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Une affaire peu glorieuse
par K. Selim
par K. Selim
La coopération Nord-Sud dans l'espace méditerranéen vient de s'enrichir d'une dimension peu glorieuse. Deux bateaux d'émigrés clandestins qui transportaient cinq cents passagers originaires d'Afrique et d'Asie ont été refoulés vers un port libyen par la marine de guerre italienne, avec l'assentiment des autorités de la Jamahiriya. Il s'agit là d'un très grave précédent qui suscite la réprobation véhémente des ONG de défense des droits de l'homme et des juristes qui y voient une violation patente du droit international. L'exécutif italien, dirigé par une coalition de populistes de droite et de néo-fascistes décomplexés, a ainsi franchi, avec l'approbation muette des autres gouvernements européens, une ligne rouge dans le traitement de l'immigration clandestine.
Médecins sans frontières et Migreurop n'ont pas de mots assez durs pour qualifier l'attitude officielle italienne : ces ONG condamnent l'atteinte au droit d'asile et rappellent que la moitié des demandeurs d'asile politique obtiennent le droit de rester en Europe. Le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies exprime sa préoccupation sur un registre diplomatique. Ce qui n'émeut pas le moins du monde un ministre de l'Intérieur italien qui exulte littéralement devant ce coup de Jarnac porté à un principe de droit et se délecte du sort de ces malheureux que sa flotte de guerre, jusqu'alors plutôt abonnée aux naufrages, a su repousser vers les rivages de Syrte du roi des rois africains.
La Libye a pour sa part accepté, toute honte bue, de jouer le rôle peu glorieux de geôlier supplétif. Les excuses du Premier ministre italien pour le passé colonial s'était accompagnées d'un commentaire révélateur sur les avantages que tirait son pays en bénéficiant de «plus de pétrole et de moins d'immigrés». La formulation a le mérite de la franchise : elle exprime sans ambages l'idéologie boutiquière qui semble gagner irrésistiblement les milieux dirigeants européens. La guerre aux migrants s'accompagne d'une rhétorique xénophobe et vulgaire libérée du poids d'un passé coupable.
Dans le cas de l'Italie, la régression engagée depuis le triomphe du très poujadiste Berlusconi est d'autant plus inquiétante. Le président Napolitano, qui incarne en l'occurrence la conscience et la hauteur de vue de l'intelligentsia italienne, a vivement déploré les méthodes et le discours d'un gouvernement habitué à l'outrance.
Pour nous Maghrébins, cette triste affaire est l'illustration jusqu'à la caricature du rôle que voudraient nous voir jouer les Européens : des territoires ayant vocation à servir de centres de rétention à ciel ouvert. Le colonel Kadhafi, président de l'Union africaine, accepte cette répartition des tâches sans états d'âme. L'Europe fortifiée considère le Maghreb comme une marche au-delà du limes, ce mur qui formait la limite de l'empire romain et le protégeait des barbares. Le mur est tombé et les barbares ont fini par submerger l'empire.
Il est fort à parier, compte tenu des réalités africaines et asiatiques, que la méthode italienne se révélera aussi improductive qu'elle est indigne. Le transfert de la gestion de ces migrants du désespoir à des autoritarismes périphériques, suffira-t-il à rendre étanches les frontières de l'Europe riche et vieillissante ?
SOURCE /Le Quotidien d'Oran .
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