Justice, la réforme de la dernière chance · Grande épreuve pour le gouvernement El Fassi
· Juridictions incorruptibles et transparentes, un préalable
· Les chantiers prioritaires du monde judiciaire
«Vaut mieux entrer dans la gueule du dragon que d’aller en justice».
Ce proverbe chinois est taillé sur mesure pour nos juridictions.
Le rapport de l’Inspection générale 2007-2008, livré en exclusivité par L’Economiste, en est une preuve. Il révèle les irrégularités, surréalistes parfois, de 40 juridictions contrôlées, soit 37% des juridictions nationales. Fin 2007, et dès la formation du gouvernement El Fassi, nous avions annoncé que «la justice, aux côtés de l’éducation, est un des chantiers titanesques pour les cinq prochaines années». Ce pronostic a été confirmé par le discours royal du 20 août (voir p. 2).
Lors du Conseil de gouvernement du 4 septembre 2008, une commission interministérielle a été créée. Présidée par le département de la Justice, celle-ci devait plancher sur le projet d’une charte. Depuis l’indépendance, en 1956, ce ministère a connu des réformettes qui n’ont jamais réellement chamboulé «l’ordre naturel».
Entre-temps, plusieurs recommandations ont été formulées à commencer par celles de l’Instance équité et réconciliation, émises en novembre 2005. Deux ans plus tard le Livre blanc du patronat revient à la charge. C’est devenu une quasi-tradition que Bruxelles épingle la justice marocaine dans son rapport annuel sur la Politique européenne de voisinage. En avril 2009, plusieurs ONG, menées par l’association Adala, font des propositions pour réformer la justice.
Quant aux socialistes, et plus particulièrement Abdelwahed Radi, ministre de la Justice, ils jouent gros: depuis 2002, des ténors de l’Union socialiste des forces populaires se sont relayés aux commandes du département de la Justice, considéré jadis comme «ministère de souveraineté». Si la réforme chancelle, l’USFP -et le gouvernement avec- risque d’y laisser, encore une fois, des plumes. L’histoire retient que Radi a déclaré, après sa nomination, sur nos colonnes, qu’«il n’a pas demandé à être ministre de la Justice… Il y a une volonté de réformer. C’est pour cette raison que j’ai été choisi».
· Sur les traces d’une… instance
Une instance consultative «pluraliste et représentative». Sera-t-elle permanente ou temporaire, une institution ou une commission? On ne le sait pas encore. En revanche, ses missions sont déjà fixées et n’aura pas un pouvoir décisionnel. L’instance sera chargée d’initier des réflexions, des échanges de savoir-faire… Il y a donc des projets d’études et de coopération internationale dans l’air. L’exemple le plus proche de cette future «institution» est l’Instance centrale de prévention contre la corruption ou encore le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger. L’instance sera axée sur une philosophie «d’ouverture»: pousser le monde judiciaire à réfléchir sur ses métiers, son rôle, ses responsabilités... Il y a donc une démarche introspective à mener. Sans pour autant remettre en cause l’indépendance du pouvoir judiciaire notamment.
· Une nouvelle vie pour le CSM
Dans le cadre de la réforme annoncée, il devra tenir prochainement une session extraordinaire. Selon l’article 33 de la Constitution, c’est le Roi qui préside le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Il nomme également les magistrats sur proposition de ce Conseil. Souvent le Souverain délègue la présidence du CSM au premier vice-président, à savoir le ministre de la Justice. Lors de son mandat ministériel, Abdelwahed Radi l’a présidé pour la première fois le 11 mars 2008.
Le Conseil «veille aux garanties accordées aux magistrats quant à leur avancement et à leur discipline». Et c’est justement là où le bât blesse, puisque les membres du CSM ne peuvent pas statuer sur leurs propres avancements et promotions. Il y a eu déjà un précédent sous l’ère de feu Mohammed Bouzoubaâ. Certains juges «écartés» des promotions par le CSM ont fait valoir un conflit d’intérêts: «L’article 69 du code de la magistrature n’a pas été respecté». Il interdit la promotion, la mutation et la délégation aux membres du CSM pendant toute la durée de leur mandat.
Il lui sera dorénavant «confié de manière exclusive les attributions liées à la gestion de la carrière des magistrats». Ce qui induirait que le ministre de la Justice, représentant du pouvoir exécutif, n’y siégera plus.
Le mode d’élection de ses membres, et ses statuts, seront revus aussi. Le Conseil devra se «féminiser» puisque la femme magistrate devra y faire son entrée. Sur le plan de la représentativité, y aura-t-il un quota ou une parité? C’est l’un des points à trancher.
· Des magistrats new age
Un magistrat canadien a droit, lors de son entrée en fonction, d’opter pour le salaire qui le convient! Nous ne sommes pas le Canada. Mais la révision du statut de nos magistrats devrait s’inspirer dans sa radicalité de ce type de mesure. Pour la corruption par exemple, l’enquête de Transparency Maroc -décembre 2008- révèle que la justice arrive, avec une note de 3,6 sur 5, loin devant le secteur de la santé, de la douane et des administrations. Toujours est-il que la Fondation Mohammedia des œuvres sociales des magistrats et des fonctionnaires de la justice sera mise en place.
La refondation du statut du magistrat ira de pair avec celle du greffe notamment. En termes de formation et professionnalisation, ce sont toutes les professions judiciaires qui sont en ligne de mire. Le cas de la plupart des avocats est désespérant: monolinguisme, faible polyvalence, immobilisme du Barreau…
Et ce malgré la réforme de 2008 leur ayant permis de se constituer en société civile professionnelle. Adouls et huissiers de justice ont eu également droit à leurs lois -Bulletin officiel n°5688 du 4 décembre 2008-. Pourquoi alors les professions de droit peinent-elles à décoller? Droit d’aînesse et réflexes corporatistes ont quelque part miné la mise à niveau de ces professions. Du coup, ceci s’est répercuté sur les projets de loi qui ont manqué d’audace, d’innovation et surtout d’autocritique…
· Le pénal sous la loupe!
Le risque terroriste a été sur le plan mondial à l’origine d’une refonte de la plupart des lois pénales. Un travail législatif entamé juste après les attentats du 11 septembre à New York. Rabat adopte à son tour une loi antiterroriste dès 2002.
La réforme de la justice ne devra pas faire l’impasse sur le volet pénal. Un projet de loi circule déjà. Il a été d’ailleurs discuté lors de la 33e session du Conseil consultatif des droits de l’homme. Le CCDH a réalisé, entre octobre 2008 et mars 2009, une étude sur l’adaptation du projet du Code pénal aux normes internationales des droits humains.
L’introduction de nouvelles infractions comme le génocide, la disparition forcée et le nettoyage ethnique figure également dans cette réforme. Près d’un demi-siècle après l’entrée en vigueur de la loi pénale, les principes d’humanisation, de personnalisation de la sanction sont à l’ordre du jour. Autant dire qu’un rééquilibrage entre les droits de la victime et du coupable, l’éducation et la défense est en jeu. Ce sont donc les libertés individuelles qui sont en cause dans le procès pénal. Et lorsqu’il importe de choisir entre deux lois pénales en conflit, le principe de la légalité commande d’opter pour le texte le plus favorable à la défense. C’est là une des garanties du procès équitable.
· Un Observatoire pour le crime
Il y a d’abord la création d’un observatoire national de la criminalité. Il devra livrer, à l’instar du Haut commissariat au plan, des statistiques sur l’évolution de la délinquance. Il existe déjà un Observatoire national du monde carcéral. D’ailleurs ce projet sera mené de pair avec celui de la mise à niveau des établissements pénitentiaires. Fin 2007, ils ont été 55.600 personnes à croupir derrière les barreaux. La ration alimentaire d’un détenu ne dépasse pas 5 DH/j. Pis encore, les «budgets» médicament et hygiène sont respectivement de 0,60 et 0,20 centimes. Sans parler de la surpopulation carcérale (1 à 1,5 m2/personne).
Le ministère de la Justice compte d’ailleurs construire 11 nouveaux pénitenciers. Le nombre de gardiens est insuffisant (5.000): un surveillant pour 11 prisonniers.
Nouvelle carte judiciaire
C’est un projet de taille et… sensible. Car cela implique des dossiers sous-jacents comme le redéploiement du personnel ou la proximité géographique des juridictions. Radi a déjà entamé ce chantier, mais uniquement pour les 180 Centres des juges résidents. Quoi qu’il en soit, chaque magistrat traite en moyenne 1.000 dossiers par an alors que la norme internationale est de 500. Qu’il s’agisse des tribunaux de 1re instance ou des Cours d’appel, les affaires enregistrées et jugées dépassent largement les deux millions. Une moyenne qui revient pratiquement dans toutes les années judiciaires de 2003 à 2008. Les 30 millions de justiciables disposent en tout et pour tout de 3.322 magistrats. Ces chiffres sont importants pour redéfinir la physionomie de la carte judiciaire. Sa dernière modification remonte au milieu des années 70. En 2004, une nouvelle répartition a fait son entrée avec un décret instaurant le principe «d’unicité des juridictions». Il marque l’entrée en vigueur du principe de l’unicité de la ville en octobre 2003.
Faiçal FAQUIHI
· Juridictions incorruptibles et transparentes, un préalable
· Les chantiers prioritaires du monde judiciaire
«Vaut mieux entrer dans la gueule du dragon que d’aller en justice».
Ce proverbe chinois est taillé sur mesure pour nos juridictions.
Le rapport de l’Inspection générale 2007-2008, livré en exclusivité par L’Economiste, en est une preuve. Il révèle les irrégularités, surréalistes parfois, de 40 juridictions contrôlées, soit 37% des juridictions nationales. Fin 2007, et dès la formation du gouvernement El Fassi, nous avions annoncé que «la justice, aux côtés de l’éducation, est un des chantiers titanesques pour les cinq prochaines années». Ce pronostic a été confirmé par le discours royal du 20 août (voir p. 2).
Lors du Conseil de gouvernement du 4 septembre 2008, une commission interministérielle a été créée. Présidée par le département de la Justice, celle-ci devait plancher sur le projet d’une charte. Depuis l’indépendance, en 1956, ce ministère a connu des réformettes qui n’ont jamais réellement chamboulé «l’ordre naturel».
Entre-temps, plusieurs recommandations ont été formulées à commencer par celles de l’Instance équité et réconciliation, émises en novembre 2005. Deux ans plus tard le Livre blanc du patronat revient à la charge. C’est devenu une quasi-tradition que Bruxelles épingle la justice marocaine dans son rapport annuel sur la Politique européenne de voisinage. En avril 2009, plusieurs ONG, menées par l’association Adala, font des propositions pour réformer la justice.
Quant aux socialistes, et plus particulièrement Abdelwahed Radi, ministre de la Justice, ils jouent gros: depuis 2002, des ténors de l’Union socialiste des forces populaires se sont relayés aux commandes du département de la Justice, considéré jadis comme «ministère de souveraineté». Si la réforme chancelle, l’USFP -et le gouvernement avec- risque d’y laisser, encore une fois, des plumes. L’histoire retient que Radi a déclaré, après sa nomination, sur nos colonnes, qu’«il n’a pas demandé à être ministre de la Justice… Il y a une volonté de réformer. C’est pour cette raison que j’ai été choisi».
· Sur les traces d’une… instance
Une instance consultative «pluraliste et représentative». Sera-t-elle permanente ou temporaire, une institution ou une commission? On ne le sait pas encore. En revanche, ses missions sont déjà fixées et n’aura pas un pouvoir décisionnel. L’instance sera chargée d’initier des réflexions, des échanges de savoir-faire… Il y a donc des projets d’études et de coopération internationale dans l’air. L’exemple le plus proche de cette future «institution» est l’Instance centrale de prévention contre la corruption ou encore le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger. L’instance sera axée sur une philosophie «d’ouverture»: pousser le monde judiciaire à réfléchir sur ses métiers, son rôle, ses responsabilités... Il y a donc une démarche introspective à mener. Sans pour autant remettre en cause l’indépendance du pouvoir judiciaire notamment.
· Une nouvelle vie pour le CSM
Dans le cadre de la réforme annoncée, il devra tenir prochainement une session extraordinaire. Selon l’article 33 de la Constitution, c’est le Roi qui préside le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Il nomme également les magistrats sur proposition de ce Conseil. Souvent le Souverain délègue la présidence du CSM au premier vice-président, à savoir le ministre de la Justice. Lors de son mandat ministériel, Abdelwahed Radi l’a présidé pour la première fois le 11 mars 2008.
Le Conseil «veille aux garanties accordées aux magistrats quant à leur avancement et à leur discipline». Et c’est justement là où le bât blesse, puisque les membres du CSM ne peuvent pas statuer sur leurs propres avancements et promotions. Il y a eu déjà un précédent sous l’ère de feu Mohammed Bouzoubaâ. Certains juges «écartés» des promotions par le CSM ont fait valoir un conflit d’intérêts: «L’article 69 du code de la magistrature n’a pas été respecté». Il interdit la promotion, la mutation et la délégation aux membres du CSM pendant toute la durée de leur mandat.
Il lui sera dorénavant «confié de manière exclusive les attributions liées à la gestion de la carrière des magistrats». Ce qui induirait que le ministre de la Justice, représentant du pouvoir exécutif, n’y siégera plus.
Le mode d’élection de ses membres, et ses statuts, seront revus aussi. Le Conseil devra se «féminiser» puisque la femme magistrate devra y faire son entrée. Sur le plan de la représentativité, y aura-t-il un quota ou une parité? C’est l’un des points à trancher.
· Des magistrats new age
Un magistrat canadien a droit, lors de son entrée en fonction, d’opter pour le salaire qui le convient! Nous ne sommes pas le Canada. Mais la révision du statut de nos magistrats devrait s’inspirer dans sa radicalité de ce type de mesure. Pour la corruption par exemple, l’enquête de Transparency Maroc -décembre 2008- révèle que la justice arrive, avec une note de 3,6 sur 5, loin devant le secteur de la santé, de la douane et des administrations. Toujours est-il que la Fondation Mohammedia des œuvres sociales des magistrats et des fonctionnaires de la justice sera mise en place.
La refondation du statut du magistrat ira de pair avec celle du greffe notamment. En termes de formation et professionnalisation, ce sont toutes les professions judiciaires qui sont en ligne de mire. Le cas de la plupart des avocats est désespérant: monolinguisme, faible polyvalence, immobilisme du Barreau…
Et ce malgré la réforme de 2008 leur ayant permis de se constituer en société civile professionnelle. Adouls et huissiers de justice ont eu également droit à leurs lois -Bulletin officiel n°5688 du 4 décembre 2008-. Pourquoi alors les professions de droit peinent-elles à décoller? Droit d’aînesse et réflexes corporatistes ont quelque part miné la mise à niveau de ces professions. Du coup, ceci s’est répercuté sur les projets de loi qui ont manqué d’audace, d’innovation et surtout d’autocritique…
· Le pénal sous la loupe!
Le risque terroriste a été sur le plan mondial à l’origine d’une refonte de la plupart des lois pénales. Un travail législatif entamé juste après les attentats du 11 septembre à New York. Rabat adopte à son tour une loi antiterroriste dès 2002.
La réforme de la justice ne devra pas faire l’impasse sur le volet pénal. Un projet de loi circule déjà. Il a été d’ailleurs discuté lors de la 33e session du Conseil consultatif des droits de l’homme. Le CCDH a réalisé, entre octobre 2008 et mars 2009, une étude sur l’adaptation du projet du Code pénal aux normes internationales des droits humains.
L’introduction de nouvelles infractions comme le génocide, la disparition forcée et le nettoyage ethnique figure également dans cette réforme. Près d’un demi-siècle après l’entrée en vigueur de la loi pénale, les principes d’humanisation, de personnalisation de la sanction sont à l’ordre du jour. Autant dire qu’un rééquilibrage entre les droits de la victime et du coupable, l’éducation et la défense est en jeu. Ce sont donc les libertés individuelles qui sont en cause dans le procès pénal. Et lorsqu’il importe de choisir entre deux lois pénales en conflit, le principe de la légalité commande d’opter pour le texte le plus favorable à la défense. C’est là une des garanties du procès équitable.
· Un Observatoire pour le crime
Il y a d’abord la création d’un observatoire national de la criminalité. Il devra livrer, à l’instar du Haut commissariat au plan, des statistiques sur l’évolution de la délinquance. Il existe déjà un Observatoire national du monde carcéral. D’ailleurs ce projet sera mené de pair avec celui de la mise à niveau des établissements pénitentiaires. Fin 2007, ils ont été 55.600 personnes à croupir derrière les barreaux. La ration alimentaire d’un détenu ne dépasse pas 5 DH/j. Pis encore, les «budgets» médicament et hygiène sont respectivement de 0,60 et 0,20 centimes. Sans parler de la surpopulation carcérale (1 à 1,5 m2/personne).
Le ministère de la Justice compte d’ailleurs construire 11 nouveaux pénitenciers. Le nombre de gardiens est insuffisant (5.000): un surveillant pour 11 prisonniers.
Nouvelle carte judiciaire
C’est un projet de taille et… sensible. Car cela implique des dossiers sous-jacents comme le redéploiement du personnel ou la proximité géographique des juridictions. Radi a déjà entamé ce chantier, mais uniquement pour les 180 Centres des juges résidents. Quoi qu’il en soit, chaque magistrat traite en moyenne 1.000 dossiers par an alors que la norme internationale est de 500. Qu’il s’agisse des tribunaux de 1re instance ou des Cours d’appel, les affaires enregistrées et jugées dépassent largement les deux millions. Une moyenne qui revient pratiquement dans toutes les années judiciaires de 2003 à 2008. Les 30 millions de justiciables disposent en tout et pour tout de 3.322 magistrats. Ces chiffres sont importants pour redéfinir la physionomie de la carte judiciaire. Sa dernière modification remonte au milieu des années 70. En 2004, une nouvelle répartition a fait son entrée avec un décret instaurant le principe «d’unicité des juridictions». Il marque l’entrée en vigueur du principe de l’unicité de la ville en octobre 2003.
Faiçal FAQUIHI
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