Au Moyen-Orient, l'analyse du terrain a disparu au profit de visions simplistes qui nous dépeignent un ennemi tel qu’il nous arrange, plutôt que dans sa réalité complexe. Dans les chancelleries occidentales, c’est la diplomatie compassionnelle qui s’est imposée sur la réalpolitik. Un double phénomène qui a favorisé l’émergence de l’EIIL.
La tweeterisation du Monde produit plusieurs effets, parfois conjugués, parfois contraires, sur la manière dont se comprend et s'analyse l'information. Pour l'essentiel, chacun comprend qu'un message de 140 caractères ne permet que peu de profondeur dans la rédaction, même avec des parenthèses inversées pour sourire...
Or ce mode de communication accéléré a peu a peu déteint, on pourrait même dire infecté, le processus général de construction de la pensée, de conceptualisation des phénomènes.
Analyses trop simplistes
Ainsi, tout ennemi, même lointain, hors de notre zone d'intérêt, devient ainsi naturellement un terroriste, noyant le djihadiste de conviction cherchant à renverser un dictateur dénoncé par l'occident et le futur opérateur d'un attentat dans les mêmes réprobations et ignorant la réalité purement criminelle des mercenaires et autres profiteurs qui s'agitent dans la région. Les analyses simplistes ou simplifiées qui nous dépeignaient un adversaire ou un ennemi tel que nous voulions le voir plutôt que dans sa réalité complexe ont donc pris le dessus sur l'analyse du terrain.
On a confondu ou feint de confondre Sunnites et Chiites, fait passer « le printemps arabe » pour un tout alors qu'on mélangeait révoltes tribales (Lybie, Yemen), révolutions de palais (Egypte, Tunisie), frottements monarchiques (Jordanie, Maroc) et conflits religieux (Bahrein, Syrie). Puis on a considéré que les modèles d'organisation entre les structures chiites (Eglise, Parti, Etat centralisé) et Sunnites (Décentralisation) seraient incompatibles et qu'entre le Hezbollah Libanais qui se transforme peu à peu en Etat et en Armée régulière, et les factions palestiniennes, marquées par la division et le désordre, il n'y aurait pas d'évolution sensible. L'armée israélienne a payé le prix de la sous estimation du phénomène.
Diplomatie compassionnelle
Face aux manipulations sophistiquées des services algériens, saoudiens, turcs, jordaniens ou pakistanais, qui surclassent très largement des analystes occidentaux qui adorent inventer des ennemis qui correspondent à leur culture plus qu'à la réalité, la réponse politique est devenue incertaine. La diplomatie compassionnelle a largement pris le dessus sur la réal politik, hélas sans grands effets à terme visibles par le spectateur désolé des désastres annoncés.
Pendant ce temps, sans grande discrétion mais sans grand intérêt de la part des occidentaux obnubilés par Al Qaida, un bouleversement majeur s'est s'inscrit dans et un acteur majeur : Abou Moussab Al Zarqaoui (éliminé par les Américains en 2006) a réussi à remporter une victoire posthume sur son principal adversaire : Ben Laden.
L'emergence de l'EIIL
En Octobre 2006, l'Etat Islamique d'Irak (EII) est créé par l'alliance d'Al Qaida en Mésopotamie, d'autres petits groupes islamiques et de tribus sunnites de la province d'Anbar en Irak. Le Groupe prend ses distances avec Al Qaida, mais devient rapidement un concurrent féroce et un ennemi d'Ayman Al Zawahiri, successeur de Ben Laden, qui ne manquera jamais une occasion de marquer ses distances, de condamner les actions menées, ou d'appeler à la conciliation. On pourrait même indiquer que ce qui reste de ce qu'on droit devoir appeler Al Qaida serait un espace hautement civilisé face à la barbarie revendiquée de l'EII devenu EIIL.
EIIL, organisation militarisée centralisée et structurée, disposant de brigades internationales composées de mercenaires aguerris, semble avoir pris comme modèle une synthèse entre le Hezbollah, le Baas et le Parti Bolchevik. Son chef, Ibrahim ibn Awwad ibn Ibrahim ibn Ali ibn Muhammad al-Badri al-Samarrai, plus connu sous non nom de guerre Abu Bakr al-Baghdadi, devenu entretemps le Calife Ibrahim, fait régner la terreur en interne et en externe.
A la tête d'une sainte alliance des sunnites, œuvrant avec les tribus locales, disposant des fortes ressources de la contrebande, notamment du pétrole, EIIL résiste et progresse malgré les plus ou moins efficaces opérations de bombardement menées par les forces d'une coalition qui ne sait plus vraiment contre qui elle combat. Bachar El Assad et les alaouites sont ainsi en train de redevenir nos meilleurs amis. Avec l'Iran (Empire perse) en arrière fond et la Turquie (Empire Ottoman) qui préfère s'engager sur le terrain plutôt que de voir s'imposer un Kurdistan indépendant, alors que les forces du PKK s'affirment sur le terrain.
Le coeur de la solution est à Ryad
Il a fallu plus d'une décennie pour que les Américains comprennent que les clés du conflit afghan étaient plus à Islamabad qu'à Kaboul et que leur adversaire était non seulement au Pakistan, mais l'armée du Pakistan.
Combien de temps faudra-t'il aux mêmes pour intégrer que le cœur de la solution se situe plus résolument à Ryad qu'à Bagdad ou Damas ?
On peut reprocher beaucoup de choses à la Real Politik. On a déjà souvent fait l'économie de dictateurs éclairés pour les remplacer par des responsables politiques « soutenus par le peuple ». L'exemple iranien de 1979 a été vite oublié. Les occidentaux ont cru au copier-coller comme mode d'établissement de la démocratie. Le rejet a souvent été brutal. Et les effets pires pour les populations que le mal qu'on croyait avoir éradiqué.
A défaut de trouver des anges, assez rares sur la surface du globe, il reste à décider si on préfère le diable qu'on connaît à celui qu'on ne connaît pas.....
Alain Bauer, est l'auteur de "Le terrorisme pour les nuls" chez First
acteursdeleconomie.latribune.fr/
La tweeterisation du Monde produit plusieurs effets, parfois conjugués, parfois contraires, sur la manière dont se comprend et s'analyse l'information. Pour l'essentiel, chacun comprend qu'un message de 140 caractères ne permet que peu de profondeur dans la rédaction, même avec des parenthèses inversées pour sourire...
Or ce mode de communication accéléré a peu a peu déteint, on pourrait même dire infecté, le processus général de construction de la pensée, de conceptualisation des phénomènes.
Analyses trop simplistes
Ainsi, tout ennemi, même lointain, hors de notre zone d'intérêt, devient ainsi naturellement un terroriste, noyant le djihadiste de conviction cherchant à renverser un dictateur dénoncé par l'occident et le futur opérateur d'un attentat dans les mêmes réprobations et ignorant la réalité purement criminelle des mercenaires et autres profiteurs qui s'agitent dans la région. Les analyses simplistes ou simplifiées qui nous dépeignaient un adversaire ou un ennemi tel que nous voulions le voir plutôt que dans sa réalité complexe ont donc pris le dessus sur l'analyse du terrain.
On a confondu ou feint de confondre Sunnites et Chiites, fait passer « le printemps arabe » pour un tout alors qu'on mélangeait révoltes tribales (Lybie, Yemen), révolutions de palais (Egypte, Tunisie), frottements monarchiques (Jordanie, Maroc) et conflits religieux (Bahrein, Syrie). Puis on a considéré que les modèles d'organisation entre les structures chiites (Eglise, Parti, Etat centralisé) et Sunnites (Décentralisation) seraient incompatibles et qu'entre le Hezbollah Libanais qui se transforme peu à peu en Etat et en Armée régulière, et les factions palestiniennes, marquées par la division et le désordre, il n'y aurait pas d'évolution sensible. L'armée israélienne a payé le prix de la sous estimation du phénomène.
Diplomatie compassionnelle
Face aux manipulations sophistiquées des services algériens, saoudiens, turcs, jordaniens ou pakistanais, qui surclassent très largement des analystes occidentaux qui adorent inventer des ennemis qui correspondent à leur culture plus qu'à la réalité, la réponse politique est devenue incertaine. La diplomatie compassionnelle a largement pris le dessus sur la réal politik, hélas sans grands effets à terme visibles par le spectateur désolé des désastres annoncés.
Pendant ce temps, sans grande discrétion mais sans grand intérêt de la part des occidentaux obnubilés par Al Qaida, un bouleversement majeur s'est s'inscrit dans et un acteur majeur : Abou Moussab Al Zarqaoui (éliminé par les Américains en 2006) a réussi à remporter une victoire posthume sur son principal adversaire : Ben Laden.
L'emergence de l'EIIL
En Octobre 2006, l'Etat Islamique d'Irak (EII) est créé par l'alliance d'Al Qaida en Mésopotamie, d'autres petits groupes islamiques et de tribus sunnites de la province d'Anbar en Irak. Le Groupe prend ses distances avec Al Qaida, mais devient rapidement un concurrent féroce et un ennemi d'Ayman Al Zawahiri, successeur de Ben Laden, qui ne manquera jamais une occasion de marquer ses distances, de condamner les actions menées, ou d'appeler à la conciliation. On pourrait même indiquer que ce qui reste de ce qu'on droit devoir appeler Al Qaida serait un espace hautement civilisé face à la barbarie revendiquée de l'EII devenu EIIL.
EIIL, organisation militarisée centralisée et structurée, disposant de brigades internationales composées de mercenaires aguerris, semble avoir pris comme modèle une synthèse entre le Hezbollah, le Baas et le Parti Bolchevik. Son chef, Ibrahim ibn Awwad ibn Ibrahim ibn Ali ibn Muhammad al-Badri al-Samarrai, plus connu sous non nom de guerre Abu Bakr al-Baghdadi, devenu entretemps le Calife Ibrahim, fait régner la terreur en interne et en externe.
A la tête d'une sainte alliance des sunnites, œuvrant avec les tribus locales, disposant des fortes ressources de la contrebande, notamment du pétrole, EIIL résiste et progresse malgré les plus ou moins efficaces opérations de bombardement menées par les forces d'une coalition qui ne sait plus vraiment contre qui elle combat. Bachar El Assad et les alaouites sont ainsi en train de redevenir nos meilleurs amis. Avec l'Iran (Empire perse) en arrière fond et la Turquie (Empire Ottoman) qui préfère s'engager sur le terrain plutôt que de voir s'imposer un Kurdistan indépendant, alors que les forces du PKK s'affirment sur le terrain.
Le coeur de la solution est à Ryad
Il a fallu plus d'une décennie pour que les Américains comprennent que les clés du conflit afghan étaient plus à Islamabad qu'à Kaboul et que leur adversaire était non seulement au Pakistan, mais l'armée du Pakistan.
Combien de temps faudra-t'il aux mêmes pour intégrer que le cœur de la solution se situe plus résolument à Ryad qu'à Bagdad ou Damas ?
On peut reprocher beaucoup de choses à la Real Politik. On a déjà souvent fait l'économie de dictateurs éclairés pour les remplacer par des responsables politiques « soutenus par le peuple ». L'exemple iranien de 1979 a été vite oublié. Les occidentaux ont cru au copier-coller comme mode d'établissement de la démocratie. Le rejet a souvent été brutal. Et les effets pires pour les populations que le mal qu'on croyait avoir éradiqué.
A défaut de trouver des anges, assez rares sur la surface du globe, il reste à décider si on préfère le diable qu'on connaît à celui qu'on ne connaît pas.....
Alain Bauer, est l'auteur de "Le terrorisme pour les nuls" chez First
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