structurée.
"En tant qu'organisation, Al-Qaida est en déclin, c'est certain", note Lawrence Wright, journaliste vedette au New Yorker et expert indiscuté de "la centrale" : "Elle a pris des coups. Les services égyptiens estiment que son noyau dur est inférieur à 200 personnes. Les Américains vont jusqu'à 300 à 500. Mais l'organisation a réussi à s'adapter, à évoluer. Elle n'est pas sur le point de mourir." Grâce à Internet, qui est devenu en quelque sorte son quartier général, le réseau Ben Laden "a noué des alliances dans plusieurs régions du monde".
Ainsi de l'ancien GSPC qui émerge en 1998-1999. Dès le début, note M. Filiu, "le GSPC prétend mener "le djihad contre le régime algérien qui a renié l'islam, et contre ses maîtres chrétiens et juifs"." Avec l'invasion américaine de l'Irak en mars 2003, "invasion qui va servir de catalyseur au recrutement et à la radicalisation de beaucoup de jeunes islamistes", une querelle interne éclate au GSPC. D'un côté, les tenants du combat "islamo-nationaliste" purement algérien, de l'autre, ceux qui veulent internationaliser la "guerre sainte". Ces derniers l'emportent dès l'été 2003. Premier artificier du groupe, puis chef de sa logistique, Abdelmalek Droukdal devient l'émir du GSPC à la fin de 2003.
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