par,Gideon Levy
Les enfants lançaient des pierres sur la jeep, alors en réponse, deux soldats en ont bondi, ils ont visé la tête d’un des adolescents et tué Jamil Jabaji, 14 ans. Le procureur militaire a ordonné une enquête.
Qu’est-ce qui trotte maintenant dans la tête du soldat qui a tiré à balle réelle dans la tête d’un adolescent et l’a tué ? Que lui est-il passé par la tête dimanche dernier, au moment de pointer son arme vers la tête de l’enfant ? Pense-t-il encore à sa victime ? Et pourquoi faut-il ouvrir le feu à balles réelles sur des enfants, même s’ils lancent des pierres sur une jeep blindée ? Les soldats n’ont-ils pas d’autres sanctions que des balles d’un fusil pointé sur la tête d’un enfant ?
Et qu’en est-il des décisions du Cabinet de « promouvoir le calme en Cisjordanie également » ? Le Cabinet n’a-t-il pas décidé, la semaine dernière, que les arrestations en Cisjordanie ne se feraient dorénavant qu’avec l’approbation du commandant général ? Mais pour tirer une balle dans la tête d’un enfant et le tuer, aucune confirmation d’aucun général n’est nécessaire : il suffit de descendre de la jeep, de viser et de tirer. L’armée israélienne s’oppose en effet au cessez-le-feu, en Cisjordanie aussi.
Jamil Jabaji, l’enfant aux chevaux du camp de réfugiés d’Askar à Naplouse, a été tué. Avec ses amis, il lançait des pierres sur la jeep Hummer blindée qui descendait de la colonie en direction du camp et le soldat l’a tué de sang froid. D’après le témoignage des enfants, la jeep roulait lentement, elle avançait puis s’arrêtait, avançait, s’arrêtait, dans ce qui semblait aux enfants être une provocation, comme si elle cherchait à les entraîner à approcher encore et encore, jusqu’à ce qu’elle s’arrête et que deux soldats en sortent, ouvrant le feu en visant la tête. Pas de gaz lacrymogène. Même pas de balles enrobées de caoutchouc. Des balles réelles. Condamnation à mort pour jet de pierres. Jamil aimait les chevaux, jouait dans le cercle théâtral du centre communautaire, s’entraînait au karaté ; au football, il était le gardien de but de l’équipe sélectionnée des enfants du camp et était membre des scouts. Il avait 14 ans et demi. Il était le plus haut de taille dans la rangée d’enfants qui se tenaient sur l’escarpement et lançaient des pierres sur la jeep Hummer qui roulait sur la route en contrebas : c’est peut- être pour ça qu’il a été condamné. Pour ça que le soldat l’a visé juste à la tête. Une seule balle qui est entrée par le front et ressortie par la nuque, le tuant sur place.
Le lendemain, les enfants ont dressé un monument à la mémoire de Jamil. Un petit tas de pierres, une couronne de fleurs avec, en son centre, une photo de Jamil, exactement à l’endroit où il est tombé, au bout de l’oliveraie, non loin de l’écurie où se trouve son cheval favori, Moshaher. Jamil est le troisième enfant tué ici, ces dernières années, entre le camp d’Askar et la colonie d’Alon Moreh qui domine la zone depuis la colline.
Les ruelles étroites du nouveau camp de réfugiés d’Askar sont ornées de photos de l’enfant du camp qui est tombé. Il fait froid dans la maison de la famille Jabaji et la grand-mère, Askiya, enveloppée dans une couverture de laine, est étendue sur son lit métallique, passant sa journée à regarder la photo de son petit-fils, ornée d’une couronne de fleurs, et qui est accrochée au mur qui lui fait face. Âgée de 78 ans, elle est originaire de Lod. Jamil était son plus jeune petit-fils, arrivé tard ; l’enfant choyé de la famille.
Le père de famille, Abed El-Karim, n’est pas à la maison. Pendant la plus grande partie de sa vie, il a travaillé dans une fabrique de saucissons à Bnei Brak, et maintenant, alors qu’Israël a tué son fils, il se trouve à l’étranger et ne peut se permettre de rentrer pour le pleurer. Quelques jours avant que son fils ne soit tué, El-Karim était parti pour la Jordanie, accompagnant son fils Hamis qui, à 19 ans, est atteint d’une maladie rare incurable. Hamis est censé subir une intervention chirurgicale en Jordanie, et son père ne peut pas se payer un voyage de retour pour les jours de deuil. Wafiya, la mère endeuillée, se lamente. Elle tire de sous son lit le cartable de Jamil et le lance par terre avec fureur. « Ils ont dit qu’il était recherché ? Les toilettes qui se trouvent dans la cour, il avait peur de s’y rendre seul, la nuit. Je l’accompagnais toujours. »
Un enfant entre dans la maison : Mohamed Masimi, et on perçoit chez lui aussi les signes d’un traumatisme. Il a le visage figé, l’ombre d’une première moustache, il se ronge les ongles et son regard est absent. C’était le meilleur ami de Jamil. « Je ne parviens toujours pas à croire qu’il est mort », marmonne-t-il sourdement. Ils ont grandi ensemble depuis la naissance, dans les ruelles du camp. C’est ensemble que, dimanche passé, ils se sont rendus à l’école du camp où ils étaient dans la même classe de 9e C et c’est ensemble qu’à midi, ils sont rentrés à la maison. Jamil avait dit à Mohamed que l’après-midi, il irait au centre communautaire du camp, au cercle théâtral.
Puis Jamil a demandé à sa mère un shekel pour s’acheter un sandwich en attendant que le repas de midi soit prêt. Il a quitté la maison et n’est pas revenu. Il s’est apparemment acheté son sandwich et est allé à l’écurie, au bout de la rue, à la limite du camp, et où se trouve son cheval favori. Il allait chaque jour auprès de Moshaher, lui donnait un sucre et le bouchonnait. Dimanche midi aussi, il y est allé, jusqu’au moment où, avec ses amis, il a aperçu une jeep de l’armée descendant d’Elon Moreh qui s’étend sur la crête située en face. Une dizaine d’enfants, la plupart du même âge que Jamil, ont couru vers l’oliveraie toute proche, au pied de laquelle passe la route qui descend de la colonie et file au nord de Naplouse.
Les enfants lançaient des pierres sur la jeep, alors en réponse, deux soldats en ont bondi, ils ont visé la tête d’un des adolescents et tué Jamil Jabaji, 14 ans. Le procureur militaire a ordonné une enquête.
Qu’est-ce qui trotte maintenant dans la tête du soldat qui a tiré à balle réelle dans la tête d’un adolescent et l’a tué ? Que lui est-il passé par la tête dimanche dernier, au moment de pointer son arme vers la tête de l’enfant ? Pense-t-il encore à sa victime ? Et pourquoi faut-il ouvrir le feu à balles réelles sur des enfants, même s’ils lancent des pierres sur une jeep blindée ? Les soldats n’ont-ils pas d’autres sanctions que des balles d’un fusil pointé sur la tête d’un enfant ?
Et qu’en est-il des décisions du Cabinet de « promouvoir le calme en Cisjordanie également » ? Le Cabinet n’a-t-il pas décidé, la semaine dernière, que les arrestations en Cisjordanie ne se feraient dorénavant qu’avec l’approbation du commandant général ? Mais pour tirer une balle dans la tête d’un enfant et le tuer, aucune confirmation d’aucun général n’est nécessaire : il suffit de descendre de la jeep, de viser et de tirer. L’armée israélienne s’oppose en effet au cessez-le-feu, en Cisjordanie aussi.
Jamil Jabaji, l’enfant aux chevaux du camp de réfugiés d’Askar à Naplouse, a été tué. Avec ses amis, il lançait des pierres sur la jeep Hummer blindée qui descendait de la colonie en direction du camp et le soldat l’a tué de sang froid. D’après le témoignage des enfants, la jeep roulait lentement, elle avançait puis s’arrêtait, avançait, s’arrêtait, dans ce qui semblait aux enfants être une provocation, comme si elle cherchait à les entraîner à approcher encore et encore, jusqu’à ce qu’elle s’arrête et que deux soldats en sortent, ouvrant le feu en visant la tête. Pas de gaz lacrymogène. Même pas de balles enrobées de caoutchouc. Des balles réelles. Condamnation à mort pour jet de pierres. Jamil aimait les chevaux, jouait dans le cercle théâtral du centre communautaire, s’entraînait au karaté ; au football, il était le gardien de but de l’équipe sélectionnée des enfants du camp et était membre des scouts. Il avait 14 ans et demi. Il était le plus haut de taille dans la rangée d’enfants qui se tenaient sur l’escarpement et lançaient des pierres sur la jeep Hummer qui roulait sur la route en contrebas : c’est peut- être pour ça qu’il a été condamné. Pour ça que le soldat l’a visé juste à la tête. Une seule balle qui est entrée par le front et ressortie par la nuque, le tuant sur place.
Le lendemain, les enfants ont dressé un monument à la mémoire de Jamil. Un petit tas de pierres, une couronne de fleurs avec, en son centre, une photo de Jamil, exactement à l’endroit où il est tombé, au bout de l’oliveraie, non loin de l’écurie où se trouve son cheval favori, Moshaher. Jamil est le troisième enfant tué ici, ces dernières années, entre le camp d’Askar et la colonie d’Alon Moreh qui domine la zone depuis la colline.
Les ruelles étroites du nouveau camp de réfugiés d’Askar sont ornées de photos de l’enfant du camp qui est tombé. Il fait froid dans la maison de la famille Jabaji et la grand-mère, Askiya, enveloppée dans une couverture de laine, est étendue sur son lit métallique, passant sa journée à regarder la photo de son petit-fils, ornée d’une couronne de fleurs, et qui est accrochée au mur qui lui fait face. Âgée de 78 ans, elle est originaire de Lod. Jamil était son plus jeune petit-fils, arrivé tard ; l’enfant choyé de la famille.
Le père de famille, Abed El-Karim, n’est pas à la maison. Pendant la plus grande partie de sa vie, il a travaillé dans une fabrique de saucissons à Bnei Brak, et maintenant, alors qu’Israël a tué son fils, il se trouve à l’étranger et ne peut se permettre de rentrer pour le pleurer. Quelques jours avant que son fils ne soit tué, El-Karim était parti pour la Jordanie, accompagnant son fils Hamis qui, à 19 ans, est atteint d’une maladie rare incurable. Hamis est censé subir une intervention chirurgicale en Jordanie, et son père ne peut pas se payer un voyage de retour pour les jours de deuil. Wafiya, la mère endeuillée, se lamente. Elle tire de sous son lit le cartable de Jamil et le lance par terre avec fureur. « Ils ont dit qu’il était recherché ? Les toilettes qui se trouvent dans la cour, il avait peur de s’y rendre seul, la nuit. Je l’accompagnais toujours. »
Un enfant entre dans la maison : Mohamed Masimi, et on perçoit chez lui aussi les signes d’un traumatisme. Il a le visage figé, l’ombre d’une première moustache, il se ronge les ongles et son regard est absent. C’était le meilleur ami de Jamil. « Je ne parviens toujours pas à croire qu’il est mort », marmonne-t-il sourdement. Ils ont grandi ensemble depuis la naissance, dans les ruelles du camp. C’est ensemble que, dimanche passé, ils se sont rendus à l’école du camp où ils étaient dans la même classe de 9e C et c’est ensemble qu’à midi, ils sont rentrés à la maison. Jamil avait dit à Mohamed que l’après-midi, il irait au centre communautaire du camp, au cercle théâtral.
Puis Jamil a demandé à sa mère un shekel pour s’acheter un sandwich en attendant que le repas de midi soit prêt. Il a quitté la maison et n’est pas revenu. Il s’est apparemment acheté son sandwich et est allé à l’écurie, au bout de la rue, à la limite du camp, et où se trouve son cheval favori. Il allait chaque jour auprès de Moshaher, lui donnait un sucre et le bouchonnait. Dimanche midi aussi, il y est allé, jusqu’au moment où, avec ses amis, il a aperçu une jeep de l’armée descendant d’Elon Moreh qui s’étend sur la crête située en face. Une dizaine d’enfants, la plupart du même âge que Jamil, ont couru vers l’oliveraie toute proche, au pied de laquelle passe la route qui descend de la colonie et file au nord de Naplouse.
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