«L'Espagne continue à refuser l'idée d'une dimension musulmane de l'Europe»
Volontiers ironique, l'écrivain et chroniqueur tangérois Lotfi Akalay (auteur aux éditions du Seuil du roman «Les Nuits d'Azed») analyse le choc des civilisations qui se cache derrière la crise entre le Maroc et l'Espagne.
Le Temps: Que vous inspire l'épisode belliqueux survenu autour de ce minuscule îlot?
Lotfi Akalay: Cette affaire est grotesque, Leïla se trouve bien au Maroc. J'y nageais quand j'étais gamin, et je n'ai jamais été capable de nager jusqu'en Espagne! Ce qui est en cause aujourd'hui est bien plus profond que la possession d'un rocher. Il s'agit ni plus ni moins de la fracture entre le Nord et le Sud, entre une Espagne qui ne veut pas des «Africains», une Espagne qui continue à refuser l'idée d'une dimension musulmane de l'Europe. Huit siècles n'ont pas suffi à faire des musulmans d'authentiques habitants de la péninsule Ibérique. Et en 1492, quand la Reconquista était à peu près achevée, ils avaient tous été renvoyés de l'autre côté du détroit comme des malpropres. C'est un peu comme si les Indiens d'Amazonie avaient renvoyé les Portugais à Lisbonne. En réalité l'Espagne ne fait, depuis ce temps-là, qu'appliquer à la lettre le testament d'Isabelle la Catholique.
– C'est-à-dire?
– Isabelle la Catholique était reine de Castille, épouse de Ferdinand, le roi d'Aragon. Après avoir chassé en direction du Maroc les Maures de Grenade, la dernière petite peau de chagrin musulmane qui restait en Espagne, elle fit inscrire dans son testament une clause disant ceci: «Assurez-vous que les infidèles ne mettront plus jamais les pieds en terre chrétienne. Et pour y parvenir, la meilleure solution est de mettre nous-mêmes le pied en terre musulmane.» Depuis lors, cela a toujours été la politique de l'Espagne, de l'époque coloniale à aujourd'hui. Les hélicoptères d'Aznar sur l'îlot du Persil, c'est encore le testament d'Isabelle la Catholique. Petite parenthèse: si la Reconquista avait pris quelques
semaines de plus, en 1492, Christophe Colomb n'aurait pas pu faire financer son expédition par la reine Isabelle, mais par Grenade. Vous me suivez? Aujourd'hui, l'Amérique serait musulmane.
– Et l'immigration illégale – qui préoccupe tant Madrid –, en quoi son traitement par le gouvernement Aznar relève-t-elle également de l'Espagne du XVe siècle?
– Le testament s'applique aussi ici, c'est une métaphore. Aznar a voulu montrer qui contrôlait vraiment le détroit, et le contrôle du détroit, c'est la ligne de front dans la guerre de l'immigration qui, pour moi, est une guerre de religion: les Espagnols veulent la maîtrise du flux migratoire, or c'est un phénomène qu'aucune politique ne pourra jamais réguler. Depuis que l'homme est né en Afrique, il s'est déplacé pour survivre, pas pour faire du tourisme; rien ne peut empêcher cela. D'ailleurs l'Amérique est une nation de migrants, l'Europe devrait se le rappeler au lieu d'ériger des barrières. Assez d'hypocrisie: il faut redonner ses lettres de noblesse à l'immigration, et cesser de faire porter au seul Maroc le chapeau parce qu'on découvre un immigré les tripes ouvertes sous l'hélice d'un cargo russe. Enfin, pour terminer, je dirais que le clandestin ne l'est que chez vous. 99% des Africains qui transitent par le Maroc le font en toute légalité, puisqu'ils n'ont pas besoin de visas pour entrer dans le Royaume.
Volontiers ironique, l'écrivain et chroniqueur tangérois Lotfi Akalay (auteur aux éditions du Seuil du roman «Les Nuits d'Azed») analyse le choc des civilisations qui se cache derrière la crise entre le Maroc et l'Espagne.
Le Temps: Que vous inspire l'épisode belliqueux survenu autour de ce minuscule îlot?
Lotfi Akalay: Cette affaire est grotesque, Leïla se trouve bien au Maroc. J'y nageais quand j'étais gamin, et je n'ai jamais été capable de nager jusqu'en Espagne! Ce qui est en cause aujourd'hui est bien plus profond que la possession d'un rocher. Il s'agit ni plus ni moins de la fracture entre le Nord et le Sud, entre une Espagne qui ne veut pas des «Africains», une Espagne qui continue à refuser l'idée d'une dimension musulmane de l'Europe. Huit siècles n'ont pas suffi à faire des musulmans d'authentiques habitants de la péninsule Ibérique. Et en 1492, quand la Reconquista était à peu près achevée, ils avaient tous été renvoyés de l'autre côté du détroit comme des malpropres. C'est un peu comme si les Indiens d'Amazonie avaient renvoyé les Portugais à Lisbonne. En réalité l'Espagne ne fait, depuis ce temps-là, qu'appliquer à la lettre le testament d'Isabelle la Catholique.
– C'est-à-dire?
– Isabelle la Catholique était reine de Castille, épouse de Ferdinand, le roi d'Aragon. Après avoir chassé en direction du Maroc les Maures de Grenade, la dernière petite peau de chagrin musulmane qui restait en Espagne, elle fit inscrire dans son testament une clause disant ceci: «Assurez-vous que les infidèles ne mettront plus jamais les pieds en terre chrétienne. Et pour y parvenir, la meilleure solution est de mettre nous-mêmes le pied en terre musulmane.» Depuis lors, cela a toujours été la politique de l'Espagne, de l'époque coloniale à aujourd'hui. Les hélicoptères d'Aznar sur l'îlot du Persil, c'est encore le testament d'Isabelle la Catholique. Petite parenthèse: si la Reconquista avait pris quelques
semaines de plus, en 1492, Christophe Colomb n'aurait pas pu faire financer son expédition par la reine Isabelle, mais par Grenade. Vous me suivez? Aujourd'hui, l'Amérique serait musulmane.
– Et l'immigration illégale – qui préoccupe tant Madrid –, en quoi son traitement par le gouvernement Aznar relève-t-elle également de l'Espagne du XVe siècle?
– Le testament s'applique aussi ici, c'est une métaphore. Aznar a voulu montrer qui contrôlait vraiment le détroit, et le contrôle du détroit, c'est la ligne de front dans la guerre de l'immigration qui, pour moi, est une guerre de religion: les Espagnols veulent la maîtrise du flux migratoire, or c'est un phénomène qu'aucune politique ne pourra jamais réguler. Depuis que l'homme est né en Afrique, il s'est déplacé pour survivre, pas pour faire du tourisme; rien ne peut empêcher cela. D'ailleurs l'Amérique est une nation de migrants, l'Europe devrait se le rappeler au lieu d'ériger des barrières. Assez d'hypocrisie: il faut redonner ses lettres de noblesse à l'immigration, et cesser de faire porter au seul Maroc le chapeau parce qu'on découvre un immigré les tripes ouvertes sous l'hélice d'un cargo russe. Enfin, pour terminer, je dirais que le clandestin ne l'est que chez vous. 99% des Africains qui transitent par le Maroc le font en toute légalité, puisqu'ils n'ont pas besoin de visas pour entrer dans le Royaume.
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