A la veille du début de la phase terrestre de l'opération "Plomb durci", le 3 janvier, 95 % des juifs israéliens soutenaient l'offensive dans la bande de Gaza, dont 80 % "sans réserve", selon un sondage paru dans le quotidien Maariv. Le militant pacifiste anticolonial Michel Warschawski, président du mouvement israélien Centre d'information alternative, analyse l'évolution de l'opinion publique et fait le point sur l'état du "camp de la paix" en Israël.
L'offensive militaire semble trouver un soutien très large dans la population israélienne. Le mouvement pacifiste est-il audible ?
Samedi 3 janvier, à Tel-Aviv, nous étions entre 6 000 et 8 000 à manifester pour la cessation des combats. C'était le point d'orgue de notre mobilisation jusqu'à présent. C'est beaucoup plus que ce que nous avons mobilisé pendant la deuxième guerre du Liban en 2006, mais encore très loin de la mobilisation de la première guerre du Liban [en 1982]. La population arabe (20 % de la population israélienne) est mobilisée en permanence. La grande manifestation de samedi à Sakhnine en Galilée a rassemblé au moins 50 000 personnes, ce qui est énorme. Il y a des tensions croissantes entre les deux communautés. Le racisme ambiant inter-israélien, qui se développe depuis quelques temps déjà, s'est particulièrement durci ces dix derniers jours.
Si cette guerre avait été menée par le président du Likoud, Benyamin Nétanyahou, il y aurait eu rapidement des dizaines de milliers de personnes dans la rue. Mais lorsque les travaillistes sont au pouvoir, le "camp de la paix", au sens large, n'existe pas.
Comment évolue l'opinion israélienne depuis le début de la phase terrestre des opérations ?
Le soutien massif, quasi consensuel, de l'opinion israélienne à l'opération a commencé à s'éroder avec le début de l'offensive terrestre, car les gens sont conscients qu'elle peut coûter des vies. On en est aujourd'hui à sept morts côté israélien, et l'opinion est en train de bouger sensiblement. On assiste à un revirement graduel de l'opinion publique, qui commence à attendre qu'un cessez-le-feu soit imposé à Israël.
Dans les éditoriaux de la presse quotidienne, le ton a changé. Certains journalistes reconnus, qui estimaient que cette guerre était justifiée, inévitable même, expliquent aujourd'hui qu'il faut utiliser le rapport de force sur le terrain pour obtenir un accord politique avec le Hamas. Cette offensive qui visait à neutraliser le Hamas a donc eu pour effet de lui accorder une reconnaissance de fait... Une partie de la classe politique, qui n'est pas insensible à cette opinion publique, suggère désormais de mettre fin aux affrontements. Le gouvernement israélien sait qu'un cessez-le-feu est inévitable à court terme, mais il demande encore un peu de temps pour finir le "travail".
Quel est, selon vous, l'objectif de l'armée israélienne ?
Echaudé par l'exemple libanais en 2006, le gouvernement et l'armée se sont bien gardés de fixer un objectif clair. On n'a jamais entendu parler dans les déclarations officielles de l'éradication du Hamas comme cela avait été le cas pour le Hezbollah, parce qu'ils savent que c'est impossible. Ils parlent d'"affaiblissement", de "marquer au fer rouge" les mentalités, c'est-à-dire de terroriser la population au point qu'elle accepte que des mesures soient prises pour mettre fin aux tirs de roquettes.
De manière générale, dans quel état se trouve aujourd'hui le "camp de la paix" en Israël ?
Je reprendrais une métaphore d'un grand journaliste israélien : le mouvement de la paix en Israël est une bicyclette avec une grande roue et une petite roue. La grande roue, représentée par "La Paix maintenant" et le mouvement travailliste, était capable de mobiliser à ses bons moment des centaines de milliers de personnes. La petite roue, représentée par les forces plus radicales, mobilise entre 5 000 et 10 000 selon les périodes. Ce mécanisme a été extrêmement efficace dans les années 80. Lors de la première guerre du Liban puis de l'Intifada, la petite roue se mettait très rapidement en branle et entraînait avec elle la grande.
Aujourd'hui, la petite roue, quoique plus faible qu'avant, est encore active et visible, mais le problème c'est qu'il n'y a plus de grande roue. Le mouvement de la paix a cessé d'exister. C'est la tragédie de la société israélienne.
Pourquoi cette foi en la paix a-t-elle disparu ?
A son retour de Camp David, en août 2000, Ehoud Barak a tenu un discours totalement mystificateur sur l'absence de partenaire côté palestinien. Dans la deuxième partie de son discours, il disait avoir démasqué le vrai plan d'Arafat, qui visait selon lui à nous "jeter à la mer". Ce discours a détruit en quelques semaines le mouvement de la paix. Il ne s'en est jamais remis.
En 2001, l'opinion publique israélienne modérée commençait à se remettre des effets de ce discours quand est arrivé le 11 septembre 2001, qui a globalisé le slogan "il n'y a pas de partenaire". On était désormais face à une menace existentielle représentée par l'islam militant dont les Palestiniens constituaient la ligne de front. C'est ce qui explique l'état de siège à Gaza puis l'offensive militaire. C'est la conjonction de ces deux facteurs qui explique pourquoi il n'y a plus de mouvement de la paix capable d'avoir un impact. Nous avons aujourd'hui un discours, mais aucune prise sur la politique gouvernementale.
Propos recueillis par Soren Seelow (Le Monde)
L'offensive militaire semble trouver un soutien très large dans la population israélienne. Le mouvement pacifiste est-il audible ?
Samedi 3 janvier, à Tel-Aviv, nous étions entre 6 000 et 8 000 à manifester pour la cessation des combats. C'était le point d'orgue de notre mobilisation jusqu'à présent. C'est beaucoup plus que ce que nous avons mobilisé pendant la deuxième guerre du Liban en 2006, mais encore très loin de la mobilisation de la première guerre du Liban [en 1982]. La population arabe (20 % de la population israélienne) est mobilisée en permanence. La grande manifestation de samedi à Sakhnine en Galilée a rassemblé au moins 50 000 personnes, ce qui est énorme. Il y a des tensions croissantes entre les deux communautés. Le racisme ambiant inter-israélien, qui se développe depuis quelques temps déjà, s'est particulièrement durci ces dix derniers jours.
Si cette guerre avait été menée par le président du Likoud, Benyamin Nétanyahou, il y aurait eu rapidement des dizaines de milliers de personnes dans la rue. Mais lorsque les travaillistes sont au pouvoir, le "camp de la paix", au sens large, n'existe pas.
Comment évolue l'opinion israélienne depuis le début de la phase terrestre des opérations ?
Le soutien massif, quasi consensuel, de l'opinion israélienne à l'opération a commencé à s'éroder avec le début de l'offensive terrestre, car les gens sont conscients qu'elle peut coûter des vies. On en est aujourd'hui à sept morts côté israélien, et l'opinion est en train de bouger sensiblement. On assiste à un revirement graduel de l'opinion publique, qui commence à attendre qu'un cessez-le-feu soit imposé à Israël.
Dans les éditoriaux de la presse quotidienne, le ton a changé. Certains journalistes reconnus, qui estimaient que cette guerre était justifiée, inévitable même, expliquent aujourd'hui qu'il faut utiliser le rapport de force sur le terrain pour obtenir un accord politique avec le Hamas. Cette offensive qui visait à neutraliser le Hamas a donc eu pour effet de lui accorder une reconnaissance de fait... Une partie de la classe politique, qui n'est pas insensible à cette opinion publique, suggère désormais de mettre fin aux affrontements. Le gouvernement israélien sait qu'un cessez-le-feu est inévitable à court terme, mais il demande encore un peu de temps pour finir le "travail".
Quel est, selon vous, l'objectif de l'armée israélienne ?
Echaudé par l'exemple libanais en 2006, le gouvernement et l'armée se sont bien gardés de fixer un objectif clair. On n'a jamais entendu parler dans les déclarations officielles de l'éradication du Hamas comme cela avait été le cas pour le Hezbollah, parce qu'ils savent que c'est impossible. Ils parlent d'"affaiblissement", de "marquer au fer rouge" les mentalités, c'est-à-dire de terroriser la population au point qu'elle accepte que des mesures soient prises pour mettre fin aux tirs de roquettes.
De manière générale, dans quel état se trouve aujourd'hui le "camp de la paix" en Israël ?
Je reprendrais une métaphore d'un grand journaliste israélien : le mouvement de la paix en Israël est une bicyclette avec une grande roue et une petite roue. La grande roue, représentée par "La Paix maintenant" et le mouvement travailliste, était capable de mobiliser à ses bons moment des centaines de milliers de personnes. La petite roue, représentée par les forces plus radicales, mobilise entre 5 000 et 10 000 selon les périodes. Ce mécanisme a été extrêmement efficace dans les années 80. Lors de la première guerre du Liban puis de l'Intifada, la petite roue se mettait très rapidement en branle et entraînait avec elle la grande.
Aujourd'hui, la petite roue, quoique plus faible qu'avant, est encore active et visible, mais le problème c'est qu'il n'y a plus de grande roue. Le mouvement de la paix a cessé d'exister. C'est la tragédie de la société israélienne.
Pourquoi cette foi en la paix a-t-elle disparu ?
A son retour de Camp David, en août 2000, Ehoud Barak a tenu un discours totalement mystificateur sur l'absence de partenaire côté palestinien. Dans la deuxième partie de son discours, il disait avoir démasqué le vrai plan d'Arafat, qui visait selon lui à nous "jeter à la mer". Ce discours a détruit en quelques semaines le mouvement de la paix. Il ne s'en est jamais remis.
En 2001, l'opinion publique israélienne modérée commençait à se remettre des effets de ce discours quand est arrivé le 11 septembre 2001, qui a globalisé le slogan "il n'y a pas de partenaire". On était désormais face à une menace existentielle représentée par l'islam militant dont les Palestiniens constituaient la ligne de front. C'est ce qui explique l'état de siège à Gaza puis l'offensive militaire. C'est la conjonction de ces deux facteurs qui explique pourquoi il n'y a plus de mouvement de la paix capable d'avoir un impact. Nous avons aujourd'hui un discours, mais aucune prise sur la politique gouvernementale.
Propos recueillis par Soren Seelow (Le Monde)