Comment éviter la cata (logne) ?
mardi 12 novembre 2013, par Gaëtan Trillat
Les événements se déroulant actuellement en Espagne peuvent nous paraitre étranges, à nous et notre sacro-saint système jacobin, à nous qui parfois raillons les nationalismes breton, corse ou basque, par ailleurs très minoritaires et marginaux.
Auteurs
Gaëtan Trillat
Membre des Jeunes Européens, Rédacteur pour le Taurillon dans l’Arène
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La Voie de la Catalogne vers l’indépendance
Or, en Catalogne espagnole, un tel sentiment est au contraire partagé par une frange très importante de la population, et il suffit pour s’en convaincre de se balader dans les rues de Barcelone et de voir suspendus aux balcons des centaines, des milliers d’esteladas [1].
Si le nationalisme en Catalogne ne date pas d’hier, et remonte même à plusieurs siècles, il fut terriblement réprimé durant la période franquiste et par la suite, pendant les années qui ont suivi la Transition démocratique, les nationalistes se sont fait relativement discrets, tous les partis politiques ayant accepté la Constitution de 1978 consacrant le système de communautés autonomes ainsi que la phrase suivante : La Constitution est fondée sur l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols.
Ces trois dernières années, le contexte politico-économique a fait ressurgir avec force les revendications séparatistes ; ainsi, en 2010, le Tribunal Constitutionnel espagnol invalida quatorze articles du nouveau statut d’autonomie de la Catalogne, notamment en raison de l’emploi de l’expression « nation catalane ». À ces querelles politiques s’ajoutent les difficultés économiques de l’Espagne, et le sentiment largement partagé que Madrid spolie la Catalogne en prélevant bien trop d’impôts, en comparaison de l’argent qu’il y investit.
Le 11 septembre 2012, jour de la diada, fête nationale catalane, a réuni dans les rues de Barcelone près d’un million de personnes sous le slogan Catalonia, new state of Europe. Les élections qui ont suivi, en novembre, ont permis la constitution au Parlement de Catalogne d’une coalition pro-indépendance entre le parti majoritaire Convergència i Unió (de droite) et le parti social-démocrate Esquerra Republicana, qui ont promis la tenue d’un référendum d’autodétermination pour 2014.
Le 11 septembre dernier, la tension est montée d’un cran avec la démonstration de force des indépendantistes, qui ont réussi à créer une chaine humaine à travers tout le territoire catalan, de la frontière avec la France jusqu’au sud du delta de l’Èbre, (la via Catalana), tout cela sur fond de désaccords entre le gouvernement Rajoy, fortement opposé à la tenue du référendum, et le gouvernement catalan mené par Artur Mas, un homme à l’ambition débordante convaincu de tenir le destin de son peuple entre ses mains.
Quoiqu’il en soit, cette situation n’est en rien bénéfique pour l’Espagne, qui voit ce problème se rajouter à une incapacité à surmonter la crise économique. On peut chercher des coupables des deux côtés, car la manière dont le « problème catalan » est actuellement géré démontre la grande irresponsabilité de la classe politique par-delà les Pyrénées : Artur Mas est clairement en train de détourner son électorat de la réalité, et, pour masquer l’échec de ses politiques (inspirées par la même idéologie que Rajoy, soit-dit en passant), le président de la Generalitat agite l’estelada comme une solution miracle à tous les problèmes. Il est vrai qu’en des temps si difficiles, les gens ne demandent qu’à rêver et une idée aussi séduisante que celle de la « libération d’une nation opprimée » ne pouvait que rencontrer un grand succès.
Du côté de Madrid, la « catalanophobie » dont fait preuve le gouvernement Rajoy ne sert qu’à jeter de l’huile sur le feu et, comme l’a fait remarquer le leader de la coalition nationale de gauche Izquierda Unida, Cayo Lara, une telle attitude a pour conséquences de fabriquer encore plus d’indépendantistes. On peut évoquer par exemple la réforme de l’éducation voulue par Rajoy, qui réduirait la place du catalan à l’école, une mesure particulièrement mal accueillie par les catalans.
Il est temps pour la classe politico-médiatique de reprendre les choses en main et surtout d’apaiser le débat : en effet, la haine mutuelle entre espagnols et catalans semble n’avoir jamais été aussi forte. Les solutions cherchant à concilier les deux parties existent : le PSOE défend par exemple la création d’un État fédéral. Mais dans les médias, ces propositions sont trop peu relayées et on préfère jaser sur des événements bien plus vendeurs, comme lorsque l’hymne espagnol a été sifflé en juillet dernier, pendant les Mondiaux de natation de Barcelone.
Côté catalan, il est nécessaire d’avoir un vrai débat de fond sur ce qu’implique l’indépendance de la région ; les politiques auront-ils le courage de dire au peuple que la situation économique de la Catalogne n’est pas bonne, et que l’indépendance ne réglerait pas tout, loin s’en faut ? Expliqueront-ils correctement les difficultés qu’aura la Catalogne à rejoindre l’Union Européenne dans le futur, puisqu’en cas d’indépendance, selon les statuts de l’Union, elle en serait exclue de facto ? Il faut savoir que, si les enquêtes d’opinion donnent un net avantage aux indépendantistes, en revanche 70% des catalans souhaitent rester dans l’UE.
Pour l’instant, beaucoup de questions restent sans réponse alors que Madrid n’a toujours pas autorisé la tenue du référendum, initialement prévu pour 2014. Il semble toutefois peu probable que Mas, en cas de refus espagnol, s’obstine à organiser une consultation qui serait alors illégale. Affaire à suivre, donc.
mardi 12 novembre 2013, par Gaëtan Trillat
Les événements se déroulant actuellement en Espagne peuvent nous paraitre étranges, à nous et notre sacro-saint système jacobin, à nous qui parfois raillons les nationalismes breton, corse ou basque, par ailleurs très minoritaires et marginaux.
Auteurs
Gaëtan Trillat
Membre des Jeunes Européens, Rédacteur pour le Taurillon dans l’Arène
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Or, en Catalogne espagnole, un tel sentiment est au contraire partagé par une frange très importante de la population, et il suffit pour s’en convaincre de se balader dans les rues de Barcelone et de voir suspendus aux balcons des centaines, des milliers d’esteladas [1].
Si le nationalisme en Catalogne ne date pas d’hier, et remonte même à plusieurs siècles, il fut terriblement réprimé durant la période franquiste et par la suite, pendant les années qui ont suivi la Transition démocratique, les nationalistes se sont fait relativement discrets, tous les partis politiques ayant accepté la Constitution de 1978 consacrant le système de communautés autonomes ainsi que la phrase suivante : La Constitution est fondée sur l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols.
Ces trois dernières années, le contexte politico-économique a fait ressurgir avec force les revendications séparatistes ; ainsi, en 2010, le Tribunal Constitutionnel espagnol invalida quatorze articles du nouveau statut d’autonomie de la Catalogne, notamment en raison de l’emploi de l’expression « nation catalane ». À ces querelles politiques s’ajoutent les difficultés économiques de l’Espagne, et le sentiment largement partagé que Madrid spolie la Catalogne en prélevant bien trop d’impôts, en comparaison de l’argent qu’il y investit.
Le 11 septembre 2012, jour de la diada, fête nationale catalane, a réuni dans les rues de Barcelone près d’un million de personnes sous le slogan Catalonia, new state of Europe. Les élections qui ont suivi, en novembre, ont permis la constitution au Parlement de Catalogne d’une coalition pro-indépendance entre le parti majoritaire Convergència i Unió (de droite) et le parti social-démocrate Esquerra Republicana, qui ont promis la tenue d’un référendum d’autodétermination pour 2014.
Le 11 septembre dernier, la tension est montée d’un cran avec la démonstration de force des indépendantistes, qui ont réussi à créer une chaine humaine à travers tout le territoire catalan, de la frontière avec la France jusqu’au sud du delta de l’Èbre, (la via Catalana), tout cela sur fond de désaccords entre le gouvernement Rajoy, fortement opposé à la tenue du référendum, et le gouvernement catalan mené par Artur Mas, un homme à l’ambition débordante convaincu de tenir le destin de son peuple entre ses mains.
Quoiqu’il en soit, cette situation n’est en rien bénéfique pour l’Espagne, qui voit ce problème se rajouter à une incapacité à surmonter la crise économique. On peut chercher des coupables des deux côtés, car la manière dont le « problème catalan » est actuellement géré démontre la grande irresponsabilité de la classe politique par-delà les Pyrénées : Artur Mas est clairement en train de détourner son électorat de la réalité, et, pour masquer l’échec de ses politiques (inspirées par la même idéologie que Rajoy, soit-dit en passant), le président de la Generalitat agite l’estelada comme une solution miracle à tous les problèmes. Il est vrai qu’en des temps si difficiles, les gens ne demandent qu’à rêver et une idée aussi séduisante que celle de la « libération d’une nation opprimée » ne pouvait que rencontrer un grand succès.
Du côté de Madrid, la « catalanophobie » dont fait preuve le gouvernement Rajoy ne sert qu’à jeter de l’huile sur le feu et, comme l’a fait remarquer le leader de la coalition nationale de gauche Izquierda Unida, Cayo Lara, une telle attitude a pour conséquences de fabriquer encore plus d’indépendantistes. On peut évoquer par exemple la réforme de l’éducation voulue par Rajoy, qui réduirait la place du catalan à l’école, une mesure particulièrement mal accueillie par les catalans.
Il est temps pour la classe politico-médiatique de reprendre les choses en main et surtout d’apaiser le débat : en effet, la haine mutuelle entre espagnols et catalans semble n’avoir jamais été aussi forte. Les solutions cherchant à concilier les deux parties existent : le PSOE défend par exemple la création d’un État fédéral. Mais dans les médias, ces propositions sont trop peu relayées et on préfère jaser sur des événements bien plus vendeurs, comme lorsque l’hymne espagnol a été sifflé en juillet dernier, pendant les Mondiaux de natation de Barcelone.
Côté catalan, il est nécessaire d’avoir un vrai débat de fond sur ce qu’implique l’indépendance de la région ; les politiques auront-ils le courage de dire au peuple que la situation économique de la Catalogne n’est pas bonne, et que l’indépendance ne réglerait pas tout, loin s’en faut ? Expliqueront-ils correctement les difficultés qu’aura la Catalogne à rejoindre l’Union Européenne dans le futur, puisqu’en cas d’indépendance, selon les statuts de l’Union, elle en serait exclue de facto ? Il faut savoir que, si les enquêtes d’opinion donnent un net avantage aux indépendantistes, en revanche 70% des catalans souhaitent rester dans l’UE.
Pour l’instant, beaucoup de questions restent sans réponse alors que Madrid n’a toujours pas autorisé la tenue du référendum, initialement prévu pour 2014. Il semble toutefois peu probable que Mas, en cas de refus espagnol, s’obstine à organiser une consultation qui serait alors illégale. Affaire à suivre, donc.