Aide des États-Unis aux Syriens : le "smart power" s’installe à la Maison Blanche
Modifié le 01-03-2013 à 07h06
Par Thomas Snégaroff
Spécialiste des États-Unis
LE PLUS. Le nouveau secrétaire d’État John Kerry a confirmé ce jeudi que les États-Unis allaient accroître leur soutien aux opposants à Bachar al-Assad. Faut-il y voir les dernières heures du dirigeant syrien ?
L’annonce selon laquelle la Maison Blanche s’apprête à apporter un soutien de 60 millions de dollars aux opposants syriens ne doit pas être exagérée, et ce pour deux raisons.
Une aide humanitaire et organisationnelle
D’abord, parce que l’aide américaine existe déjà. Depuis le début de la guerre civile, les États-Unis ont déjà donné 365 millions de dollars aux Syriens opposés à Bachar al-Assad. La différence entre les aides précédemment versées et celles qui s’apprêtent à l’être, c’est qu’auparavant, ces dernières étaient affectées à des associations humanitaires, tandis que maintenant, c’est l’Armée syrienne libre, l’opposition officielle, qui va en bénéficier.
Ensuite, parce que ce soutien n’est pas militaire. "Non-létal", a précisé le nouveau secrétaire d’État américain John Kerry lors de la dernière journée de sa tournée européenne. Washington n’envisage pas – ou en tout cas, pas tout de suite – d’aide en armements. Seules des mannes humanitaires et organisationnelles sont pour l’instant prévues. Les Américains restent extrêmement inquiets de la présence d’islamistes parmi les combattants de l’ALS. Selon leur département d’État, le groupe Al-Nusra, très impliqué dans l’insurrection, est lié à Al-Qaida.
À quel usage ? D’abord, de façon à venir en aide aux populations. Ensuite pour structurer l’opposition. En agissant de la sorte, ils veulent lui donner de la légitimité. Les Américains ne parient pas sur la militarisation du conflit pour renverser al-Assad mais sur l’arrivée d’instructeurs qui seront autant d’informateurs sur l’identité des principales forces de l’opposition syrienne.
Un moyen de ne pas froisser la Russie et la Chine
Ils ont bien compris que dans ce conflit, l’intérêt était d’y aller doucement, mais sûrement. Connaissant la logique suicidaire dans laquelle s’est enfermée Bachar al-Assad, la solution militaire aurait mené directement au chaos. En agissant ainsi, John Kerry et Barack Obama font coup double. Le président américain reste fidèle à sa volonté que l’Amérique ne soit plus un pays en guerre et n’a pas vocation à l’être. Enfin, ils s’évitent une mauvaise réaction de la part de la Russie, sachant qu’il se murmure que Vladimir Poutine pourrait se décider à faire pression sur le dictateur syrien.
Cela dessine un nouvel horizon géopolitique au Moyen-Orient et c’est aussi le symbole du "smart power", selon l’expression d’Hillary Clinton, dont les États-Unis veulent faire preuve en matière de politique étrangère.
Pourquoi cet accroissement seulement maintenant ? Les États-Unis devaient gérer leur sortie d’Afghanistan. Ensuite, l’année 2012, année d’élection parlementaire et présidentielle, a gelé toute prise de décision en matière de politique étrangère. Par ailleurs, le chaos qui a suivi l’intervention en Lybie a amené l’administration américaine à se méfier. Il fallait également tenir compte du soutien apporté au régime en place par la Chine et la Russie, deux puissances que les États-Unis veulent ménager.
Enfin, ajoutez à ça le fait que les investissements en Syrie n’ont rien donné, et on comprend qu’il y avait de quoi être prudent. Sur le plan humanitaire, ça avait fonctionné, mais sur le plan diplomatique, pour un pays qui veut se débarrasser de l’arc chiite – malgré des tentatives de rapprochements avec l’Iran –, c’est un échec.
(...)
Les Américains doivent être extraordinairement prudents en Syrie. Ils semblent apprendre de leurs erreurs du passé, et ça c’est assez nouveau…
Propos recueillis par Antoine Rondel (le nouvel Observateur Le Plus)
Modifié le 01-03-2013 à 07h06
Par Thomas Snégaroff
Spécialiste des États-Unis
LE PLUS. Le nouveau secrétaire d’État John Kerry a confirmé ce jeudi que les États-Unis allaient accroître leur soutien aux opposants à Bachar al-Assad. Faut-il y voir les dernières heures du dirigeant syrien ?
L’annonce selon laquelle la Maison Blanche s’apprête à apporter un soutien de 60 millions de dollars aux opposants syriens ne doit pas être exagérée, et ce pour deux raisons.
Une aide humanitaire et organisationnelle
D’abord, parce que l’aide américaine existe déjà. Depuis le début de la guerre civile, les États-Unis ont déjà donné 365 millions de dollars aux Syriens opposés à Bachar al-Assad. La différence entre les aides précédemment versées et celles qui s’apprêtent à l’être, c’est qu’auparavant, ces dernières étaient affectées à des associations humanitaires, tandis que maintenant, c’est l’Armée syrienne libre, l’opposition officielle, qui va en bénéficier.
Ensuite, parce que ce soutien n’est pas militaire. "Non-létal", a précisé le nouveau secrétaire d’État américain John Kerry lors de la dernière journée de sa tournée européenne. Washington n’envisage pas – ou en tout cas, pas tout de suite – d’aide en armements. Seules des mannes humanitaires et organisationnelles sont pour l’instant prévues. Les Américains restent extrêmement inquiets de la présence d’islamistes parmi les combattants de l’ALS. Selon leur département d’État, le groupe Al-Nusra, très impliqué dans l’insurrection, est lié à Al-Qaida.
À quel usage ? D’abord, de façon à venir en aide aux populations. Ensuite pour structurer l’opposition. En agissant de la sorte, ils veulent lui donner de la légitimité. Les Américains ne parient pas sur la militarisation du conflit pour renverser al-Assad mais sur l’arrivée d’instructeurs qui seront autant d’informateurs sur l’identité des principales forces de l’opposition syrienne.
Un moyen de ne pas froisser la Russie et la Chine
Ils ont bien compris que dans ce conflit, l’intérêt était d’y aller doucement, mais sûrement. Connaissant la logique suicidaire dans laquelle s’est enfermée Bachar al-Assad, la solution militaire aurait mené directement au chaos. En agissant ainsi, John Kerry et Barack Obama font coup double. Le président américain reste fidèle à sa volonté que l’Amérique ne soit plus un pays en guerre et n’a pas vocation à l’être. Enfin, ils s’évitent une mauvaise réaction de la part de la Russie, sachant qu’il se murmure que Vladimir Poutine pourrait se décider à faire pression sur le dictateur syrien.
Cela dessine un nouvel horizon géopolitique au Moyen-Orient et c’est aussi le symbole du "smart power", selon l’expression d’Hillary Clinton, dont les États-Unis veulent faire preuve en matière de politique étrangère.
Pourquoi cet accroissement seulement maintenant ? Les États-Unis devaient gérer leur sortie d’Afghanistan. Ensuite, l’année 2012, année d’élection parlementaire et présidentielle, a gelé toute prise de décision en matière de politique étrangère. Par ailleurs, le chaos qui a suivi l’intervention en Lybie a amené l’administration américaine à se méfier. Il fallait également tenir compte du soutien apporté au régime en place par la Chine et la Russie, deux puissances que les États-Unis veulent ménager.
Enfin, ajoutez à ça le fait que les investissements en Syrie n’ont rien donné, et on comprend qu’il y avait de quoi être prudent. Sur le plan humanitaire, ça avait fonctionné, mais sur le plan diplomatique, pour un pays qui veut se débarrasser de l’arc chiite – malgré des tentatives de rapprochements avec l’Iran –, c’est un échec.
(...)
Les Américains doivent être extraordinairement prudents en Syrie. Ils semblent apprendre de leurs erreurs du passé, et ça c’est assez nouveau…
Propos recueillis par Antoine Rondel (le nouvel Observateur Le Plus)
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