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Les réserves de la discorde

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    Par Ahmed R. Benchemsi
    Les réserves de la discorde


    La loi islamique assure-t-elle “une forme d’égalité” entre les sexes ? C’est, pour le moins, discutable…


    Depuis que Mohammed VI a annoncé qu’il levait les réserves émises par le Maroc, il y a 15 ans de cela, sur la Convention internationale sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), les islamo-conservateurs ne savent plus sur quel pied danser. Le député PJD Mustapha Ramid, par exemple, annonce que le Maroc “ne lèvera pas toutes ses réserves, mais seulement celles qui n’ont plus lieu

    d’être”. Mohammed VI a pourtant été clair : il a dit que le Maroc “lève ses réserves” - pas “certaines”, pas “une partie de”.

    Mais de quoi parlons-nous, au juste ? En 1993, Hassan II avait choisi, à l’instar de plusieurs autres dirigeants de la planète, de ratifier la CEDEF tout en émettant une série de conditions, dites juridiquement “réserves”. On pourrait résumer la position du défunt roi en une idée : “Non à la discrimination à l’égard des femmes, à condition que ça ne contrevienne pas à la législation marocaine, dont le fondement est la charia islamique”. A l’époque, la Moudawana, code du statut personnel régissant le droit de la famille, faisait des Marocaines des mineures au regard de la loi. Autrement dit, il n’y avait pas plus discriminatoire… Puis vint Mohammed VI, et sa réforme historique de la Moudawana en 2003. Depuis, les Marocaines sont co-responsables du foyer familial, se marient sans tuteur et peuvent divorcer plus facilement (quoique toujours moins facilement que les hommes). Trois ans plus tard, c’était au tour la loi sur la nationalité d’être réformée. Depuis, les Marocaines mariées à des étrangers peuvent elles aussi transmettre leur nationalité à leurs enfants. Enfin, le 10 décembre dernier, le conseiller Mohamed Moâtassim a lu ce fameux message royal indiquant la levée des réserves marocaines à la CEDEF, “devenues caduques du fait des législations avancées qui ont été adoptées par le royaume”.

    Caduques, vraiment ? Certaines, oui, mais pas toutes. A aujourd’hui, par exemple, la règle islamique selon laquelle une fille hérite de la moitié des parts d’un garçon reste toujours appliquée au Maroc. C’est le nœud de la polémique qui s’est installée depuis la lecture du message royal. Les féministes se sont immédiatement engouffrées dans la brèche pour réclamer plus de réformes (notamment sur l’héritage), partant du principe de droit bien connu selon lequel les conventions internationales priment sur les législations des Etats signataires. En vertu de ce principe, l’article 2 de la CEDEF, que le Maroc approuve aujourd’hui (sans réserves, donc) stipule clairement que tout Etat signataire doit “modifier ou abroger toute loi qui constitue une discrimination à l’égard des femmes”.

    L’inégalité dans l’héritage est-elle discriminatoire ? Du point de vue des modernistes (dont votre serviteur se flatte de faire partie), sans aucun doute. De celui des islamo-conservateurs, pas du tout, “la loi marocaine sur l’héritage assurant aux femmes une forme d’égalité conforme à la charia islamique qui est le socle de la nation”. En tant que libéral convaincu, j’ai tendance à considérer que l’égalité, c’est 50/50, point à la ligne. Mais objectivement, le point de vue des islamistes n’est pas sans cohérence. Qu’on l’approuve ou pas, le Maroc est constitutionnellement, un Etat islamique. On ne peut pas ne pas en tenir compte

    Qu’en pense le Commandeur des croyants ? Sa levée des réserves doit-elle être comprise comme un engagement de réforme législative ? Ou Mohammed VI estime-t-il, au contraire, que le Maroc est déjà installé dans une situation d’“égalité islamique” parfaite ? A cette heure, on n’en sait rien de plus que les quelques phrases laconiques lues par Moâtassim. Nous sommes donc dans le flou… et ce flou est le bienvenu, dans la mesure où il permet d’ouvrir un débat sociétal de fond, aussi salutaire que nécessaire. A chacun de défendre ses arguments, et que le meilleur gagne. En ce qui me concerne, je me contenterai pour l’instant de relever ceci : le message royal a été lu à l’occasion du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le choix de ce référentiel-là, universaliste et laïque, n’est certainement pas un hasard. A exploiter, à creuser…

    © 2005 TelQuel Magazine.
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