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"En Tunisie, on est dans la continuité du processus révolutionnaire

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  • "En Tunisie, on est dans la continuité du processus révolutionnaire

    Le gouvernement tunisien a décrété, samedi 7 mai, un couvre-feu nocturne à Tunis et dans sa banlieue, en réponse aux manifestations antigouvernementales qui ont repris depuis jeudi et qui se sont accompagnées de violences et de pillages. Ce regain de tension est le signe d'un malaise persistant, quatre mois après le renversement du régime de Ben Ali. Vincent Geisser, chargé de recherches au CNRS et auteur de Dictateurs en sursis avec l'homme politique tunisien Moncef Marzouki revient sur les raisons de ces nouvelles manifestations.

    Qui sont les Tunisiens qui manifestent, et pourquoi descendent-ils dans la rue ?

    Vincent Geisser : Il y a deux clichés à ce sujet qu'il faut impérativement éviter. Le premier serait d'imaginer qu'il s'agit de réseaux manipulés par l'ancien régime, qui chercheraient à fragiliser le processus de démocratisation. Le deuxième serait de faire de ces manifestants des délinquants, simplement animés par la volonté de casser et de déstabiliser la société tunisienne.

    Nous sommes en fait encore au cœur de la révolution. Le profond malaise qui avait amené le soulèvement populaire n'a pas disparu avec le départ de Ben Ali. Certains jeunes, souvent diplômés, sont toujours en situation de précarité, qu'ils habitent Tunis, les banlieues, ou bien l'intérieur du pays. Ils ont l'impression que la révolution leur échappe : la jeunesse qui s'est sentie humiliée sous Ben Ali ne se sent pas sortie de cet état, et veut continuer à agir. On est vraiment dans la continuité du processus révolutionnaire. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la carte des protestations et celle des zones les plus touchées par la précarité correspondent.

    Peut-on soupçonner une forme de récupération politique dans ce regain de colère ?

    Rien ne le prouve. Cela témoigne plutôt du manque de légitimité dont souffre le gouvernement transitoire auprès de ces populations. Deux légitimités s'opposent en Tunisie : celle, technocratique, incarnée par le premier ministre, Béji Caïd Essebsi, et celle, révolutionnaire, qui s'exprime à travers cette jeunesse qui estime ne pas être entendue.

    Le gouvernement transitoire a-t-il les moyens de satisfaire les attentes des manifestants ?


    La rue a déjà obtenu beaucoup de choses : la démission du premier gouvernement, le principe d'élection d'une assemblée constituante, l'interdiction de l'ancien parti unique... Cependant, la situation est délicate : on demande au gouvernement de résoudre dans l'urgence des problèmes structurels, comme le chômage et la précarité. Mais il n'est pas en mesure de le faire de par sa nature provisoire. Ses marges de manœuvre sont très faibles. Cela est d'autant plus compliqué que le redémarrage de l'économie est difficile : la Tunisie est par exemple confrontée à une grave crise du tourisme.


    L'une des réponses du gouvernement aux manifestations a été le rétablissement d'un couvre-feu nocturne. Est-ce un mauvais signal envoyé à la population ?

    On peut le penser mais il faut se souvenir que le premier couvre-feu, instauré après le départ de Ben Ali, a été un succès. Il avait permis un retour au calme et avait été bien accepté par les Tunisiens. Le fait que l'armée, très populaire, ait été chargée de son application avait été bien reçu par la majorité de la population, toutes opinions politiques confondues.

    Je ne pense donc pas que ce nouveau couvre-feu soit perçu comme un retour en arrière. Reste à savoir s'il sera aussi bien respecté qu'à l'époque, quand régnait une certaine euphorie révolutionnaire au lendemain du départ de Ben Ali.

    Dimanche 8 mai, pour la première fois, le premier ministre a évoqué un éventuel report des élections législatives, parlant d'"empêchements techniques". Comment interpréter cette déclaration ?

    Ce report est demandé par une partie des forces politiques tunisiennes qui veulent avoir le temps de préparer ces élections et estiment qu'une échéance trop proche peut favoriser les partis islamistes et les réseaux de l'ancien parti de Ben Ali.

    Dans le même temps, en jouant sur le calendrier électoral, le premier ministre donne l'impression de garder la main sur le jeu politique. Puisqu'il ne dispose pas de leviers d'action dans le domaine économique et social, qu'il ne peut qu'en partie influer sur le champ sécuritaire, il peut compter sur les leviers institutionnels et constitutionnels pour exister. Il veut sans doute montrer que bien qu'il ne soit en poste que temporairement, il faudra compter sur lui à l'avenir.

    Mais cela reste un jeu dangereux car ça risque d'être interprété par de nombreux Tunisiens comme un "mini-coup d'Etat". La seule légitimité de ce gouvernement est d'être temporaire : tout signe qui trahirait une volonté de se maintenir au-delà du temps qui lui est imparti serait compris comme une volonté de confisquer la démocratie. Cela pourrait encore raviver le mouvement protestataire.

    Propos recueillis par Vincent Matalon
    LEMONDE.FR


    Des centaines de manifestants défilent dans les rues de Tunis, le 6 mai 2011, pour appeler à une "nouvelle révolution".AFP/FETHI BELAID
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