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Safari électoral au Kenya : la colère des miséreux déchire la carte postale.

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  • Safari électoral au Kenya : la colère des miséreux déchire la carte postale.

    Les images de cartes postales sont parfois trompeuses. Prenons par exemple les représentations qui prévalaient pour le Kenya jusqu'à la fin de l'année 2007.
    Voilà un pays qui nous était couramment présenté comme étant le modèle du continent noir ou peu s'en faut. Défilent alors sous nos yeux des coureurs à pied raflant la majorité des médailles dans les compétitions d'athlétisme, des safaris prisés par des friqués désireux de se procurer des émotions censées être fortes, la concorde générale entre ses habitants, le tout sous l'œil bienveillant du majestueux Mont Kenya. Or, d'un seul coup, c'est-à-dire depuis que le résultat des élections présidentielles du 27 décembre 2007 a été proclamé, tous ces clichés viennent de voler en éclats. Le trucage du vote a fait sauter le couvercle d'une marmite dans laquelle cuisaient à feu vif les ingrédients de la discorde, mais çà, les cartes postales n'en disaient rien. Visitons donc la face cachée du Kenya. Plus de 60 pour cent de la population de la capitale vit dans des bidonvilles, et le pays est classé en dixième position sur la liste mondiale des pays qui présentent les écarts les plus importants en terme de richesses. En Afrique même il loupe de peu le podium, mais son cinquième rang sur 54 concurrents lui vaudrait pourtant un bel accessit, non? Les classes les plus riches gagnent 56 fois plus que les populations les plus pauvres. Les 10% les mieux pourvus de la population captent 42% des richesses du pays, tandis que les 10% les plus pauvres.se contentent des 0,79% traînant au fond du chaudron.

    Mais la déesse des inégalités n'est pas chienne. Les écarts de revenus et de patrimoine sont monstrueux? Alors autant appliquer le même traitement pour l'accès à l'éducation, l'eau et la santé. Conséquence de tout cela, l'espérance de vie (avec le large impact généré par le VIH/SIDA) présente d'énormes disparités en fonction de la position sociale occupée par les uns et les autres, et/ou des différentes régions où vivent les populations considérées. Ainsi, un individu né dans la province de Nyanza (ouest) base de soutien de l'ODM (la coalition qui s'oppose au pouvoir) peut s'attendre à mourir seize ans plus tôt qu'un de ses compatriotes de la province centrale, fief du très controversé président Mwai Kikaki.

    Si le sort d'une majorité de la population est fort peu enviable, celui des femmes, qui habitent certaines régions l'est encore moins. L'exemple de la province du Nord-Est est parfaitement représentatif de cette situation, puisque plus de neuf femmes sur dix vivant dans cette contrée n'ont reçu aucune éducation, et le fait qu'elles sont moins de trois pour cent à subir ce type de discrimination dans la province centrale n'est qu'une bien piètre consolation.

    Le Kenya a accédé à l'indépendance en décembre 1963 et le leader de la KANU (coalition qui regroupait la majorité des indépendantistes) Jomo Kenyatta fut élu président. Mais cet acte fondateur occulte les dissensions qui fracturèrent au préalable la KANU, car en 1961, Ronald Ngala et Daniel Arap Moi firent scission, entraînant dans leur sillage les ethnies minoritaires opposées à la domination des Kikuyu. L'ancienne puissance coloniale, pour asseoir sa domination, avait largement utilisé une carte terrible, celle qui consiste à créer puis exacerber des rivalités inter ethniques. Les nouveaux maîtres du pouvoir, loin de se débarrasser des sinistres pratiques pratiquées par la Couronne, les perpétuèrent. Le pouvoir africain séduisit la communauté internationale en ce 'sens qu'il se montra modéré, pro-occidental et joua le rôle de l'élève modèle dans l'application des recettes socio-économiques conseillées ou prescrites par le monde capitaliste. En apparence tout était parfait. Las, si la stabilité politique attira les investissements étrangers, dans l'industrie du tourisme en particulier, la KANU devenue parti unique en 1969, orchestra la redistribution des terres rachetées aux Européens selon des critères tribaux, et favorisa les Kikùyu. La mort de Kenyatta en 1978 et l'arrivée au pouvoir de son ex vice-président, Daniel Arap Moi (un Kalenjin) donna un coup d'arrêt brutal à l'emprise classique de l'ethnie Kikuyu sur les organes du pouvoir et à l'accaparement des richesses du pays par une élite issue de ses rangs. Arap Moi n'avait pas d'autres recettes à proposer que celles de son prédécesseur. La remise en selle des groupes Kalenjin ou Luo n'était que la figure inversée du régime précédent avec la poursuite des mêmes objectifs, mais pour le compte de leur propre clientèle cette fois-ci. Ce changement en trompe l'œil eut pour conséquence le déclenchement de violents affrontements intercommunautaires, accompagnés d'attaques et d'exactions (en 1997 et 1998) contre les Kikuyu et les Kamba. En 2002, Munai Kibaki, un Kikuyu, remporta le scrutin présidentiel, et la NARC (parti d'opposition) rafla la mise aux législatives. Cahin-caha, cette cohabitation entre ces adversaires du jour ennemis d'hier, parvint néanmoins à atteindre décembre 2007 et ces fichues élections qui, peu ou prou, viennent de faire ressurgir l'hideux spectre d'une guerre civile larvée et de basse intensité.

    Mais, contrairement aux apparences et aux pseudo analyses qu'en font les médias, le facteur tribal ne joue qu'un rôle secondaire dans les événements meurtriers qui ont accompagné l'annonce des résultats issus d'élections dont le trucage est avéré. Le Kenya pratique un capitalisme chimiquement pur, à oser l'expression, un capitalisme qui n'offre d'autres perspectives qu'une compétition féroce pour la survie - cela vaut pour la majorité de la population - et une concurrence frénétique pour la minorité qui vise à l'accaparement des richesses et du pouvoir.

    Quand les jeunes Luo des bidonvilles de Nairobi se révoltent, les pillages auxquels ils se livrent ne font que traduire leur désespérance la plus absolue. Oui le Kenya est une poudrière, mais qui sont les fabricants d'explosifs et les artificiers, sinon les Kibaki, Odinga et consorts? Ces sinistres individus sont coupables de deux crimes, premièrement pour avoir délibérément favorisé un creusement inouï des inégalités, deuxièmement parce qu'ils désignent quasi ouvertement d'autres communautés que la leur comme étant responsables des conséquences de leurs propres agissements.

    Soledad Rincon pour Le Monde Libertaire (France)
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