Tandis que la police multiplie les succès contre l'ETA, la gauche et la droite espagnoles ont recommencé à se déchirer à propos de la lutte contre le terrorisme basque. Le pacte qui avait été scellé, au mois de juillet, entre le chef du gouvernement socialiste, José Luis Rodriguez Zapatero, et le leader du Parti populaire (PP, droite), Mariano Rajoy, pour parler d'une seule voix, est menacé par le débat actuel sur l'Action nationaliste basque (ANV). Ce petit parti proche de l'ETA, déclaré hors-la-loi par le Tribunal suprême espagnol en septembre, et inscrit depuis quelques jours sur la liste des organisations terroristes de l'Union européenne, continue de diriger 42 mairies au Pays basque et en Navarre, sur les 125 où il a obtenu des élus lors des élections municipales de 2007.

Une motion soutenue par le PP pour que ces municipalités soient dissoutes "sans délai" a été repoussée, mardi 16 décembre, au Congrès des députés. Le Parti socialiste (PSOE), comme le gouvernement, estime que ce serait contraire à la loi sur le régime des collectivités locales, un texte qui ne prévoit la dissolution qu'au cas par cas, s'il y a eu "soutien, de manière réitérée et grave, au terrorisme". La polémique s'est embrasée après l'assassinat par un commando de l'ETA de l'entrepreneur Ignacio Uria, le 3 décembre, à Azpeitia, une petite localité basque dont le maire, membre d'ANV, s'est refusé à condamner l'attentat.

Au cours du débat qui a précédé le vote, l'opposition a attaqué durement le gouvernement, mettant en doute "sa volonté antiterroriste". Quelques jours plus tôt, la présidente de la région de Madrid, Esperanza Aguirre, l'une des tenantes de la ligne dure du PP, avait carrément accusé M. Zapatero de vouloir "retourner au mal nommé processus de paix, du moins à la négociation politique avec les terroristes". Elle faisait référence à la tentative de dialogue amorcée lors du premier mandat de M. Zapatero, mais interrompue en juin 2007, six mois après un attentat meurtrier à l'aéroport de Madrid.

SURENCHÈRE

Ce procès d'intention a indigné la majorité : "Pourquoi tant de déloyauté de votre part, alors que nous vivons les meilleurs moments de la lutte contre l'ETA ?", a interrogé Antonio Hernando, un député du PSOE. Le durcissement du ton serait dû, selon de nombreux analystes, à une surenchère au sein même du Parti populaire. Le leadership de M. Rajoy est contesté par un noyau dur de nostalgiques de la "stratégie de crispation", cette forme d'opposition frontale et systématique qui a marqué toute la législature précédente. Le positionnement moins radical adopté depuis l'été par le leader du PP a été plusieurs fois critiqué publiquement par son prédécesseur, José Maria Aznar.

"Tous les deux jours depuis 2006, on arrête un membre de l'ETA, et c'est le mérite de tous", a rappelé M. Zapatero pour calmer le jeu. Il souhaite lui aussi que les maires ANV lâchent leur écharpe, mais sans précipitation. Des motions de censure pourraient être déposées localement, comme c'est le cas à Azpeita, où deux petites formations nationalistes, EA et Aralar, alliées à ANV, ont souhaité prendre leurs distances. Ce sera plus difficile dans les vingt-quatre communes où le parti successeur de Batasuna détient à lui seul la majorité absolue. Le gouvernement travaille à une solution juridique, a expliqué la vice-présidente de l'exécutif, Maria Teresa Fernandez de la Vega, en recommandant de la patience. Le Parti socialiste fait valoir qu'une mesure de dissolution générale reviendrait à priver ces petites communes des 8 milliards d'euros que le plan de relance espagnol réserve aux collectivités locales.

Au-delà des arguments techniques et des pétitions de principe, l'affrontement droite-gauche n'est pas dépourvu d'arrière-pensées électorales, à l'approche du scrutin régional au Pays basque en mars 2009. Le PP souhaite profiter de l'affaiblissement de l'ETA sur le terrain pour mieux faire passer son discours antinationaliste. Les socialistes, qui ont l'ambition de gagner sans s'allier au Parti nationaliste basque (PNV, modéré), redoutent que ce dernier puisse bénéficier de l'espace politique laissé par les nationalistes radicaux.

source : Le Monde