10 Septembre 2009 Par Niko
Nous sommes dans les « Provinces du Sud ». Une région « récupérée » selon les autorités marocaines. Le Maroc, donc. Qui en douterait ? : des drapeaux rouges frappés de l’étoile verte partout, sur la moindre cahute au milieu du désert ; des portraits du Roi, d’une taille et d’une variété qu’on ne voit pas dans les « Provinces du Nord », celles où les touristes, nombreux, trouveraient cela incongru sans doute...
Ici, visiblement, on doit rappeler qui est le Roi, au cas où les gens l’oublieraient. Les touristes… il n’y en a pas, malgré les efforts publicitaires du royaume.
Le siège de la MINURSO (MIssion des Nations Unies pour l’organisation d’un Référendum d’autodétermination au Sahara Occidental), soit l’ONU, sous la responsabilité de laquelle se trouve ce territoire non autonome aux yeux du droit international, est littéralement« cerné » par des drapeaux marocains ; lesquels donnent l’illusion que ce site officiel, hérissé de puissantes paraboles de télécommunications, relève du régime alaouite ! Et l’ONU ne fait rien, de toute évidence, pour clarifier les choses.
A partir de Tan Tan, le rituel est toujours le même : barrage de police à l’entrée et à la sortie de chaque ville ou bourgade, barrages de gendarmerie (en nombre non déterminé, parfois tous les 20 km) entre les villes. La plupart du temps polis, les policiers et les gendarmes prennent les passeports, les cartes d’identité, les papiers du véhicule et consignent tout dans des fiches qu’ils remplissent à la main, avec des recherches ubuesques sur les dates d’entrée sur le territoire, et la question, rituelle elle aussi (les Européens ne le font plus figurer sur les passeports) : « profession ? » Nos réponses : « professeur en vacances », « éditrice (de livres) », « retraité »…
On se rappelle qu’un cessez-le-feu a été signé il y a 18 ans (en septembre 1991) entre le Maroc et le Front Polisario, et qu’il a depuis été parfaitement respecté. Pas un coup de feu, pas une tentative d’attentat, pas un kamikaze, rien. Seulement, et c’est horrible, des gens qui sautent sur des mines antipersonnel (fabriquées par tous les pays occidentaux…) laissées par les belligérants dans les anciennes zones de combat.
Dix-huit ans, cela fait une génération. Alors, la raison de ces contrôles incessants?
On nous le répétera : « c’est pour votre sécurité ! » Ainsi, un soir, à 15 km de Smara, au beau milieu du désert, nous partagions avec nos hôtes sahraouis un méchoui de chèvre. Au bout d’une heure ou deux, nous avons vu des faisceaux de phares s’approcher de notre retraite ; sont descendus du véhicule quatre hommes, policiers et gendarmes réunis, deux officiers et deux non gradés le fusil mitrailleur dégagé, prêt à tirer. Après quelques échanges en arabe avec nos hôtes, ils nous ont expliqué sans rire qu’ils étaient venus voir « pour notre sécurité » !
Respect
Nous sommes arrivés dans la chaleur de l’après-midi devant la maison de Soukaina Jad Ahlou, à Smara, le 16 août. A quelques mètres de sa porte, dans la rue, une voiture bleu marine stationnait, dont les occupants ne donnaient pas grand signe de vie. Après notre arrivée, on a pu voir qu’ils se réveillaient... Bien entendu, il s’agissait de policiers, des CMI (Compagnie mobile d’intervention, l’équivalent des CRS en France), dont nous avons appris qu’ils étaient présents, jour et nuit, 365 jours par an depuis quatre ans, devant la maison de Soukaina.
Cette femme d’une cinquantaine d’années, belle et grave, est d’une dignité magnifique. En 1975, lors de l’invasion du Sahara Occidental par l’armée marocaine, elle était dans un campement avec sa famille, ses enfants, dont un bébé de deux mois qu’elle avait au sein. Ils l’ont arrêtée, battue, torturée, violée devant son jeune fils, emmenée avec des dizaines d’autres Sahraouis qui refusaient l’annexion de leur pays dans le bagne de Kalaa M’Gouna, dans l’Atlas marocain. Là, son bébé est mort de faim, comme celui de 35 autres mères qui allaitaient. Là-bas, elle est restée 16 ans, jusqu’en 1991. Elle était disparue. Ses proches la croyaient morte.
Et pourtant, elle est capable de sourire, et même de rire.
Quel danger représente donc cette femme aux yeux de la police marocaine ?
La répression, une seconde nature
Les militants nous l’ont dit : les enlèvements, incarcérations et mauvais traitements d’aujourd’hui ne sont pas comparables aux disparitions forcées d’hier (sous Hassan II), quand Soukaina Jad Ahlou, Abdi Asfari, Brahim Sabbar et tant d’autres étaient enlevés, torturés, soustraits aux leurs qui les ont pensé morts pendant dix ou seize ans ; ce fut alors vraiment l’horreur.
Ce n’est pas comparable, mais cela a toujours à voir. Car le Maroc ne propose rien d’autre à la jeunesse sahraouie. Pas de liberté d’expression, pas de liberté de déplacement hors des frontières en particulier. L’acharnement sur les jeunes est sensible, comme les récits de Hayat Rgueibi et Nguia El Haouassi, deux jeunes filles de 19 ans résidant à El Aaiun, nous l’ont parfaitement fait comprendre : enlevées, emmenées au désert, battues, sexuellement souillée sinon violée pour ce qui concerne Hayat le 22 février 2009, entièrement dénudée et filmée dans cette position humiliante pour Nguia le 27 août 2009 (une semaine après notre passage au Sahara) ; à quoi il faut ajouter des menaces de mort.
Une véritable rage à leur égard semble s’être emparée des policiers et membres des services de sécurité, chez qui on sent la volonté de faire plier ces jeunes. Bien sûr, ils ont utilisé le chantage aux familles, le père de Hayat, employé à la Municipalité, ayant dû déclarer publiquement que sa fille n’avait pas été violée…
Pendant notre séjour, on a vu beaucoup de signes de cette répression soi-disant « soft ». Le cuir chevelu déchiré par un coup de matraque du jeune Hassana Aliya, à El Aaiun, le jour où l’on attendait l’arrivée à l’aéroport de la militante Sultana Khaya. A Boujdour, les CMI (Compagnie mobile d’intervention) qui se précipitaient le bâton en l’air sur des Sahraouis, jeunes et moins jeunes, qui se retrouvaient en bas d’une maison où avait lieu la réception de Sultana, et qui en frappaient plusieurs avec force. Et toujours un dispositif policier impressionnant autour des maisons des militants, policiers en civil, voitures banalisées, mouchards en faction, avec à leur tête des tortionnaires connus de tous mais qui se montrent en toute impunité car aucune des plaintes déposées contre eux n’a été suivies d’effet : ainsi, à El Aaiun, le tristement célèbre Elhassouni, alias « Moustache ». Il y eut aussi la tache rouge sur le nez d’Ennaama Asfari, ses lunettes disparues parce que cassées, la nuit du 14 août où on a pu le voir, juste après son arrestation musclée à l’entrée de Tan Tan…
Tous ces militants sont pourtant parfaitement pacifiques ; leur seule arme, c’est la parole, et là je dois dire qu’ils n’hésitent à l’utiliser, avec véhémence, et aussi avec art… Ainsi, à la question que lui posait ses tortionnaires invisibles (car on lui avait bandé les yeux) : « Que penses-tu des transfuges du Polisario qui ont rallié le Maroc, comme Ould Souilem (dirigeant sahraoui ayant rallié au début août 2009) ? », Nguia El Haouassi a répondu : « Le Polisario est une organisation démocratique, pas une dictature, et ils laissent à chacun le droit d’aller où il veut, pas comme vous les Marocains qui nous ont empêché de voyager en Grande-Bretagne où nous devions rejoindre l’équipe de Talk Together[1]), et qui nous ont enfermés à l’aéroport El Masira d’Agadir. » Elle précise que lorsqu’elle a fait cette réponse, cela les a rendus fous…
J’ai fait partie d’un groupe d’observation des droits de l’homme au Sahara Occidental sous contrôle marocain, au cours d’un voyage qui s’est déroulé du 12 au 23 août dernier.
Symboles et mensongesNous sommes dans les « Provinces du Sud ». Une région « récupérée » selon les autorités marocaines. Le Maroc, donc. Qui en douterait ? : des drapeaux rouges frappés de l’étoile verte partout, sur la moindre cahute au milieu du désert ; des portraits du Roi, d’une taille et d’une variété qu’on ne voit pas dans les « Provinces du Nord », celles où les touristes, nombreux, trouveraient cela incongru sans doute...
Ici, visiblement, on doit rappeler qui est le Roi, au cas où les gens l’oublieraient. Les touristes… il n’y en a pas, malgré les efforts publicitaires du royaume.
Le siège de la MINURSO (MIssion des Nations Unies pour l’organisation d’un Référendum d’autodétermination au Sahara Occidental), soit l’ONU, sous la responsabilité de laquelle se trouve ce territoire non autonome aux yeux du droit international, est littéralement« cerné » par des drapeaux marocains ; lesquels donnent l’illusion que ce site officiel, hérissé de puissantes paraboles de télécommunications, relève du régime alaouite ! Et l’ONU ne fait rien, de toute évidence, pour clarifier les choses.
A partir de Tan Tan, le rituel est toujours le même : barrage de police à l’entrée et à la sortie de chaque ville ou bourgade, barrages de gendarmerie (en nombre non déterminé, parfois tous les 20 km) entre les villes. La plupart du temps polis, les policiers et les gendarmes prennent les passeports, les cartes d’identité, les papiers du véhicule et consignent tout dans des fiches qu’ils remplissent à la main, avec des recherches ubuesques sur les dates d’entrée sur le territoire, et la question, rituelle elle aussi (les Européens ne le font plus figurer sur les passeports) : « profession ? » Nos réponses : « professeur en vacances », « éditrice (de livres) », « retraité »…
On se rappelle qu’un cessez-le-feu a été signé il y a 18 ans (en septembre 1991) entre le Maroc et le Front Polisario, et qu’il a depuis été parfaitement respecté. Pas un coup de feu, pas une tentative d’attentat, pas un kamikaze, rien. Seulement, et c’est horrible, des gens qui sautent sur des mines antipersonnel (fabriquées par tous les pays occidentaux…) laissées par les belligérants dans les anciennes zones de combat.
Dix-huit ans, cela fait une génération. Alors, la raison de ces contrôles incessants?
On nous le répétera : « c’est pour votre sécurité ! » Ainsi, un soir, à 15 km de Smara, au beau milieu du désert, nous partagions avec nos hôtes sahraouis un méchoui de chèvre. Au bout d’une heure ou deux, nous avons vu des faisceaux de phares s’approcher de notre retraite ; sont descendus du véhicule quatre hommes, policiers et gendarmes réunis, deux officiers et deux non gradés le fusil mitrailleur dégagé, prêt à tirer. Après quelques échanges en arabe avec nos hôtes, ils nous ont expliqué sans rire qu’ils étaient venus voir « pour notre sécurité » !
Respect
Nous sommes arrivés dans la chaleur de l’après-midi devant la maison de Soukaina Jad Ahlou, à Smara, le 16 août. A quelques mètres de sa porte, dans la rue, une voiture bleu marine stationnait, dont les occupants ne donnaient pas grand signe de vie. Après notre arrivée, on a pu voir qu’ils se réveillaient... Bien entendu, il s’agissait de policiers, des CMI (Compagnie mobile d’intervention, l’équivalent des CRS en France), dont nous avons appris qu’ils étaient présents, jour et nuit, 365 jours par an depuis quatre ans, devant la maison de Soukaina.
Cette femme d’une cinquantaine d’années, belle et grave, est d’une dignité magnifique. En 1975, lors de l’invasion du Sahara Occidental par l’armée marocaine, elle était dans un campement avec sa famille, ses enfants, dont un bébé de deux mois qu’elle avait au sein. Ils l’ont arrêtée, battue, torturée, violée devant son jeune fils, emmenée avec des dizaines d’autres Sahraouis qui refusaient l’annexion de leur pays dans le bagne de Kalaa M’Gouna, dans l’Atlas marocain. Là, son bébé est mort de faim, comme celui de 35 autres mères qui allaitaient. Là-bas, elle est restée 16 ans, jusqu’en 1991. Elle était disparue. Ses proches la croyaient morte.
Et pourtant, elle est capable de sourire, et même de rire.
Quel danger représente donc cette femme aux yeux de la police marocaine ?
La répression, une seconde nature
Les militants nous l’ont dit : les enlèvements, incarcérations et mauvais traitements d’aujourd’hui ne sont pas comparables aux disparitions forcées d’hier (sous Hassan II), quand Soukaina Jad Ahlou, Abdi Asfari, Brahim Sabbar et tant d’autres étaient enlevés, torturés, soustraits aux leurs qui les ont pensé morts pendant dix ou seize ans ; ce fut alors vraiment l’horreur.
Ce n’est pas comparable, mais cela a toujours à voir. Car le Maroc ne propose rien d’autre à la jeunesse sahraouie. Pas de liberté d’expression, pas de liberté de déplacement hors des frontières en particulier. L’acharnement sur les jeunes est sensible, comme les récits de Hayat Rgueibi et Nguia El Haouassi, deux jeunes filles de 19 ans résidant à El Aaiun, nous l’ont parfaitement fait comprendre : enlevées, emmenées au désert, battues, sexuellement souillée sinon violée pour ce qui concerne Hayat le 22 février 2009, entièrement dénudée et filmée dans cette position humiliante pour Nguia le 27 août 2009 (une semaine après notre passage au Sahara) ; à quoi il faut ajouter des menaces de mort.
Une véritable rage à leur égard semble s’être emparée des policiers et membres des services de sécurité, chez qui on sent la volonté de faire plier ces jeunes. Bien sûr, ils ont utilisé le chantage aux familles, le père de Hayat, employé à la Municipalité, ayant dû déclarer publiquement que sa fille n’avait pas été violée…
Pendant notre séjour, on a vu beaucoup de signes de cette répression soi-disant « soft ». Le cuir chevelu déchiré par un coup de matraque du jeune Hassana Aliya, à El Aaiun, le jour où l’on attendait l’arrivée à l’aéroport de la militante Sultana Khaya. A Boujdour, les CMI (Compagnie mobile d’intervention) qui se précipitaient le bâton en l’air sur des Sahraouis, jeunes et moins jeunes, qui se retrouvaient en bas d’une maison où avait lieu la réception de Sultana, et qui en frappaient plusieurs avec force. Et toujours un dispositif policier impressionnant autour des maisons des militants, policiers en civil, voitures banalisées, mouchards en faction, avec à leur tête des tortionnaires connus de tous mais qui se montrent en toute impunité car aucune des plaintes déposées contre eux n’a été suivies d’effet : ainsi, à El Aaiun, le tristement célèbre Elhassouni, alias « Moustache ». Il y eut aussi la tache rouge sur le nez d’Ennaama Asfari, ses lunettes disparues parce que cassées, la nuit du 14 août où on a pu le voir, juste après son arrestation musclée à l’entrée de Tan Tan…
Tous ces militants sont pourtant parfaitement pacifiques ; leur seule arme, c’est la parole, et là je dois dire qu’ils n’hésitent à l’utiliser, avec véhémence, et aussi avec art… Ainsi, à la question que lui posait ses tortionnaires invisibles (car on lui avait bandé les yeux) : « Que penses-tu des transfuges du Polisario qui ont rallié le Maroc, comme Ould Souilem (dirigeant sahraoui ayant rallié au début août 2009) ? », Nguia El Haouassi a répondu : « Le Polisario est une organisation démocratique, pas une dictature, et ils laissent à chacun le droit d’aller où il veut, pas comme vous les Marocains qui nous ont empêché de voyager en Grande-Bretagne où nous devions rejoindre l’équipe de Talk Together[1]), et qui nous ont enfermés à l’aéroport El Masira d’Agadir. » Elle précise que lorsqu’elle a fait cette réponse, cela les a rendus fous…
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