En l'espace de quelques jours seulement, les rapports de force au Yémen ont radicalement changé au profit d'Ansarullah (houthites) et de leurs alliés, modifiant l'ensemble du paysage géopolitique régional. L'Arabie saoudite est le premier perdant de la nouvelle donne qui a vu le jour dans le Golfe.
Malgré la campagne politico-médiatique animée par l'Arabie saoudite et ses alliés occidentaux visant à présenter Ansarullah comme des «terroristes» et des «sectaires» (comprendre chiites), le mouvement a donné de lui une image tout a fait différente. Celle d'un grand parti, qui sait allier aussi bien l'action militaire que les protestations pacifiques, capable de rassembler, autour d'un projet national, de larges pans de la société yéménite, toutes appartenances communautaires confondues.
Lors de la dernière vague de protestations populaires contre le pouvoir pro-saoudien de Sanaa, des centaines de milliers de Yéménites chaféites (sunnites) se sont joints aux zaydites (une branche du chiisme) pour exiger la mise en œuvre de réformes politiques et sociales. Ansarullah a ainsi prouvé qu'il était le défenseur de revendications allant au-delà des considérations confessionnelles ou ethniques.
L'effondrement rapide du pouvoir du président Abed Rabbo Mansour Hadi et des milices salafistes d'al-Islah, soutenues par le clan des Ahmar, sonne le glas de la parenthèse saoudienne au Yémen. Et au lieu d'accaparer le pouvoir, Ansarullah a remis tous les bâtiments publics et les casernes qu'il a occupés à Sanaa à des «comités populaires», issus de plusieurs partis et factions, puis à la police militaire. Une preuve supplémentaire que son but n'est pas de monopoliser le pouvoir mais de le partager avec toutes les composantes sociopolitiques du pays, dans le but de construire un Yémen nouveau, libéré de la tutelle pesante de l'Arabie saoudite et des Américains.
Des slogans et un projet rassembleurs
La capacité de rassemblement d'Ansarullah au-delà de la communauté zaydite s'explique par la nature de ses slogans et du programme qu'il défend: le rejet catégorique de toute ingérence étrangère dans les affaires intérieures du Yémen, la lutte contre la corruption, qui mine l'appareil de l'Etat, et la mise en place de réformes sociales, qui bénéficieraient aux classes les plus défavorisées.
L'expérience d'Ansarullah est aux antipodes de celle de Daech en Irak. Cette organisation terroriste a occupé une partie du nord de l'Irak, a commis des massacres et des déplacements massifs de populations, notamment contre les minorités ethniques et religieuses, et tente d'imposer par la force son modèle de société archaïque, inspiré directement du Moyen-âge.
Les derniers développements au Yémen ont prouvé, encore une fois, combien ce pays est surprenant. Son histoire en est d'ailleurs le meilleur témoin. Les colonisateurs britanniques n'ont pas réussi à aller plus loin que le port d'Aden; les Ottomans ont été incapables de le soumettre, en dépit de l'enseigne du califat qu'ils prétendaient représenter; les clivages sectaires traditionnels entre sunnites et chiites, n'existent pas vraiment dans ce pays; le wahhabisme est resté un mouvement marginal, malgré la proximité géographique de l'Arabie saoudite. Enfin, Ansarullah a offert un exemple de mouvement politico-social mature, qui peut servir de modèle à l'ensemble des pays du Golfe.
La défaite de l'Arabie saoudite est totale au Yémen et elle aura certainement des conséquences directes au sein même du royaume wahhabite, en raison de l'imbrication démographique et économique entre les deux pays. Rappelons que des millions de Saoudiens sont d'origine yéménite.
La rapidité avec laquelle le président Hadi a signé un accord de paix avec Ansarullah -acceptant toutes leurs demandes, alors qu'il qualifiait leur mouvement de «tentative de coup d'Etat», la semaine dernière- est une prouve que l'Arabie saoudite a reconnu la défaite de ses projets et de ses partisans dans ce pays. Pourtant, il y a quelques jours à peine, Riyad menaçait les protestataires et laissait entendre qu'il pouvait intervenir militairement contre eux. Le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe (CCG), Abdelatif al-Ziyani, avait qualifié les demandes des Houthites de «provocatrices». Mais les revendications d'Ansarullah sont, en fait, celle de millions de Yéménites:
-La démission du gouvernement, qualifié de «corrompu».
-L'annulation de la décision de libéraliser le secteur d'énergie, qui profite aux compagnies étrangères.
-La révision des nouvelles divisions administratives du pays. Selon les experts, le président Hadi a décidé, sous la pression de Riyad, de modifier le découpage administratif du Yémen, en y créant six régions autonomes, afin de diminuer l'influence des Houthites. Le projet consistait à répartir les populations zaydites dans plusieurs régions à majorité sunnites, dans le but de les priver de tout rôle politique et social dans les régions de Saada, Sanaa, Omran ou al-Jouf.
Pas d'intervention militaire saoudienne
Malgré les menaces saoudiennes, Ansarullah a poursuivi son mouvement de protestation pacifique et à pris le contrôle de Sanaa.
Les zaydites savent, en effet, que le royaume wahhabite, qui a essuyé, il y a quelques années, une cuisante défaite face à eux, n'a pas les moyens de mettre ses menaces à exécution.
De peur de tout perdre au Yémen, les Saoudiens n'avaient d'autres choix que de laisser lesDéfaite totale de l’Arabie saoudite au Yémen Yéménites s'entendre entre eux. Un accord de paix, parrainé par l'Onu, a donc été signé, dimanche soir, à Sanaa, après une journée marquée par des avancées spectaculaires des partisans d'Ansarullah et de leurs alliés, qui se sont emparés de sites gouvernementaux et militaires.
«L'accord pour la paix et un partenariat national» a été signé en présence de l'émissaire de l'Onu Jamal Benomar, du président Abed Rabbo Mansour Hadi et de représentants des factions politiques, dont Ansarullah, a annoncé l'agence officielle Saba.
L'accord prévoit une cessation «immédiate» des hostilités, la nomination sous trois jours d'un nouveau Premier ministre et la formation dans un mois d'un nouveau gouvernement, a indiqué M. Benomar lors de la cérémonie de signature. Le président Hadi doit en outre s'entourer de conseillers parmi les représentants d'Ansarullah et du Mouvement sudiste, qui milite pour une autonomie du Sud.
Plus tôt dans la journée, la radio d'État, le commandement général des forces armées, le QG de la 6e région militaire, le siège de la 4e brigade, le département de la propagande du ministère de la Défense, le Parlement, la Banque centrale et l'Aviation civile, étaient tombés aux mains d'Ansarullah. Plus tard, l'agence Saba a annoncé la démission du Premier ministre, Mohammad Basindawa.
Le nouveau Yémen, qui verra le jour, sera débarrassé de l'influence saoudienne. Et ce développement ne manquera pas d'avoir d'importantes répercussions sur tous les pays de la région.
Par Samer R. Zoughaib
Alahed 22/09/2014
Malgré la campagne politico-médiatique animée par l'Arabie saoudite et ses alliés occidentaux visant à présenter Ansarullah comme des «terroristes» et des «sectaires» (comprendre chiites), le mouvement a donné de lui une image tout a fait différente. Celle d'un grand parti, qui sait allier aussi bien l'action militaire que les protestations pacifiques, capable de rassembler, autour d'un projet national, de larges pans de la société yéménite, toutes appartenances communautaires confondues.
Lors de la dernière vague de protestations populaires contre le pouvoir pro-saoudien de Sanaa, des centaines de milliers de Yéménites chaféites (sunnites) se sont joints aux zaydites (une branche du chiisme) pour exiger la mise en œuvre de réformes politiques et sociales. Ansarullah a ainsi prouvé qu'il était le défenseur de revendications allant au-delà des considérations confessionnelles ou ethniques.
L'effondrement rapide du pouvoir du président Abed Rabbo Mansour Hadi et des milices salafistes d'al-Islah, soutenues par le clan des Ahmar, sonne le glas de la parenthèse saoudienne au Yémen. Et au lieu d'accaparer le pouvoir, Ansarullah a remis tous les bâtiments publics et les casernes qu'il a occupés à Sanaa à des «comités populaires», issus de plusieurs partis et factions, puis à la police militaire. Une preuve supplémentaire que son but n'est pas de monopoliser le pouvoir mais de le partager avec toutes les composantes sociopolitiques du pays, dans le but de construire un Yémen nouveau, libéré de la tutelle pesante de l'Arabie saoudite et des Américains.
Des slogans et un projet rassembleurs
La capacité de rassemblement d'Ansarullah au-delà de la communauté zaydite s'explique par la nature de ses slogans et du programme qu'il défend: le rejet catégorique de toute ingérence étrangère dans les affaires intérieures du Yémen, la lutte contre la corruption, qui mine l'appareil de l'Etat, et la mise en place de réformes sociales, qui bénéficieraient aux classes les plus défavorisées.
L'expérience d'Ansarullah est aux antipodes de celle de Daech en Irak. Cette organisation terroriste a occupé une partie du nord de l'Irak, a commis des massacres et des déplacements massifs de populations, notamment contre les minorités ethniques et religieuses, et tente d'imposer par la force son modèle de société archaïque, inspiré directement du Moyen-âge.
Les derniers développements au Yémen ont prouvé, encore une fois, combien ce pays est surprenant. Son histoire en est d'ailleurs le meilleur témoin. Les colonisateurs britanniques n'ont pas réussi à aller plus loin que le port d'Aden; les Ottomans ont été incapables de le soumettre, en dépit de l'enseigne du califat qu'ils prétendaient représenter; les clivages sectaires traditionnels entre sunnites et chiites, n'existent pas vraiment dans ce pays; le wahhabisme est resté un mouvement marginal, malgré la proximité géographique de l'Arabie saoudite. Enfin, Ansarullah a offert un exemple de mouvement politico-social mature, qui peut servir de modèle à l'ensemble des pays du Golfe.
La défaite de l'Arabie saoudite est totale au Yémen et elle aura certainement des conséquences directes au sein même du royaume wahhabite, en raison de l'imbrication démographique et économique entre les deux pays. Rappelons que des millions de Saoudiens sont d'origine yéménite.
La rapidité avec laquelle le président Hadi a signé un accord de paix avec Ansarullah -acceptant toutes leurs demandes, alors qu'il qualifiait leur mouvement de «tentative de coup d'Etat», la semaine dernière- est une prouve que l'Arabie saoudite a reconnu la défaite de ses projets et de ses partisans dans ce pays. Pourtant, il y a quelques jours à peine, Riyad menaçait les protestataires et laissait entendre qu'il pouvait intervenir militairement contre eux. Le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe (CCG), Abdelatif al-Ziyani, avait qualifié les demandes des Houthites de «provocatrices». Mais les revendications d'Ansarullah sont, en fait, celle de millions de Yéménites:
-La démission du gouvernement, qualifié de «corrompu».
-L'annulation de la décision de libéraliser le secteur d'énergie, qui profite aux compagnies étrangères.
-La révision des nouvelles divisions administratives du pays. Selon les experts, le président Hadi a décidé, sous la pression de Riyad, de modifier le découpage administratif du Yémen, en y créant six régions autonomes, afin de diminuer l'influence des Houthites. Le projet consistait à répartir les populations zaydites dans plusieurs régions à majorité sunnites, dans le but de les priver de tout rôle politique et social dans les régions de Saada, Sanaa, Omran ou al-Jouf.
Pas d'intervention militaire saoudienne
Malgré les menaces saoudiennes, Ansarullah a poursuivi son mouvement de protestation pacifique et à pris le contrôle de Sanaa.
Les zaydites savent, en effet, que le royaume wahhabite, qui a essuyé, il y a quelques années, une cuisante défaite face à eux, n'a pas les moyens de mettre ses menaces à exécution.
De peur de tout perdre au Yémen, les Saoudiens n'avaient d'autres choix que de laisser lesDéfaite totale de l’Arabie saoudite au Yémen Yéménites s'entendre entre eux. Un accord de paix, parrainé par l'Onu, a donc été signé, dimanche soir, à Sanaa, après une journée marquée par des avancées spectaculaires des partisans d'Ansarullah et de leurs alliés, qui se sont emparés de sites gouvernementaux et militaires.
«L'accord pour la paix et un partenariat national» a été signé en présence de l'émissaire de l'Onu Jamal Benomar, du président Abed Rabbo Mansour Hadi et de représentants des factions politiques, dont Ansarullah, a annoncé l'agence officielle Saba.
L'accord prévoit une cessation «immédiate» des hostilités, la nomination sous trois jours d'un nouveau Premier ministre et la formation dans un mois d'un nouveau gouvernement, a indiqué M. Benomar lors de la cérémonie de signature. Le président Hadi doit en outre s'entourer de conseillers parmi les représentants d'Ansarullah et du Mouvement sudiste, qui milite pour une autonomie du Sud.
Plus tôt dans la journée, la radio d'État, le commandement général des forces armées, le QG de la 6e région militaire, le siège de la 4e brigade, le département de la propagande du ministère de la Défense, le Parlement, la Banque centrale et l'Aviation civile, étaient tombés aux mains d'Ansarullah. Plus tard, l'agence Saba a annoncé la démission du Premier ministre, Mohammad Basindawa.
Le nouveau Yémen, qui verra le jour, sera débarrassé de l'influence saoudienne. Et ce développement ne manquera pas d'avoir d'importantes répercussions sur tous les pays de la région.
Par Samer R. Zoughaib
Alahed 22/09/2014
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