Invité AfriqueTchad: la peur de ce pays est «d'hériter d'un certain nombre de combattants libyens»
Publié le : 31/08/2021 - 07:02

Par :Magali LagrangeSuivre
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Mahamat Idriss Déby était en visite au Soudan, pendant deux jours. Le président du Conseil militaire de transition tchadien a rencontré notamment le général Abdel Fattah al-Burhan, président du Conseil de souveraineté soudanais, et le Premier ministre Abdallah Hamdok. Il a rejeté, à Khartoum, l'idée d'un retour au pays de « mercenaires » qui combattent en Libye. Pour en parler, notre invité ce matin est Roland Marchal, chercheur au CNRS basé à Sciences Po Paris. Il répond aux questions de Magali Lagrange.
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Tchad: la peur de ce pays est «d'hériter d'un certain nombre de combattants libyens»
Publié le : 31/08/2021 - 07:02
Le général Mahamat Idriss Déby, président du Conseil militaire de transition et fils du défunt président Idriss Déby Itno lors des funérailles de son père, le 23 avril 2021.
Le général Mahamat Idriss Déby, président du Conseil militaire de transition et fils du défunt président Idriss Déby Itno lors des funérailles de son père, le 23 avril 2021. © AFP / CHRISTOPHE
Mahamat Idriss Déby était en visite au Soudan, pendant deux jours. Le président du Conseil militaire de transition tchadien a rencontré notamment le général Abdel Fattah al-Burhan, président du Conseil de souveraineté soudanais, et le Premier ministre Abdallah Hamdok. Il a rejeté, à Khartoum, l'idée d'un retour au pays de « mercenaires » qui combattent en Libye. Pour en parler, notre invité ce matin est Roland Marchal, chercheur au CNRS basé à Sciences Po Paris. Il répond aux questions de Magali Lagrange.
RFI : Mahamat Idriss Déby a passé deux jours au Soudan. Pourquoi ce déplacement ?
Roland Marchal : Ce sont deux pays frontaliers, dont la situation intérieure est problématique à différents égards. Mais je pense que, du point de vue du Tchad, il est très clair que de bonnes relations avec Khartoum permettent de garantir une paix intérieure beaucoup plus grande. De plus, les deux pays sont confrontés à un troisième pays qui est encore plus difficile à comprendre et à gérer, qui est la Libye.
Les questions sécuritaires étaient notamment au menu. Lesquelles plus précisément ?
Il y a plusieurs inquiétudes du côté tchadien. La première, c’est évidemment le fait que la situation politique en Libye devrait se décanter et que des gens qu’on qualifie de « mercenaires », qui sont aujourd’hui sur le territoire libyen, vont devoir quitter ce territoire dans les mois qui viennent. Et évidemment, la peur du Tchad, c’est d’hériter d’un certain nombre de ces combattants qui pour une part ont la nationalité tchadienne ou ont vécu au Darfour donc Soudanais, mais pourraient très facilement s’intégrer dans cette société militaire ou factionnelle tchadienne telle qu’elle existe aujourd’hui.
Le Tchad affiche une volonté de relancer un accord qui date de 2018 avec la Libye, le Soudan et le Niger pour prévenir les incursions de groupes rebelles. Est-ce que vous savez ce que cet accord prévoit précisément et pourquoi le réactiver maintenant ?
Il y a ce sentiment que la situation du Niger est sans doute une situation extrêmement difficile. Je sais que le vice-président du Conseil de souveraineté soudanais a proposé au président [Mohamed] Bazoum de fournir des troupes de ses forces de soutien rapides qui pourraient venir en appui à l’armée nigérienne. Il y a également une inquiétude générale sur les dysfonctionnements possibles des accords de paix intra-libyens. Donc, le fait que ces pays discutent, et discutent de relancer des initiatives pour sécuriser des frontières n’est pas en soi surprenant.
Concernant le Niger, et plus particulièrement la zone des trois frontières, à l’inverse le Tchad a annoncé une baisse de ses effectifs. À quoi correspond cette annonce-là ?
Il y a une explication officielle, qui est tout à fait plausible par ailleurs, qui renvoie à une situation qui se détériorerait sur la frontière au nord au Tchad avec la Libye. Mais en même temps, vous avez aussi le sentiment que la transition au Tchad ne se passe pas très bien, que les divisions au sein de la famille Déby se sont accrues, que les mécontentements au sein des forces militaires sur la composition un peu étriquée du Conseil militaire de transition se sont faits plus bruyants. Puis, il y a aussi ce sentiment qu’on fait revenir des troupes pour les utiliser dans des équilibres politiques intérieurs qui sont fragilisés à cause des rivalités et des tensions qui existent sur le cheminement de la transition au Tchad, qui n’est pas aussi simple que certains alliés du Tchad voudraient le faire croire.
Donc, ces déplacements et ces décisions qui concernent l’international et les pays voisins du Tchad sont aussi le reflet d’une crainte concernant la situation à l’intérieur du pays…
Je le pense, et je crois que dans les semaines qui viennent, on en aura des preuves encore plus fortes que simplement ces réunions entre pays de la région.
Au-delà de la solution militaire que cherche Mahamat Idriss Déby, y a-t-il selon vous une solution politique aux rébellions qui ont agité le Tchad au cours des nombreuses dernières années ?
Dire non ou oui, c’est en fait s’attirer des sarcasmes puisqu’on sait très bien que c’est un chemin difficile. Mais on peut estimer, et je l’estime personnellement, que le régime de transition au Tchad est un régime de transition qui a mis l’accent sur le cercle qui entourait Idriss Déby beaucoup plus que la réalité de ce qu’est aujourd’hui le Tchad, et que Mahamat [Idriss Déby] Kaka devrait à tout coup essayer d’ouvrir ce régime à la fois d’un point de vue réaliste pour lui, c’est-à-dire vis-à-vis des militaires parce que de nombreux secteurs de l’armée sont exclus aujourd’hui du CNT, et plus largement donner de vraies assurances aux civils sur le fait que ce qui est en train de se construire n’est pas un régime qui serait du Déby sans Idriss. Il y a besoin de refonder un régime, de l’ouvrir et de le fonder sur une base sociale qui soit quand même beaucoup plus large que le régime d’Idriss Déby au moment de la mort de celui-ci.
RFI