24.02.2008
Depuis un certain temps, les autorités marocaines procèdent à l’arrestation des subsahariens considérés comme des sans papiers au Maroc. Mais, une fois arrêtés et renvoyés à la frontière Est du pays, ils reviennent aussitôt...
DANS différentes villes : Rabat, Casablanca, Nador, Laayoune, Tétouan, Fès, Oujda, la police rafle les migrants subsahariens dans et devant leurs maisons, dans les marchés, dans les rues et ruelles... Il s’agit d’une « véritable chasse », dénoncent les associations qui défendent les migrants subsahariens en transit au Maroc. Arrêtés, ces subsahariens sont ensuite transférés vers la ville d’Oujda. C’est pourquoi, cette ville de l’oriental connaît la plus grande concentration de subsahariens. De là, ils sont dirigés vers leur point d’entrée initial, vers les frontières maroco-algériennes. Or, une fois refoulés du Maroc vers l’Algérie, ces migrants sont aussitôt chassés par les autorités algériennes, parfois à coup de fusil. Ils reviennent systématiquement vers Oujda. A tel point que certains évoquent en l’occurrence un véritable « ping-pong humain » entre l’Algérie et le Maroc.
Les migrants subsahariens vivent dans les bois, dans des quartiers périphériques, dans des sites déserts où les conditions d’hygiène laissent à désirer. C’est le cas notamment d’un terrain vague jouxtant le campus universitaire d’Oujda. C’est le cas également de plusieurs villages non loin d’Oujda.
Après la multiplication des descentes des forces de l’ordre près du campus, la majorité des migrants se sont retirés dans un site qui se situe à 7 km de la ville d’Oujda sur la route du poste frontalier (Zouj Bghale) vers les frontières maroco-algériennes. Vu la nature du relief, c’est là une région marquée par l’existence de cavernes naturelles et de maisons abandonnées qui servent de refuges sûrs aux migrants. Ces derniers appellent d’ailleurs ces gîtes les « tranquillos ».
Par ailleurs, régulièrement, la police opère des rafles à l’intérieur même de la vile d’Oujda. Les personnes arrêtées sont conduites au commissariat central de la ville. Ce que les migrants qualifient de « cellule de refoulement ».
« Après une rafle d’un nombre important de subsahariens, nous expliquent des membres de l’ABCDS (Association Beni Znassen pour la Culture, le Développement et la Solidarité) qui vient en aide aux migrants, la police les déporte le soir vers la frontière algérienne, pourtant fermée depuis des années, au mépris de la loi marocaine qui interdit les expulsions massives et exige l’examen des dossiers des personnes refoulées, au cas par cas ».
C’est pourquoi l’ABCDS a tiré la sonnette d’alarme. L’association estime qu’avec les conditions météorologiques actuelles, notamment le froid glacial et la pluie, les migrants sont en danger. « Notre ONG a dépensé tout ce qu’elle avait comme moyens pour venir en aide aux migrants. Nous craignons aujourd’hui qu’il y ait des morts parmi eux », insiste Hicham Baraka, président de l’ABCDS. Et d’ajouter : « nous nous préoccupons particulièrement de la précarité de la situation dans laquelle vivent de nombreux migrants. Nous essayons avec des hommes et des femmes de bonne volonté d’assurer une aide alimentaire d’urgence que l’association achemine vers les migrants dans leurs multiples points de concentration ».
Selon les statistiques actuelles de l’association, qui est d’ailleurs en train de préparer un rapport détaillé sur la situation des migrants, le nombre de subsahariens se trouvant à proximité d’Oujda se situe entre 900 et 1000 personnes. S’ajoutent à ce chiffre plus de 500 autres subsahariens de différentes nationalités refoulés ces derniers jours. Selon l’ABCDS, la situation des migrants subsahariens dans la région orientale est de plus en plus difficile et les conditions de vie sont à la limite du supportable.
« Les migrants sont obligés de traverser un dangereux “no man’s land”. Cette zone frontalière est une terre semi désertique sans eau, nourriture ou abri. Les variations thermiques auxquelles sont exposés les migrants sont extrêmes, de -6ºC en hiver à 43ºC en été. Cette zone se caractérise par le trafic de personnes et de marchandises, ainsi que par la présence de bandes criminelles qui n’hésitent pas à agresser les migrants pour les dépouiller des quelques biens qu’ils ont sur eux », précisent Hicham Baraka.
En attendant de tenter leur chance de transiter vers « l’Eldorado » européen, les migrants subsahariens se « débrouillent » pour trouver à manger. Ils recourent à la mendicité, à des travaux informels... Ils ne cherchent pas seulement à se nourrir, mais aussi à collecter de l’argent qui leur permettrait de poursuivre le voyage.
Auparavant, les subsahariens ne restaient à Oujda que quelques semaines avant de reprendre la route vers le nord, vers les forêts de Gourougou et Belyounech, ou vers Rabat, ou encore vers le Sahara marocain, à Laàyoune, pour gagner les îles Canaries.
Après les événements de Ceuta et Melilla de septembre 2005, les migrants ayant fui les forêts de Tétouan et de Nador, ont été placés sous surveillance à travers un important dispositif des forces de l’ordre. Ils se sont donc repliés vers Oujda. De la sorte, la durée d’attente dans la capitale de l’oriental est devenue de plus en plus longue.
Pourchassés partout, les migrants subsahariens ne savent plus quoi faire. Ils disent ne plus pouvoir rentrer chez eux, car ils ont tout investi et sacrifié pour se rendre en Europe. En plus, soulignent-ils, ils ont honte d’affronter les membres de la famille et les amis en cas d’échec de leur longue traversée.
« Ils ne peuvent pas rester, ils n’ont aucun moyen de survivre. Ils dépendent de la générosité de la population. Le Maroc n’est pas leur destination, mais ils ne peuvent plus avancer... Telle est la situation de centaines de migrants coincés à Oujda », expliquent les responsables de l’ABCDS.
Vains efforts des pouvoirs publics
Selon les informations dont dispose l’ABCDS qui est en contact direct avec les subsahariens de la région d’Oujda, les départs organisés par les autorités marocaines de temps à autre des migrants, par avion, vers leurs pays d’origine, ne résout pas le problème.
Plusieurs personnes qui ont été rapatriées par les autorités marocaines reviennent au Maroc. Pire, ils reviennent en compagnie d’autres migrants. « Une fois le migrant rentré chez-lui, il est déshonoré par sa famille qui a beaucoup investi pour son émigration. C’est une honte d’affronter sa famille et ses amis « les mains vides ». Alors pour se racheter, le migrant reviendra avec 10 autres personnes. Il va leur servir de guide puisqu’il connaît parfaitement les routes migratoires. Ainsi, il arrive plus facilement à se faire payer une nouvelle tentative d’émigration », explique l’ABCDS.
Les migrants qui sont refoulés vers les frontières reviennent donc fréquemment à Oujda. Quand l’armée algérienne ne les repousse pas par des tirs de sommation vers le Maroc, ils s’entassent dans la région de Maghnia dans des conditions aussi précaires qu’au Maroc, voire pires. Puis ils tentent de revenir au Maroc.
Pour eux, les conditions au Maroc sont meilleures qu’à Maghnia où vit un grand nombre de migrants et où les rivalités entre communautés et les affrontements menacent d’être à chaque fois plus violentes.
Selon les statistiques de l’ABCDS, qui seront publiées prochainement dans un rapport récapitulant trois ans d’activité de l’association, 97% des personnes refoulées aux frontières maroco-algériennes reviennent à Oujda. De là, elles continuent leur route vers leurs habitations habituelles. Car la proximité géographique d’Oujda avec l’Algérie (à moins de 15 Km), la rend facilement accessible.
Nos contacts avec quelques migrants du camp de Maghnia qui ont sollicité notre aide, précise l’ABCDS, révèlent la présence d’un grand nombre de migrants venus d’Afrique subsaharienne, voire de l’Asie (Inde, Pakistan...) et que certains migrants ont passé et repassé jusqu’à trente fois cette frontière.
Organisation
Les migrants subsahariens vivent regroupés selon différentes communautés. A la tête de chaque communauté, il y a un chairman. Tous vivent de la générosité de la population. Il y en a qui reçoivent des aides de leurs familles ou de leurs amis.
Les « Tranquillos »
Les tranquillos sont des cavernes naturelles, des fermes ou des maisons désaffectées aux abords de la ville d’Oujda, qui sont squattées par les migrants. Il s’agit parfois simplement d’espaces aménagés dans les forêts sous forme de tentes servant comme abris de fortune. Il y a deux types de tranquillos. Le Tranquillos fixe qui est un lieu fixe et protégé des descentes des forces de l’ordre. Cela peut-être une maison, un petit village... Le Tranquillos mobile est en revanche un lieu qui change à chaque moment, dès que le chairman du groupe sent que le lieu est repéré. Par exemple, s’il y a une descente de la police dans un tranquillos avoisinant, le chairman transfère son tranquillos vers un autre site plus sûr.
Les subsahariens selon la provenance
La population subsaharienne dans la région orientale se repartit ainsi selon leur pays d’origine : 1. Nigeria : 46 % 2. Cameroun 20,5 % 3. Mali 11% 4. Sénégal 9,2 % 5. Ghana 7,8% 6. République démocratique du Congo 6% 7. Gambie 2 ,5% 8. Côte-d’Ivoire 1,8% 9. Minorités : 1,2%
Depuis un certain temps, les autorités marocaines procèdent à l’arrestation des subsahariens considérés comme des sans papiers au Maroc. Mais, une fois arrêtés et renvoyés à la frontière Est du pays, ils reviennent aussitôt...
DANS différentes villes : Rabat, Casablanca, Nador, Laayoune, Tétouan, Fès, Oujda, la police rafle les migrants subsahariens dans et devant leurs maisons, dans les marchés, dans les rues et ruelles... Il s’agit d’une « véritable chasse », dénoncent les associations qui défendent les migrants subsahariens en transit au Maroc. Arrêtés, ces subsahariens sont ensuite transférés vers la ville d’Oujda. C’est pourquoi, cette ville de l’oriental connaît la plus grande concentration de subsahariens. De là, ils sont dirigés vers leur point d’entrée initial, vers les frontières maroco-algériennes. Or, une fois refoulés du Maroc vers l’Algérie, ces migrants sont aussitôt chassés par les autorités algériennes, parfois à coup de fusil. Ils reviennent systématiquement vers Oujda. A tel point que certains évoquent en l’occurrence un véritable « ping-pong humain » entre l’Algérie et le Maroc.
Les migrants subsahariens vivent dans les bois, dans des quartiers périphériques, dans des sites déserts où les conditions d’hygiène laissent à désirer. C’est le cas notamment d’un terrain vague jouxtant le campus universitaire d’Oujda. C’est le cas également de plusieurs villages non loin d’Oujda.
Après la multiplication des descentes des forces de l’ordre près du campus, la majorité des migrants se sont retirés dans un site qui se situe à 7 km de la ville d’Oujda sur la route du poste frontalier (Zouj Bghale) vers les frontières maroco-algériennes. Vu la nature du relief, c’est là une région marquée par l’existence de cavernes naturelles et de maisons abandonnées qui servent de refuges sûrs aux migrants. Ces derniers appellent d’ailleurs ces gîtes les « tranquillos ».
Par ailleurs, régulièrement, la police opère des rafles à l’intérieur même de la vile d’Oujda. Les personnes arrêtées sont conduites au commissariat central de la ville. Ce que les migrants qualifient de « cellule de refoulement ».
« Après une rafle d’un nombre important de subsahariens, nous expliquent des membres de l’ABCDS (Association Beni Znassen pour la Culture, le Développement et la Solidarité) qui vient en aide aux migrants, la police les déporte le soir vers la frontière algérienne, pourtant fermée depuis des années, au mépris de la loi marocaine qui interdit les expulsions massives et exige l’examen des dossiers des personnes refoulées, au cas par cas ».
C’est pourquoi l’ABCDS a tiré la sonnette d’alarme. L’association estime qu’avec les conditions météorologiques actuelles, notamment le froid glacial et la pluie, les migrants sont en danger. « Notre ONG a dépensé tout ce qu’elle avait comme moyens pour venir en aide aux migrants. Nous craignons aujourd’hui qu’il y ait des morts parmi eux », insiste Hicham Baraka, président de l’ABCDS. Et d’ajouter : « nous nous préoccupons particulièrement de la précarité de la situation dans laquelle vivent de nombreux migrants. Nous essayons avec des hommes et des femmes de bonne volonté d’assurer une aide alimentaire d’urgence que l’association achemine vers les migrants dans leurs multiples points de concentration ».
Selon les statistiques actuelles de l’association, qui est d’ailleurs en train de préparer un rapport détaillé sur la situation des migrants, le nombre de subsahariens se trouvant à proximité d’Oujda se situe entre 900 et 1000 personnes. S’ajoutent à ce chiffre plus de 500 autres subsahariens de différentes nationalités refoulés ces derniers jours. Selon l’ABCDS, la situation des migrants subsahariens dans la région orientale est de plus en plus difficile et les conditions de vie sont à la limite du supportable.
« Les migrants sont obligés de traverser un dangereux “no man’s land”. Cette zone frontalière est une terre semi désertique sans eau, nourriture ou abri. Les variations thermiques auxquelles sont exposés les migrants sont extrêmes, de -6ºC en hiver à 43ºC en été. Cette zone se caractérise par le trafic de personnes et de marchandises, ainsi que par la présence de bandes criminelles qui n’hésitent pas à agresser les migrants pour les dépouiller des quelques biens qu’ils ont sur eux », précisent Hicham Baraka.
En attendant de tenter leur chance de transiter vers « l’Eldorado » européen, les migrants subsahariens se « débrouillent » pour trouver à manger. Ils recourent à la mendicité, à des travaux informels... Ils ne cherchent pas seulement à se nourrir, mais aussi à collecter de l’argent qui leur permettrait de poursuivre le voyage.
Auparavant, les subsahariens ne restaient à Oujda que quelques semaines avant de reprendre la route vers le nord, vers les forêts de Gourougou et Belyounech, ou vers Rabat, ou encore vers le Sahara marocain, à Laàyoune, pour gagner les îles Canaries.
Après les événements de Ceuta et Melilla de septembre 2005, les migrants ayant fui les forêts de Tétouan et de Nador, ont été placés sous surveillance à travers un important dispositif des forces de l’ordre. Ils se sont donc repliés vers Oujda. De la sorte, la durée d’attente dans la capitale de l’oriental est devenue de plus en plus longue.
Pourchassés partout, les migrants subsahariens ne savent plus quoi faire. Ils disent ne plus pouvoir rentrer chez eux, car ils ont tout investi et sacrifié pour se rendre en Europe. En plus, soulignent-ils, ils ont honte d’affronter les membres de la famille et les amis en cas d’échec de leur longue traversée.
« Ils ne peuvent pas rester, ils n’ont aucun moyen de survivre. Ils dépendent de la générosité de la population. Le Maroc n’est pas leur destination, mais ils ne peuvent plus avancer... Telle est la situation de centaines de migrants coincés à Oujda », expliquent les responsables de l’ABCDS.
Vains efforts des pouvoirs publics
Selon les informations dont dispose l’ABCDS qui est en contact direct avec les subsahariens de la région d’Oujda, les départs organisés par les autorités marocaines de temps à autre des migrants, par avion, vers leurs pays d’origine, ne résout pas le problème.
Plusieurs personnes qui ont été rapatriées par les autorités marocaines reviennent au Maroc. Pire, ils reviennent en compagnie d’autres migrants. « Une fois le migrant rentré chez-lui, il est déshonoré par sa famille qui a beaucoup investi pour son émigration. C’est une honte d’affronter sa famille et ses amis « les mains vides ». Alors pour se racheter, le migrant reviendra avec 10 autres personnes. Il va leur servir de guide puisqu’il connaît parfaitement les routes migratoires. Ainsi, il arrive plus facilement à se faire payer une nouvelle tentative d’émigration », explique l’ABCDS.
Les migrants qui sont refoulés vers les frontières reviennent donc fréquemment à Oujda. Quand l’armée algérienne ne les repousse pas par des tirs de sommation vers le Maroc, ils s’entassent dans la région de Maghnia dans des conditions aussi précaires qu’au Maroc, voire pires. Puis ils tentent de revenir au Maroc.
Pour eux, les conditions au Maroc sont meilleures qu’à Maghnia où vit un grand nombre de migrants et où les rivalités entre communautés et les affrontements menacent d’être à chaque fois plus violentes.
Selon les statistiques de l’ABCDS, qui seront publiées prochainement dans un rapport récapitulant trois ans d’activité de l’association, 97% des personnes refoulées aux frontières maroco-algériennes reviennent à Oujda. De là, elles continuent leur route vers leurs habitations habituelles. Car la proximité géographique d’Oujda avec l’Algérie (à moins de 15 Km), la rend facilement accessible.
Nos contacts avec quelques migrants du camp de Maghnia qui ont sollicité notre aide, précise l’ABCDS, révèlent la présence d’un grand nombre de migrants venus d’Afrique subsaharienne, voire de l’Asie (Inde, Pakistan...) et que certains migrants ont passé et repassé jusqu’à trente fois cette frontière.
Organisation
Les migrants subsahariens vivent regroupés selon différentes communautés. A la tête de chaque communauté, il y a un chairman. Tous vivent de la générosité de la population. Il y en a qui reçoivent des aides de leurs familles ou de leurs amis.
Les « Tranquillos »
Les tranquillos sont des cavernes naturelles, des fermes ou des maisons désaffectées aux abords de la ville d’Oujda, qui sont squattées par les migrants. Il s’agit parfois simplement d’espaces aménagés dans les forêts sous forme de tentes servant comme abris de fortune. Il y a deux types de tranquillos. Le Tranquillos fixe qui est un lieu fixe et protégé des descentes des forces de l’ordre. Cela peut-être une maison, un petit village... Le Tranquillos mobile est en revanche un lieu qui change à chaque moment, dès que le chairman du groupe sent que le lieu est repéré. Par exemple, s’il y a une descente de la police dans un tranquillos avoisinant, le chairman transfère son tranquillos vers un autre site plus sûr.
Les subsahariens selon la provenance
La population subsaharienne dans la région orientale se repartit ainsi selon leur pays d’origine : 1. Nigeria : 46 % 2. Cameroun 20,5 % 3. Mali 11% 4. Sénégal 9,2 % 5. Ghana 7,8% 6. République démocratique du Congo 6% 7. Gambie 2 ,5% 8. Côte-d’Ivoire 1,8% 9. Minorités : 1,2%
Commentaire