Joseph Yacoub est professeur honoraire de sciences politiques à l’Université catholique de Lyon, premier titulaire de la chaire UNESCO «Mémoire, cultures et interculturalité».
Il fut un temps où il y avait des communautés chrétiennes dans ce pays. Ce temps est révolu. Depuis, l’histoire est une suite de drames, rythmés d’épisodes, dont certains ont été sciemment éclipsés par l’historiographie officielle. Jadis florissants et prospères, les chrétiens diminuèrent considérablement en nombre et en influence, alors que rien qu’à Constantinople, ils représentaient 40 % de la population au XVIe siècle. Et au tout début du XXe siècle, on les estimait encore à plus de 20 %. Aujourd’hui, ils ne représentent pas plus de 100 000 personnes, soit moins de 0,2 % d’une population de 84 millions d’habitants. On remarque que les écoles chrétiennes sont en nette baisse et on observe des cas d’expropriation d’églises et de répression à l’encontre de prêtres, tout cela accentué par la politique islamo-nationaliste du président turc Erdogan, qui transforma la Basilique Sainte Sophie en mosquée.
Le XXe siècle connut des turbulences et des convulsions politiques et religieuses. Le génocide arménien et assyro-chaldéen de 1915 mit progressivement fin à la présence chrétienne. Voici un exemple, parmi d’autres, qui fut complètement occulté. À la veille de la Première Guerre mondiale, il y avait 100 000 chrétiens assyriens qui vivaient dans la région de Hakkari, à l’extrême sud-est de la Turquie ; aujourd’hui, il n’y a plus personne, la moitié fut exterminée et morte sur les routes, l’autre contrainte à l’exode dans de terribles conditions.
Que s’est-il donc passé? À partir de 1906, des étincelles préludaient 1915, qui portait dans ses germes 1918. Cette politique visait, selon des objectifs arrêtés, à homogénéiser l’Empire ottoman et turquifier le pays, en éradiquant tout groupe ethniquement non turc et non musulman. Ce fut aussi un ethnocide. Des Églises ont été pillées et souillées, des vieillards, des femmes et de jeunes gens abattus. D’autres ont succombé à la maladie ou à la faim, ou ont été transportés en exil, et des jeunes filles outragées et réduites en esclavage. Cette tragédie est bien représentée dans leur littérature mémorielle en araméen, la langue du Christ. La guerre terminée et la nouvelle Turquie kémaliste née, on a pourtant assisté à d’autres épisodes douloureux. En décembre 1925, un rapport du Conseil de la Société des Nations (SDN) du général estonien Laidoner, qui avait enquêté sur la ligne provisoire de frontière entre la Turquie et l’Irak, évoquait ce qu’il appelait la Déportation des chrétiens, avançant le chiffre d’environ 3000 victimes, et incrimine les militaires du 62ème régiment turc qui avaient commis sur les habitants «des actes atroces de violence allant jusqu’aux massacres».
Le phénomène d’annihilation culturelle s’est ensuite accentué. Les noms des villages ont été turquisés, ainsi que les noms patronymiques. Voici des noms de villages assyro-chaldéens désormais complètement métamorphosés: Ischy devint Ombudak, Bazyan: Dogan, Harbol: Aksu, Meer: Kovankaya, et Hoz: Ayirim. Il en est de même des noms de familles à consonance araméenne: Biqasha devint Yalap, et Bikouma: Yabash. Tout a été fait pour effacer la mémoire. Qui plus est, ces villages furent abandonnés et leurs habitants méprisés, laissés dans une ignorance totale et sans protection, non à l’abri des brigands et des aghas kurdes et des Turcs. Aussi, il ne faut pas s’étonner de voir le pays vidé des rescapés du génocide de 1915.
A partir de 1980, privés de sécurité, enserrés entre le marteau et l’enclume (entre l’armée turque et la guérilla kurde d’alors), les Assyro-Chaldéens, qui vivaient dans ce pays depuis 3000 ans, ont pris le chemin de l’exil vers la France et l’Europe, fuyant la répression et leurs misérables conditions. Ce départ en masse a touché plusieurs régions. Accueillis en France (départements du Val d’Oise et Seine Saint-Denis), ils ont pu, par leur travail et leur persévérance, réussir et accéder à une vie digne, occuper des postes importants, ceci en peu de temps. C’est dans un pays laïque et respectueux de toutes les religions, qu’ils ont pu construire des églises (à Sarcelles et Arnouville), conformément à leurs traditions et selon leurs rites, et vivre pleinement leur foi. En échange, ils vouent à la France amour, loyauté et fidélité.
Il fut un temps où il y avait des communautés chrétiennes dans ce pays. Ce temps est révolu. Depuis, l’histoire est une suite de drames, rythmés d’épisodes, dont certains ont été sciemment éclipsés par l’historiographie officielle. Jadis florissants et prospères, les chrétiens diminuèrent considérablement en nombre et en influence, alors que rien qu’à Constantinople, ils représentaient 40 % de la population au XVIe siècle. Et au tout début du XXe siècle, on les estimait encore à plus de 20 %. Aujourd’hui, ils ne représentent pas plus de 100 000 personnes, soit moins de 0,2 % d’une population de 84 millions d’habitants. On remarque que les écoles chrétiennes sont en nette baisse et on observe des cas d’expropriation d’églises et de répression à l’encontre de prêtres, tout cela accentué par la politique islamo-nationaliste du président turc Erdogan, qui transforma la Basilique Sainte Sophie en mosquée.
Le XXe siècle connut des turbulences et des convulsions politiques et religieuses. Le génocide arménien et assyro-chaldéen de 1915 mit progressivement fin à la présence chrétienne. Voici un exemple, parmi d’autres, qui fut complètement occulté. À la veille de la Première Guerre mondiale, il y avait 100 000 chrétiens assyriens qui vivaient dans la région de Hakkari, à l’extrême sud-est de la Turquie ; aujourd’hui, il n’y a plus personne, la moitié fut exterminée et morte sur les routes, l’autre contrainte à l’exode dans de terribles conditions.
Que s’est-il donc passé? À partir de 1906, des étincelles préludaient 1915, qui portait dans ses germes 1918. Cette politique visait, selon des objectifs arrêtés, à homogénéiser l’Empire ottoman et turquifier le pays, en éradiquant tout groupe ethniquement non turc et non musulman. Ce fut aussi un ethnocide. Des Églises ont été pillées et souillées, des vieillards, des femmes et de jeunes gens abattus. D’autres ont succombé à la maladie ou à la faim, ou ont été transportés en exil, et des jeunes filles outragées et réduites en esclavage. Cette tragédie est bien représentée dans leur littérature mémorielle en araméen, la langue du Christ. La guerre terminée et la nouvelle Turquie kémaliste née, on a pourtant assisté à d’autres épisodes douloureux. En décembre 1925, un rapport du Conseil de la Société des Nations (SDN) du général estonien Laidoner, qui avait enquêté sur la ligne provisoire de frontière entre la Turquie et l’Irak, évoquait ce qu’il appelait la Déportation des chrétiens, avançant le chiffre d’environ 3000 victimes, et incrimine les militaires du 62ème régiment turc qui avaient commis sur les habitants «des actes atroces de violence allant jusqu’aux massacres».
Le phénomène d’annihilation culturelle s’est ensuite accentué. Les noms des villages ont été turquisés, ainsi que les noms patronymiques. Voici des noms de villages assyro-chaldéens désormais complètement métamorphosés: Ischy devint Ombudak, Bazyan: Dogan, Harbol: Aksu, Meer: Kovankaya, et Hoz: Ayirim. Il en est de même des noms de familles à consonance araméenne: Biqasha devint Yalap, et Bikouma: Yabash. Tout a été fait pour effacer la mémoire. Qui plus est, ces villages furent abandonnés et leurs habitants méprisés, laissés dans une ignorance totale et sans protection, non à l’abri des brigands et des aghas kurdes et des Turcs. Aussi, il ne faut pas s’étonner de voir le pays vidé des rescapés du génocide de 1915.
A partir de 1980, privés de sécurité, enserrés entre le marteau et l’enclume (entre l’armée turque et la guérilla kurde d’alors), les Assyro-Chaldéens, qui vivaient dans ce pays depuis 3000 ans, ont pris le chemin de l’exil vers la France et l’Europe, fuyant la répression et leurs misérables conditions. Ce départ en masse a touché plusieurs régions. Accueillis en France (départements du Val d’Oise et Seine Saint-Denis), ils ont pu, par leur travail et leur persévérance, réussir et accéder à une vie digne, occuper des postes importants, ceci en peu de temps. C’est dans un pays laïque et respectueux de toutes les religions, qu’ils ont pu construire des églises (à Sarcelles et Arnouville), conformément à leurs traditions et selon leurs rites, et vivre pleinement leur foi. En échange, ils vouent à la France amour, loyauté et fidélité.
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