Les milices de Rio, plus puissantes que les trafiquants de drogue ; telle est la conclusion d’une étude présentée mercredi 4 décembre à l’Institut des Sciences Sociales et Politiques de l’Université d’Etat de Rio de Janeiro, (l’UERJ).
Censées maintenir l’ordre dans les favelas désargentées de la ville, où vivent les « communautés » les plus défavorisées, ces organisations paramilitaires n’ont cessé de se multiplier, à tel point qu’elles contrôleraient désormais près de la moitié des 1001 favelas que compte la municipalité, 454 exactement, contre 37% gérées par les trafiquants.
Composées de policiers militaires (PM), toujours en service ou fraîchement retraités, de pompiers ou encore d’agents pénitentiaires, les milices, groupes armés controversés, surfent sur un marché très rentable : l’insécurité.
Après plusieurs années de baisse, les homicides volontaires repartent à la hausse, plus de 22% en janvier dernier, +18,6% cet été entre juin et août, +38% pour le seul mois d’août qui a également connu une hausse de 54% des vols ayant entraîné la mort ou des vols de voiture (+44%). Pis, les vols à l’arraché dans les bus, principal transport public emprunté par les cariocas, ont augmenté de 82,3% par rapport à août 2012. 4041 personnes auraient ainsi été assassinées l’année dernière dans la « cidade maravilhosa » contre 4279 l'année précédente.
Au-delà du maintien de l’ordre, les milices offrent surtout un bouquet de prestations plus juteuses encore. Ainsi leurs membres s’improvisent-ils commerçants, vendant au prix fort des produits de la vie courante, comme le gaz. Un négoce auquel ils ajoutent le piratage des câbles de télévision qui leur permet de proposer aux usagers des favelas une offre TV illégale ; la « gatonet ». 7 millions de foyers en seraient équipés, côtoyant, au vu et au su de tous, les 17 millions de brésiliens légalement abonnés.
Une manne financière dénoncée depuis plusieurs années par l’anthropologue Alba Zaluar ; les milices sont « des militaires qui abusent du monopole de la violence autorisée par l’Etat, qui garantit leur entrainement et leur fournit des armes » écrivait-elle en 2009 dans la revue São Paulo em Perspectiva. Et de poursuivre : elles ont pour « mission » de « faire respecter la loi » mais « s’en affranchissent, non seulement pour faire de la sécurité un commerce lucratif mais aussi pour exploiter (…) les plus vulnérables des travailleurs »
En 2013, à l’UERJ, l’anthropologue donne des chiffres, « cartographie » selon le principal quotidien du pays, O Globo, les favelas « qui connaissent le plus grand nombre d’homicides ou de morts violentes. » Sur les 174 favelas contrôlées par les Unités de Police Pacificatrices (UPP) apprend-on alors, seules 6 sont exemptes de trafic de drogue. Seules 23 comptent des trafiquants désarmés. Un désaveu pour les autorités, désabusées de surcroît par des milices devenues l’ennemi public numéro 1 au Brésil ?
Ce fût tout du moins l’accroche du deuxième volet du film Tropa de élite – O inimigo agora é outro -, sorti en 2010. Une immersion dans le quotidien de la BOPE, le commandement des forces spéciales de la police militaire qui a été, avec plus de 10 millions d’entrées, le plus grand succès en salles de ces trente dernières années au Brésil.
En voix off, le personnage du Colonel Nascimento (Wagner Moura) raconte la gangrène qui sévit les autorités publiques du point de vue de ces forces spéciales ultra-violentes, dont l'emblème est une tête de mort ; une caveira. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est pas que coïcidence fortuite.
Le personnage du député Fraga est de fait inspiré du député Marcelo Freixo du Parti socialisme et Liberté (PSOL). Militant des droits de l’homme, le député a mené en 2008 la commission parlementaire (CPI) visant à dénoncer les agissements des milices de Rio de Janeiro. Une enquête de cinq mois qui a débouché sur un rapport de 282 pages. Tout y passe.
Selon les parlementaires brésiliens, l’aire d’influence milicienne couvrait en 2008 171 « communautés ». Cinq ans plus tard, cette dernière a donc considérablement augmenté, représentant désormais 45% des favelas de la ville. Pour 119 d’entre elles, aucune présence de factions criminelles n’avait été constatée en 2008. Ces populations avaient-elles besoin d’être protégées par les milices ? La question reste en suspens.
Les milices cependant se sont affairées. Les bénéfices de l’organisation qui était alors la plus importante milice de la ville, La Ligue de la justice de Campo Grande (nord ouest de Rio), s’élevaient, selon le rapport, à 2 millions de reals par mois (près de 620 000 euros) surtout générés, comme pour les autres milices, par les revenus tirés des transports alternatifs ; des vans « pirates », appelés « kombis » qui permettent de désengorger les transports publics bondés.
2/3 d’entre elles n’étaient pas sécurisées mais rapportaient gros, jusqu’à 145 millions de reals par an, (45 millions d'euros). Auxquels s’ajoutent les bénéfices du commerce de bouteilles de gaz. 90% de ces ventes étant assurées parmi les favelas soit par les milices soit par les trafiquants, dans les supermarchés, les voitures ou encore à la pharmacie.
Les taxes enfin imposées par les milices sont innombrables : taxe variable selon la possession ou non d’un véhicule, taxe entre 10% et 50% de la vente de biens immobiliers, taxe pour obtenir des permis de construction etc.
L’un des principaux accusés, Josinaldo, un ancien élu mieux connu sous le diminutif « Nadinho », soupçonné d’être à la tête de la milice de Rio das Pedras, se défend à l’époque d’un grief plus stratégique encore que le commerce de marchandises, la marchandisation des voix des électeurs des favelas.
Soupçonné, entre autres, de clientélisme, Nadinho nie avoir acheté les votes ayant permis son élection en 2004, des suffrages pourtant essentiellement concentrés au sein de la 179e zone électorale de la ville dont sa milice avait le contrôle. Sur les 34 764 voix exprimées en sa faveur, 66,90% d’entre elles émanaient effectivement de cette circonscription.
Depuis Nadinho est mort. Assassiné non loin de son fief en 2009, criblé d’au moins 10 balles. « La milice est une mafia qu’on paye pour être protégé d’elle même » dit le personnage Fraga dans Tropa de elite 2. Une phrase que l’on retrouve notamment dans le rapport de la CPI chapeauté par le député Freixo
Marianne
Censées maintenir l’ordre dans les favelas désargentées de la ville, où vivent les « communautés » les plus défavorisées, ces organisations paramilitaires n’ont cessé de se multiplier, à tel point qu’elles contrôleraient désormais près de la moitié des 1001 favelas que compte la municipalité, 454 exactement, contre 37% gérées par les trafiquants.
Composées de policiers militaires (PM), toujours en service ou fraîchement retraités, de pompiers ou encore d’agents pénitentiaires, les milices, groupes armés controversés, surfent sur un marché très rentable : l’insécurité.
Après plusieurs années de baisse, les homicides volontaires repartent à la hausse, plus de 22% en janvier dernier, +18,6% cet été entre juin et août, +38% pour le seul mois d’août qui a également connu une hausse de 54% des vols ayant entraîné la mort ou des vols de voiture (+44%). Pis, les vols à l’arraché dans les bus, principal transport public emprunté par les cariocas, ont augmenté de 82,3% par rapport à août 2012. 4041 personnes auraient ainsi été assassinées l’année dernière dans la « cidade maravilhosa » contre 4279 l'année précédente.
Au-delà du maintien de l’ordre, les milices offrent surtout un bouquet de prestations plus juteuses encore. Ainsi leurs membres s’improvisent-ils commerçants, vendant au prix fort des produits de la vie courante, comme le gaz. Un négoce auquel ils ajoutent le piratage des câbles de télévision qui leur permet de proposer aux usagers des favelas une offre TV illégale ; la « gatonet ». 7 millions de foyers en seraient équipés, côtoyant, au vu et au su de tous, les 17 millions de brésiliens légalement abonnés.
Une manne financière dénoncée depuis plusieurs années par l’anthropologue Alba Zaluar ; les milices sont « des militaires qui abusent du monopole de la violence autorisée par l’Etat, qui garantit leur entrainement et leur fournit des armes » écrivait-elle en 2009 dans la revue São Paulo em Perspectiva. Et de poursuivre : elles ont pour « mission » de « faire respecter la loi » mais « s’en affranchissent, non seulement pour faire de la sécurité un commerce lucratif mais aussi pour exploiter (…) les plus vulnérables des travailleurs »
En 2013, à l’UERJ, l’anthropologue donne des chiffres, « cartographie » selon le principal quotidien du pays, O Globo, les favelas « qui connaissent le plus grand nombre d’homicides ou de morts violentes. » Sur les 174 favelas contrôlées par les Unités de Police Pacificatrices (UPP) apprend-on alors, seules 6 sont exemptes de trafic de drogue. Seules 23 comptent des trafiquants désarmés. Un désaveu pour les autorités, désabusées de surcroît par des milices devenues l’ennemi public numéro 1 au Brésil ?
Ce fût tout du moins l’accroche du deuxième volet du film Tropa de élite – O inimigo agora é outro -, sorti en 2010. Une immersion dans le quotidien de la BOPE, le commandement des forces spéciales de la police militaire qui a été, avec plus de 10 millions d’entrées, le plus grand succès en salles de ces trente dernières années au Brésil.
En voix off, le personnage du Colonel Nascimento (Wagner Moura) raconte la gangrène qui sévit les autorités publiques du point de vue de ces forces spéciales ultra-violentes, dont l'emblème est une tête de mort ; une caveira. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est pas que coïcidence fortuite.
Le personnage du député Fraga est de fait inspiré du député Marcelo Freixo du Parti socialisme et Liberté (PSOL). Militant des droits de l’homme, le député a mené en 2008 la commission parlementaire (CPI) visant à dénoncer les agissements des milices de Rio de Janeiro. Une enquête de cinq mois qui a débouché sur un rapport de 282 pages. Tout y passe.
Selon les parlementaires brésiliens, l’aire d’influence milicienne couvrait en 2008 171 « communautés ». Cinq ans plus tard, cette dernière a donc considérablement augmenté, représentant désormais 45% des favelas de la ville. Pour 119 d’entre elles, aucune présence de factions criminelles n’avait été constatée en 2008. Ces populations avaient-elles besoin d’être protégées par les milices ? La question reste en suspens.
Les milices cependant se sont affairées. Les bénéfices de l’organisation qui était alors la plus importante milice de la ville, La Ligue de la justice de Campo Grande (nord ouest de Rio), s’élevaient, selon le rapport, à 2 millions de reals par mois (près de 620 000 euros) surtout générés, comme pour les autres milices, par les revenus tirés des transports alternatifs ; des vans « pirates », appelés « kombis » qui permettent de désengorger les transports publics bondés.
2/3 d’entre elles n’étaient pas sécurisées mais rapportaient gros, jusqu’à 145 millions de reals par an, (45 millions d'euros). Auxquels s’ajoutent les bénéfices du commerce de bouteilles de gaz. 90% de ces ventes étant assurées parmi les favelas soit par les milices soit par les trafiquants, dans les supermarchés, les voitures ou encore à la pharmacie.
Les taxes enfin imposées par les milices sont innombrables : taxe variable selon la possession ou non d’un véhicule, taxe entre 10% et 50% de la vente de biens immobiliers, taxe pour obtenir des permis de construction etc.
L’un des principaux accusés, Josinaldo, un ancien élu mieux connu sous le diminutif « Nadinho », soupçonné d’être à la tête de la milice de Rio das Pedras, se défend à l’époque d’un grief plus stratégique encore que le commerce de marchandises, la marchandisation des voix des électeurs des favelas.
Soupçonné, entre autres, de clientélisme, Nadinho nie avoir acheté les votes ayant permis son élection en 2004, des suffrages pourtant essentiellement concentrés au sein de la 179e zone électorale de la ville dont sa milice avait le contrôle. Sur les 34 764 voix exprimées en sa faveur, 66,90% d’entre elles émanaient effectivement de cette circonscription.
Depuis Nadinho est mort. Assassiné non loin de son fief en 2009, criblé d’au moins 10 balles. « La milice est une mafia qu’on paye pour être protégé d’elle même » dit le personnage Fraga dans Tropa de elite 2. Une phrase que l’on retrouve notamment dans le rapport de la CPI chapeauté par le député Freixo
Marianne
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