La question que l'Occident ne se pose pas : bombarder l'Armée de l'Etat islamique servira-t-il à quelque chose ? Pour le moment, on est dans le casting de l'urgence : la Puissance contre le Mal. La force contre la menace.
Daech (nom ténébreux sonnant comme un Léviathan) tue, égorge, décapite, viole, incendie et avance et veut le reste de la terre au nom de son ciel à lui. La réaction est celle de la coalition : l'union sacrée du monde contre la fin du monde, en gros. Mais après ? Et avant ? L'EI (Etat islamique, nom français de Daech) ne vient pas du ciel d'Allah comme il le prétend mais de la terre, de quelque part. On va le bombarder en Syrie, en Irak mais il renaîtra. C'est une matrice, pas un Reich. Il sera décapité mais il n'a pas besoin de tête, justement. On devient Daech comme on devient islamiste et on devient islamiste pas parce qu'on pense que c'est être plus musulman que le musulman. On ira bombarder cette armée de fin de monde, elle sera tuée puis, une après-midi d'ennui, de folie ou de colère, elle renaîtra ailleurs, dans un autre désert. La raison ? Daech n'est pas en Irak, mais dans les têtes. Dans la vaste planète d'Allah, il y a les écoles, les livres gratuits, les médias, les satellites salafistes dans le ciel, financés par le wahhabisme, financé lui-même par le pétrole, lui-même acheté par l'Occident, la Chine et les autres. La phrase est longue car c'est une chaîne alimentaire. A l'autre bout de vos interrupteurs, il y a l'épée. Une vieille topique de la facilité ? Non : c'est un vieil effet dominos.
On oublie, dans cette affaire de l'EI, que le wahhabisme vend son pétrole au monde et ses idées au monde musulman. Sauf que dans le second cas, c'est presque gratuit. Plus de mille chaînes TV religieuses inondent les maisons dans le monde « arabe », pénètrent les foyers et touchent cette frange faible : les mères illettrées des villages lointains, les femmes, les adolescents, les enfants. Des millions de livres sont imprimés et soutenus par l'Arabie et ses petites sœurs dans le monde. Des prêcheurs sont payés et entretenus, des fatwa-corporations, des réseaux.
On oublie que pour survire, les régimes dans notre monde d'Allah ont compris le bénéfice d'une alliance passive avec les islamistes pour féodaliser les peuples et convertir le citoyen en croyant et le croyant en serf. On oublie que les idées de l'EI sont dans les écoles de la planète d'Allah, dans les rues, dans les habits, les comportements, les réactions et les visions du monde. Encouragées comme une sorte de succédanée de l'identité, par réaction à l'Occident. Défendues comme des valeurs désormais « nationales » et locales. Acceptées et transmises. Transformées en raison de vivre et de mourir et de tuer. Daech est en nous avait écrit un ami. Et c'est pourquoi il est et sera partout.
Du coup « bombarder n'est pas solutionner ». C'est juste surseoir. L'Etat islamique reviendra car la matrice est là, riche, protégée, immunisée, exempte de comptes et de pressions : le wahhabisme et son pays natal l'Arabie saoudite, ses idées, des cheikhs, ses théologiens, ses rentes de pèlerins et ses puits. On tuera l'EI, mais il renaîtra dès qu'il touchera terre, en cycles fermés.
L'EI est juste une Arabie saoudite ambulante qui n'a pas de pétrole et qui n'est pas protégée par ses clients.
par Kamel Daoud
Le Quotidien d'Oran
Daech (nom ténébreux sonnant comme un Léviathan) tue, égorge, décapite, viole, incendie et avance et veut le reste de la terre au nom de son ciel à lui. La réaction est celle de la coalition : l'union sacrée du monde contre la fin du monde, en gros. Mais après ? Et avant ? L'EI (Etat islamique, nom français de Daech) ne vient pas du ciel d'Allah comme il le prétend mais de la terre, de quelque part. On va le bombarder en Syrie, en Irak mais il renaîtra. C'est une matrice, pas un Reich. Il sera décapité mais il n'a pas besoin de tête, justement. On devient Daech comme on devient islamiste et on devient islamiste pas parce qu'on pense que c'est être plus musulman que le musulman. On ira bombarder cette armée de fin de monde, elle sera tuée puis, une après-midi d'ennui, de folie ou de colère, elle renaîtra ailleurs, dans un autre désert. La raison ? Daech n'est pas en Irak, mais dans les têtes. Dans la vaste planète d'Allah, il y a les écoles, les livres gratuits, les médias, les satellites salafistes dans le ciel, financés par le wahhabisme, financé lui-même par le pétrole, lui-même acheté par l'Occident, la Chine et les autres. La phrase est longue car c'est une chaîne alimentaire. A l'autre bout de vos interrupteurs, il y a l'épée. Une vieille topique de la facilité ? Non : c'est un vieil effet dominos.
On oublie, dans cette affaire de l'EI, que le wahhabisme vend son pétrole au monde et ses idées au monde musulman. Sauf que dans le second cas, c'est presque gratuit. Plus de mille chaînes TV religieuses inondent les maisons dans le monde « arabe », pénètrent les foyers et touchent cette frange faible : les mères illettrées des villages lointains, les femmes, les adolescents, les enfants. Des millions de livres sont imprimés et soutenus par l'Arabie et ses petites sœurs dans le monde. Des prêcheurs sont payés et entretenus, des fatwa-corporations, des réseaux.
On oublie que pour survire, les régimes dans notre monde d'Allah ont compris le bénéfice d'une alliance passive avec les islamistes pour féodaliser les peuples et convertir le citoyen en croyant et le croyant en serf. On oublie que les idées de l'EI sont dans les écoles de la planète d'Allah, dans les rues, dans les habits, les comportements, les réactions et les visions du monde. Encouragées comme une sorte de succédanée de l'identité, par réaction à l'Occident. Défendues comme des valeurs désormais « nationales » et locales. Acceptées et transmises. Transformées en raison de vivre et de mourir et de tuer. Daech est en nous avait écrit un ami. Et c'est pourquoi il est et sera partout.
Du coup « bombarder n'est pas solutionner ». C'est juste surseoir. L'Etat islamique reviendra car la matrice est là, riche, protégée, immunisée, exempte de comptes et de pressions : le wahhabisme et son pays natal l'Arabie saoudite, ses idées, des cheikhs, ses théologiens, ses rentes de pèlerins et ses puits. On tuera l'EI, mais il renaîtra dès qu'il touchera terre, en cycles fermés.
L'EI est juste une Arabie saoudite ambulante qui n'a pas de pétrole et qui n'est pas protégée par ses clients.
par Kamel Daoud
Le Quotidien d'Oran
Commentaire