Trimbalant toujours ses fils et sa femme lourde à porter et à faire manger, Ben Ali a donc fini par se faufiler par les airs, encore une fois, mais à bord d'un hélicoptère et pas d'un avion, pour se poser un peu plus loin, comme une guêpe néfaste et se dissoudre dans la mélancolie. C'est du moins ce que l'on a cru et fait croire au monde. En vérité, Ben Ali est parti vers l'ouest. Vers Tripoli. Là, un peu plus agité par les drogues, masqué derrière un accoutrement de bédouin trompeur, il déclenche une autre guerre de survie et d'écrasement. En Libye, il a donc tué un peu plus, torturé plus, insulté plus puis s'est isolé dans un morceau de murs et a créé un génocide et une chanson «Zengua Zengua». Complètement affolé par le manque de sommeil, la paranoïa et les hourras de ses clients, il a fait n'importe quoi, mangé tous les enfants du futur et piétiné des dizaines de villes avec des missiles.
Encerclé et bombardé par le monde entier ou presque, il a creusé, finalement, un tunnel avec l'aide de quelques centaines de mercenaires puis est apparu au Yémen où il avait l'habitude de s'incarner entre deux massacres à Jdabia. Là, Ben Ali a décidé d'être intraitable et non négociable: pas de réédition, ni de compromis, ni de négociation, ni de sentiment: il va rester. Il le fera en tirant, parlant, discourant ou en se faufilant. Sa certitude est que le monde ne s'intéresse pas généralement au bout du monde qu'est le Yémen selon lui et par lui. Autant donc rester. La ruse était d'apparaître sous forme de Kadhafi en Libye pour faire oublier la présence de Ben Ali au Yémen. Belle recette mais pour tenir l'histoire par les cheveux, il faut être partout en ces temps de révoltes et d'insolence des peuples. C'est ce qui explique l'apparition inattendue de Ben Ali, avec de fines moustaches d'enfant incapable, en Syrie. Là, Ben Ali a compris et décidé de ne pas faire de discours genre «Je vous ai compris». Plus la peine quand on sait où cela mène. «C'est un complot externe et je verrais pour les réformes», dira-t-il. A Damas, Ben Ali a frappé fort: arrestations nocturnes, maltraitances, contremarches, tortures et disparitions forcées. Damas ne sera pas Tripoli qui ne sera pas Le Caire. Beaucoup de travail, de peine et d'effort car il y a presque une dizaine de capitales arabes alors qu'il n'existe qu'un seul Ben Ali pour les gouverner tous.
«Ben Ali a fui» crie la voix magnifique de ce Tunisien dans la nuit de sa capitale, filmé par un téléphone portable pour l'éternité. «Ben Ali arrive !» lui répondent d'autres en Syrie, au Yémen, à Misrata, en Arabie Saoudite, etc.
Kamel Daou, Le Quotidien d'Oran
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