Par Ruth Grosrichard
Edition. Sultan d’hier et d’aujourd’hui
Dessin de Jorge de Henin, émissaire espagnol à la cour de Moulay Zidane (un des successeurs d'Ahmad Al Mansûr) de 1603 à 1613. (DR)
A l’heure où le Maroc célèbre les dix ans de règne de Mohammed VI, Nabil Mouline, dans un livre qu’il consacre au sultan saadien Ahmad Al Mansûr, décrypte des traditions d’une frappante modernité. Analyse.
Au début de la Mouqqadima, Ibn Khaldoun résumait ainsi l’objet de son monumental ouvrage : “J’ai composé un livre d’histoire, grâce auquel j’ai jeté quelques lumières sur les conditions des présentes générations… j’ai donné des explications qui permettent au lecteur de
découvrir les causes des événements et de voir par quelles voies les fondateurs de dynasties sont parvenus au pouvoir”. Eclairer le présent à la lumière du passé, c’est aussi l’objectif qu’aurait pu se proposer le jeune historien Nabil Mouline dans Le Califat imaginaire d’Ahmad Al Mansûr, paru tout récemment aux Presses universitaires de France. En tout cas, son ouvrage particulièrement riche et stimulant autorise une telle lecture.
Centralisation inédite
Sources marocaines et européennes à l’appui, il y analyse les 25 années du règne d’Ahmed Al Mansûr, dit encore Al Dhahabî (le doré ou l’aurifère) en raison de sa richesse colossale, qui fut le maître du Maroc et d’une partie de l’Afrique de l’Ouest entre 1578 et 1603. Le propos de Nabil Mouline n’est pas tant de faire la biographie de ce sultan que de“replacer le personnage dans son époque, le considérant comme un point d’entrée précieux pour la compréhension d’un processus inédit de centralisation et de concentration du pouvoir”. Car avec Al Mansûr, une nouvelle forme de domination se met en place, dont ce livre s’attache à décrypter la nature et les modalités. Si en effet le nouveau maître est parvenu à imposer son pouvoir de façon aussi absolue sur le réel, c’est pour s’être appuyé sur une minutieuse et complexe élaboration symbolique, destinée à frapper l’imaginaire de ses sujets et du reste du monde. Le sultan lui-même fut à la fois le principal ordonnateur et la clé de voûte de ce système savamment conçu, grâce auquel la monarchie marocaine s’est trouvée refondée idéologiquement et politiquement, et qui s’est perpétué, sans modifications importantes, chez l’actuelle dynastie régnante.
Le XVIème siècle marque un tournant dans l’histoire du Maroc. Rupture avec les dynasties médiévales antérieures, notamment les Mérinides et les Wattasides. Faute d’une idéologie politico-religieuse bien définie, ceux-ci avaient fondé leur légitimité sur l’esprit de corps tribal (la fameuse‘asabiyya d’Ibn Khaldoun) et la multiplication des centres de pouvoir. A contrario, la nouvelle dynastie – que notre auteur désigne par son véritable nom :“Zaydanide” plutôt que“Saadienne” - entreprend, pour légitimer son pouvoir à l’intérieur du Maroc, de transcender le cadre tribal en s’affirmant comme autorité religieuse et en manifestant une volonté centralisatrice. A quoi s’ajoute une politique extérieure soucieuse d’échapper à l’influence étrangère, notamment ottomane, et visant à étendre son empire sur le Sahara et le Soudan. Tel est ce que Nabil Mouline nomme le“projet triptyque” d’Al Mansûr, qu’il analyse de façon lumineuse dans les trois chapitres qui composent son ouvrage.
La légitimation religieuse et politique
Comme le font les différentes sources auxquelles il se réfère, l’auteur qualifie Ahmad Al Mansûr, ainsi que les autres souverains zaydanides, de“sultan-sharîf”. Appellation qui rend compte, écrit-il, de“la légitimité à la fois temporelle - d’où le terme sultan- et spirituelle – d’où le terme sharîf- à laquelle prétendaient les souverains de cette dynastie”.
C’est en effet en jouant sur ce double registre politique et religieux, caractéristique de l’idéologie sharîfienne, qu’Al Mansûr établira son pouvoir. Son but était d’instaurer, comme l’avaient voulu ses prédécesseurs omeyyades, fatimides, almohades et mérinides, un califat occidental directement inspiré de la“monarchie universelle islamique”, seul modèle conceptuel et institutionnel susceptible de fournir un fondement légitime à sa domination. Aussi, avec l’aide de son entourage immédiat, le nouveau sultan va-t-il aller puiser dans le corpus islamique tout ce qui peut contribuer à conférer un caractère sacré à son projet politique. L’élaboration de sa généalogie lui permettra, par exemple, de faire descendre les souverains zaydanides d’Al Hassan, petit-fils du Prophète par sa fille Fatima, et de monopoliser ainsi l’héritage prophétique. Al Fishtâlî, son vizir-historiographe, ira même jusqu’à comparer Al Mansûr à Mohammed dans un récit qu’il fait de l’exil qui le conduisit, quand il était encore prince, de Sijilmassa à Tlemcen. Cet exil qualifié de“hijra” est décrit comme un long et pénible voyage, sans eau ni nourriture, et tout entier consacré à la prière. Façon de donner à entendre, souligne Nabil Mouline, que se répétait là“l’étape inaugurale de la geste prophétique et la voie indispensable pour réaliser la cité idéale sur terre”.
Mais cette légitimation par la religion n’aurait pas été complète sans le soin tout particulier apporté à la formation du sultan-sharîf. Le Prophète aurait déclaré :“Celui qui choisit la science a pris une grande part de l’héritage, et celui qui s’engage dans le chemin de la science, Dieu lui facilitera le chemin du paradis”. On le suivit scrupuleusement. Confié aux meilleurs précepteurs - comme au Collège royal actuel, Al Mansûr reçut une éducation parfaitement conforme à l’enseignement traditionnel : exégèse coranique, droit musulman, grammaire et littérature arabes, mais aussi mathématiques, astronomie et autres disciplines profanes font partie de son cursus. Ce qui lui valut d’être considéré par une partie des ouléma et des lettrés comme“le prince des savants et le savant des princes”. Légitimé par son savoir, il pouvait ainsi régner en maître sur tous“les champs, les acteurs et les réseaux de la connaissance au Maroc”.
La théâtralisation du pouvoir
L’élaboration idéologique, visant à souligner la centralité du sultan-sharîf et son lien originel avec la transcendance divine, va se trouver renforcée par un autre dispositif tout aussi essentiel : celui qui touche aux insignes du pouvoir (shi’âr al-khilâfa ou shârât al-mulk) et au cérémonial sultanien (al-marâsim).
Ainsi, sur le plan religieux, il revient au sultan-sharîf de prononcer la khutba (prêche) et de présider aux prières solennelles du vendredi, de‘id al-fitr et‘id al-adha (fêtes fin de ramadan et du sacrifice du mouton). Lors des cérémonies et audiences officielles, il revêt l’habit d’apparat (thiyâb al-hayba) où domine la couleur blanche. Composé du sirwâl (pantalon), du qamîs (sorte de blouse), du caftan à manches larges, du silhâm (cape) ainsi que de la shâshiyya rouge (connue sous le nom de fez) entourée d’un turban de mousseline (‘amâma), cet habit est encore en usage aujourd’hui, à quelques détails près. En tête des cortèges, les étendards, trompettes, clairons et tambours annonçaient l’arrivée du souverain. Autant de symboles d’ordre religieux, politique et militaire, utilisés par le sultan-sharîf pour impressionner ses sujets et ses hôtes étrangers. Ils servaient aussi à le distinguer du reste de la cour et à polariser les regards sur sa personne. Mais“l’insigne par excellence du pouvoir sharîfien reste l’ombrelle. Cet instrument, conçu pour abriter le souverain en marche, est un manche couronné d’un dôme qui semble représenter l’axe de l’univers et la voûte céleste. Le sultan serait le centre du sultanat voire le centre de l’univers, autour duquel tout tournerait”, écrit Nabil Mouline. Si l’ombrelle (mizalla) était déjà valorisée chez les Perses, les Abbasides et dans d’autres cours orientales voire même en Occident, Louis Chénier, Consul français à Rabat au XVIIIème siècle, y voit“la marque distinctive de la souveraineté” chez les monarques marocains, et elle conservera ce privilège jusqu’à nos jours.
Que, par l’usage des symboles et l’emprise sur l’imaginaire, le sultan-sharîf soit ainsi érigé en centre unique de référence ne l’empêche cependant nullement de se déplacer. Au point que dans son royaume, on pourrait dire, avec Pascal, que“le centre est partout et la circonférence nulle part”. Il était de tradition que les sultans passent une partie de l’année hors de la capitale impériale, soit pour résoudre les conflits entre les tribus ou juguler une tentative de sédition, soit pour se livrer à des plaisirs tels que la chasse. En pareil cas, la cour l’accompagnait et un“palais mobile” (mahalla) se mettait en place. Sorte de camp circulaire fait de tentes plantées autour du pavillon du souverain, ce dispositif spatial donnait à voir la toute-puissance de celui qui en occupait le centre, tout en manifestant que ce maître était partout chez lui et en contact direct avec ses sujets. Aussi la mahalla devint-elle“l’un des instruments privilégiés de la diffusion de l’idéologie califale d’Al Mansûr”. Aujourd’hui, le monarque marocain dispose de palais en dur dans de nombreuses villes du royaume. Même en son absence, ils constituent autant de symboles de sa présence. Du reste, la tradition de mouvement et de déplacement du souverain ne s’est pas perdue, loin s’en faut.
Il serait trop long de dresser ici la liste des insignes et des manifestations du cérémonial sultanien toujours de mise à l’heure actuelle. Les courtisans d’aujourd’hui y trouveraient, entre autres, certains titres honorifiques, formules ou gestes de salutations qu’ils ont coutume d’employer en présence de leur maître. Mais il est une cérémonie essentielle dont la codification est restée jusqu’à présent particulièrement minutieuse, c’est celle de la bey’a ou prestation du serment d’allégeance. Pour l’auteur, d’un point de vue symbolique, elle représente“l’unanimité du choix des sujets, unis autour de leur sultan et de la dynastie... D’un point de vue pratique et politique, la cérémonie peut être considérée comme une démonstration de force (la présence massive des troupes illustre cela) dans le but de tenir les sujets en respect…et catalyser l’imaginaire de la population…”
Edition. Sultan d’hier et d’aujourd’hui
Dessin de Jorge de Henin, émissaire espagnol à la cour de Moulay Zidane (un des successeurs d'Ahmad Al Mansûr) de 1603 à 1613. (DR)
A l’heure où le Maroc célèbre les dix ans de règne de Mohammed VI, Nabil Mouline, dans un livre qu’il consacre au sultan saadien Ahmad Al Mansûr, décrypte des traditions d’une frappante modernité. Analyse.
Au début de la Mouqqadima, Ibn Khaldoun résumait ainsi l’objet de son monumental ouvrage : “J’ai composé un livre d’histoire, grâce auquel j’ai jeté quelques lumières sur les conditions des présentes générations… j’ai donné des explications qui permettent au lecteur de
découvrir les causes des événements et de voir par quelles voies les fondateurs de dynasties sont parvenus au pouvoir”. Eclairer le présent à la lumière du passé, c’est aussi l’objectif qu’aurait pu se proposer le jeune historien Nabil Mouline dans Le Califat imaginaire d’Ahmad Al Mansûr, paru tout récemment aux Presses universitaires de France. En tout cas, son ouvrage particulièrement riche et stimulant autorise une telle lecture.
Centralisation inédite
Sources marocaines et européennes à l’appui, il y analyse les 25 années du règne d’Ahmed Al Mansûr, dit encore Al Dhahabî (le doré ou l’aurifère) en raison de sa richesse colossale, qui fut le maître du Maroc et d’une partie de l’Afrique de l’Ouest entre 1578 et 1603. Le propos de Nabil Mouline n’est pas tant de faire la biographie de ce sultan que de“replacer le personnage dans son époque, le considérant comme un point d’entrée précieux pour la compréhension d’un processus inédit de centralisation et de concentration du pouvoir”. Car avec Al Mansûr, une nouvelle forme de domination se met en place, dont ce livre s’attache à décrypter la nature et les modalités. Si en effet le nouveau maître est parvenu à imposer son pouvoir de façon aussi absolue sur le réel, c’est pour s’être appuyé sur une minutieuse et complexe élaboration symbolique, destinée à frapper l’imaginaire de ses sujets et du reste du monde. Le sultan lui-même fut à la fois le principal ordonnateur et la clé de voûte de ce système savamment conçu, grâce auquel la monarchie marocaine s’est trouvée refondée idéologiquement et politiquement, et qui s’est perpétué, sans modifications importantes, chez l’actuelle dynastie régnante.
Le XVIème siècle marque un tournant dans l’histoire du Maroc. Rupture avec les dynasties médiévales antérieures, notamment les Mérinides et les Wattasides. Faute d’une idéologie politico-religieuse bien définie, ceux-ci avaient fondé leur légitimité sur l’esprit de corps tribal (la fameuse‘asabiyya d’Ibn Khaldoun) et la multiplication des centres de pouvoir. A contrario, la nouvelle dynastie – que notre auteur désigne par son véritable nom :“Zaydanide” plutôt que“Saadienne” - entreprend, pour légitimer son pouvoir à l’intérieur du Maroc, de transcender le cadre tribal en s’affirmant comme autorité religieuse et en manifestant une volonté centralisatrice. A quoi s’ajoute une politique extérieure soucieuse d’échapper à l’influence étrangère, notamment ottomane, et visant à étendre son empire sur le Sahara et le Soudan. Tel est ce que Nabil Mouline nomme le“projet triptyque” d’Al Mansûr, qu’il analyse de façon lumineuse dans les trois chapitres qui composent son ouvrage.
La légitimation religieuse et politique
Comme le font les différentes sources auxquelles il se réfère, l’auteur qualifie Ahmad Al Mansûr, ainsi que les autres souverains zaydanides, de“sultan-sharîf”. Appellation qui rend compte, écrit-il, de“la légitimité à la fois temporelle - d’où le terme sultan- et spirituelle – d’où le terme sharîf- à laquelle prétendaient les souverains de cette dynastie”.
C’est en effet en jouant sur ce double registre politique et religieux, caractéristique de l’idéologie sharîfienne, qu’Al Mansûr établira son pouvoir. Son but était d’instaurer, comme l’avaient voulu ses prédécesseurs omeyyades, fatimides, almohades et mérinides, un califat occidental directement inspiré de la“monarchie universelle islamique”, seul modèle conceptuel et institutionnel susceptible de fournir un fondement légitime à sa domination. Aussi, avec l’aide de son entourage immédiat, le nouveau sultan va-t-il aller puiser dans le corpus islamique tout ce qui peut contribuer à conférer un caractère sacré à son projet politique. L’élaboration de sa généalogie lui permettra, par exemple, de faire descendre les souverains zaydanides d’Al Hassan, petit-fils du Prophète par sa fille Fatima, et de monopoliser ainsi l’héritage prophétique. Al Fishtâlî, son vizir-historiographe, ira même jusqu’à comparer Al Mansûr à Mohammed dans un récit qu’il fait de l’exil qui le conduisit, quand il était encore prince, de Sijilmassa à Tlemcen. Cet exil qualifié de“hijra” est décrit comme un long et pénible voyage, sans eau ni nourriture, et tout entier consacré à la prière. Façon de donner à entendre, souligne Nabil Mouline, que se répétait là“l’étape inaugurale de la geste prophétique et la voie indispensable pour réaliser la cité idéale sur terre”.
Mais cette légitimation par la religion n’aurait pas été complète sans le soin tout particulier apporté à la formation du sultan-sharîf. Le Prophète aurait déclaré :“Celui qui choisit la science a pris une grande part de l’héritage, et celui qui s’engage dans le chemin de la science, Dieu lui facilitera le chemin du paradis”. On le suivit scrupuleusement. Confié aux meilleurs précepteurs - comme au Collège royal actuel, Al Mansûr reçut une éducation parfaitement conforme à l’enseignement traditionnel : exégèse coranique, droit musulman, grammaire et littérature arabes, mais aussi mathématiques, astronomie et autres disciplines profanes font partie de son cursus. Ce qui lui valut d’être considéré par une partie des ouléma et des lettrés comme“le prince des savants et le savant des princes”. Légitimé par son savoir, il pouvait ainsi régner en maître sur tous“les champs, les acteurs et les réseaux de la connaissance au Maroc”.
La théâtralisation du pouvoir
L’élaboration idéologique, visant à souligner la centralité du sultan-sharîf et son lien originel avec la transcendance divine, va se trouver renforcée par un autre dispositif tout aussi essentiel : celui qui touche aux insignes du pouvoir (shi’âr al-khilâfa ou shârât al-mulk) et au cérémonial sultanien (al-marâsim).
Ainsi, sur le plan religieux, il revient au sultan-sharîf de prononcer la khutba (prêche) et de présider aux prières solennelles du vendredi, de‘id al-fitr et‘id al-adha (fêtes fin de ramadan et du sacrifice du mouton). Lors des cérémonies et audiences officielles, il revêt l’habit d’apparat (thiyâb al-hayba) où domine la couleur blanche. Composé du sirwâl (pantalon), du qamîs (sorte de blouse), du caftan à manches larges, du silhâm (cape) ainsi que de la shâshiyya rouge (connue sous le nom de fez) entourée d’un turban de mousseline (‘amâma), cet habit est encore en usage aujourd’hui, à quelques détails près. En tête des cortèges, les étendards, trompettes, clairons et tambours annonçaient l’arrivée du souverain. Autant de symboles d’ordre religieux, politique et militaire, utilisés par le sultan-sharîf pour impressionner ses sujets et ses hôtes étrangers. Ils servaient aussi à le distinguer du reste de la cour et à polariser les regards sur sa personne. Mais“l’insigne par excellence du pouvoir sharîfien reste l’ombrelle. Cet instrument, conçu pour abriter le souverain en marche, est un manche couronné d’un dôme qui semble représenter l’axe de l’univers et la voûte céleste. Le sultan serait le centre du sultanat voire le centre de l’univers, autour duquel tout tournerait”, écrit Nabil Mouline. Si l’ombrelle (mizalla) était déjà valorisée chez les Perses, les Abbasides et dans d’autres cours orientales voire même en Occident, Louis Chénier, Consul français à Rabat au XVIIIème siècle, y voit“la marque distinctive de la souveraineté” chez les monarques marocains, et elle conservera ce privilège jusqu’à nos jours.
Que, par l’usage des symboles et l’emprise sur l’imaginaire, le sultan-sharîf soit ainsi érigé en centre unique de référence ne l’empêche cependant nullement de se déplacer. Au point que dans son royaume, on pourrait dire, avec Pascal, que“le centre est partout et la circonférence nulle part”. Il était de tradition que les sultans passent une partie de l’année hors de la capitale impériale, soit pour résoudre les conflits entre les tribus ou juguler une tentative de sédition, soit pour se livrer à des plaisirs tels que la chasse. En pareil cas, la cour l’accompagnait et un“palais mobile” (mahalla) se mettait en place. Sorte de camp circulaire fait de tentes plantées autour du pavillon du souverain, ce dispositif spatial donnait à voir la toute-puissance de celui qui en occupait le centre, tout en manifestant que ce maître était partout chez lui et en contact direct avec ses sujets. Aussi la mahalla devint-elle“l’un des instruments privilégiés de la diffusion de l’idéologie califale d’Al Mansûr”. Aujourd’hui, le monarque marocain dispose de palais en dur dans de nombreuses villes du royaume. Même en son absence, ils constituent autant de symboles de sa présence. Du reste, la tradition de mouvement et de déplacement du souverain ne s’est pas perdue, loin s’en faut.
Il serait trop long de dresser ici la liste des insignes et des manifestations du cérémonial sultanien toujours de mise à l’heure actuelle. Les courtisans d’aujourd’hui y trouveraient, entre autres, certains titres honorifiques, formules ou gestes de salutations qu’ils ont coutume d’employer en présence de leur maître. Mais il est une cérémonie essentielle dont la codification est restée jusqu’à présent particulièrement minutieuse, c’est celle de la bey’a ou prestation du serment d’allégeance. Pour l’auteur, d’un point de vue symbolique, elle représente“l’unanimité du choix des sujets, unis autour de leur sultan et de la dynastie... D’un point de vue pratique et politique, la cérémonie peut être considérée comme une démonstration de force (la présence massive des troupes illustre cela) dans le but de tenir les sujets en respect…et catalyser l’imaginaire de la population…”
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