Le nombre de combattants étrangers en Syrie est en forte augmentation
Les filières djihadistes vers la Syrie ont changé d'échelle au cours de l'été. La résistance d'un régime dont on prédisait la chute rapide et les attaques chimiques menées par les forces fidèles à Bachar Al-Assad ont créé, selon un responsable de la communauté du renseignement français, "un appel d'air" en France comme à l'étranger. "Même pour l'Afghanistan, on n'avait jamais vu ça", commente la même source.
Les diplomates comme les services secrets occidentaux ont constaté la forte augmentation de combattants djihadistes venant du Caucase, notamment des Tchétchènes. Deux lieux de passage ont été identifiés en Europe. La capitale autrichienne, Vienne, est un carrefour par lequel transitent les candidats caucasiens au djihad avant de rejoindre la Syrie, via la Turquie.
Les services français, dont la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), ont également mis au jour une autre filière passant par la ville de Nice, dans les Alpes-Maritimes. Des combattants déjà aguerris y trouveraient refuge au sein d'une communauté tchétchène forte d'une petite dizaine de milliers de personnes. Ils séjourneraient sur le sol français le temps de l'examen de leur demande d'asile politique en France, puis partiraient pour la Turquie. "Beaucoup profitent de l'aéroport international de Nice, les filatures ne sont pas évidentes à réaliser", commente un membre de la DCRI.
AUSTRALIE, TERRE DE DÉPARTS
L'autre évolution notable dans les déplacements de djihadistes vers la Syrie vient d'Australie, devenu un pays pourvoyeur d'islamistes radicaux. Cette contrée, comme le Canada dans une moindre mesure, a vu, depuis trois mois, se multiplier les mobilisations dans les villes australiennes sur des questions liées au conflit syrien. Des fidèles comme des détracteurs de Bachar Al-Assad ont profité de la campagne électorale pour les élections législatives du 7 septembre pour tenter de rallier l'opinion à leur cause. L'Australie est une terre d'émigration prisée par la communauté syro-libanaise. Les Australiens détectés en Syrie sont pour la plupart des binationaux, d'après les éléments transmis à la France grâce à la coopération internationale. Figurent à leurs côtés quelques convertis.
D'autres pays, comme l'Italie, ont observé une résurgence d'un prosélytisme salafiste qui pousse de nouveaux candidats au djihad vers la Syrie. Cette mouvance avait connu un certain recul depuis quelques années après les coups portés par les services de renseignement italiens qui avaient aidé la CIA à enlever à Milan, en 2003, un religieux musulman, pourtant citoyen italien.
Enfin, des pays jusque-là absents des radars antiterroristes ont fait leur apparition. Les services ont ainsi trouvé la trace, pour la première fois, d'un Luxembourgeois dans les rangs djihadistes en Syrie.
La France n'échappe pas à cette extension des filières syriennes. Le nombre de Français ayant rejoint le pays a doublé depuis la fin mai en passant, début octobre, selon un membre de cabinet ministériel, "à plus de 400 en flux, soit plus de 200 sur place".
INDIVIDUS DÉTERMINÉS
Les rapports transmis au coordonnateur national au renseignement, Alain Zabulon, précisent que le profil de ces personnes a également évolué. Si au printemps, on observait encore de brefs voyages de lycéens ou de commerçants cinquantenaires, davantage désireux d'aller voir que de mourir pour le djihad, les intentions de ces combattants sont désormais plus cohérentes. "Leurs convictions sont mieux étayées, ils ont tous entre 20 et 35 ans, c'est une démarche de maturation, même s'ils ont toujours peu d'expérience au combat, et leur démarche reste individuelle ou motivée par des liens amicaux, elle n'est pas rattachée à un réseau structuré et ils sont souvent pris en charge au premier barrage rencontré en Syrie", note une personne ayant eu accès à ces rapports.
Les services occidentaux ont constaté ces derniers mois que des individus habitant aux Pays-Bas, en France et en Belgique, qui ne se connaissaient pas, se sont retrouvés à Bruxelles avant de partir en Syrie, toujours via la Turquie, après avoir partagé, sur Internet, leur volonté de combattre pour le djihad. Des responsables français, interrogés par Le Monde, regrettent d'ailleurs, aujourd'hui, "le peu d'énergie déployé par Ankara pour faire la chasse aux djihadistes passant sur son territoire".
En France, en écho à cette accélération de départs, les familles des combattants dénoncent de plus en plus leur fils ou leur parent partis se battre sur le sol syrien. Paradoxalement, elles sont souvent à l'origine des informations dont disposent les autorités françaises qui avouent, en privé, craindre l'avenir. Rien n'indique que la tendance observée depuis l'été ne puisse s'inverser.
Cette inquiétude explique sans doute pourquoi l'Elysée et Matignon, en dépit de la cure budgétaire, aient accepté un nouvel effort pour la lutte antiterroriste. Le gouvernement a ainsi alloué une enveloppe de 55 millions d'euros et le recrutement de 430 personnes entre 2014 et 2019, pour le compte de la DCRI, qui dépend du ministère de l'intérieur. La menace djihadiste est également avancée, par Matignon, pour expliquer que le projet de loi offre à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) 920 millions d'euros et 345 emplois.
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