C'est bien les russes qui protègent la Syrie contre Lafarge et les groupes terroristes de la Nostra.
Entreprise visée : Lafarge et Lafarge Cement Syria
Partenaire : European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR)
Faits
Sherpa et ECCHR (European Center for Constitutional and Human Rights), ainsi que 11 plaignants ex salariés syriens, représentés par maître Marie Dosé et Jean-Christophe Ménard, ont déposé plainte contre le cimentier Lafarge et sa filiale Lafarge Cement Syria (LCS) pour leurs activités en Syrie. Ces derniers auraient pu contribuer, en entretenant des relations commerciales avec le groupe Daesh en Syrie, au financement du terrorisme se rendant ainsi potentiellement complices de crimes de guerres et crimes contre l’humanité.
Entre 2012 et 2015, l’entreprise Lafarge, devenue LafargeHolcim, posséde une usine située entre Raqqa et Manbij dans le nord de la Syrie gérée par Lafarge Cement Syria (LCS) que Lafarge détient à 98,7%. En 2012, lorsque les conflits augmentent dans la zone nord du pays, aux environs de Raqqa et d’Alep, Lafarge rapatrie ses salariés expatriés mais demande aux salariés syriens de rester pour continuer de faire tourner l’usine.
Au cours de l’année 2013, les conflits s’intensifient et Daesh s’empare du territoire syrien nord.
Les risques pour la vie des salariés se multiplient sur les routes entourant l’usine Lafarge, notamment à cause des check points contrôlés par Daesh. Des arrangements ont été passés entre LCS et plusieurs groupes armés dont Daesh, afin de pouvoir maintenir l’activité dans l’usine, notamment grâce à l’obtention de laissez-passer tamponnés par le groupe djihadiste, et à l’achat de matières premières nécessaires à la production de ciment telles que le pétrole et la pouzzolane dans les zones contrôlées par Daesh. « En mai 2014, il s’agissait d’un simple papier de l’Etat Islamique, écrit à la main avec le tampon du ministère des finances de l’EI. […] Il devait être renouvelé et tamponné tous les jours. » témoigne un salarié de l’usine, en fonction au moment des faits.
Le travail de Sherpa
En quelques mois, Sherpa a pu rédiger la plainte, recueillir 200 pièces dont les témoignages de onze anciens salariés syriens de l’usine, et les représenter en tant que parties civiles. Nous avons souhaité associer ECCHR également à la plainte originale déposée le 15 novembre 2016 pour financement de terrorisme, complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, mise en danger délibérée d’autrui et travail incompatible avec la dignité humaine. C’est la première fois qu’une plainte est déposée sur ces fondements contre une multinationale.
En mars 2017, un aveu partiel des faits est publié par LafargeHolcim dans un communiqué de presse où l’entreprise reconnaît avoir effectué des versements à des groupes armés. En avril, l’enquête interne diligentée par l’entreprise admet l’implication de la maison-mère et plusieurs départs de dirigeants sont alors annoncés.
Le 9 juin, trois juges d’instruction sont nommés pour enquêter sur ce dossier, Charlotte Bilger, David de Pas et Renaud Van Ruymbeke. En tant que partie civile, Sherpa a été auditionnée et a continué de fournir des éléments à l’instruction. Sherpa a aussi joué le rôle d’ONG de soutien des anciens salariés plaignants, en organisant durant toute l’année la venue et l’audition de plusieurs plaignants par les juges, afin qu’ils puissent être entendus et que leur préjudice soit reconnu, notamment à travers la mise en examen de Lafarge et ses dirigeants sur le chef de complicité de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Le 13 octobre 2017, nous avons envoyé aux juges une demande d’audition des ambassadeurs de Syrie (Gellet et Chevalier), ainsi que du ministre des Affaires étrangères français de l’époque, afin qu’aucune responsabilité ne soit oubliée.
Dès le mois de novembre, l’instruction s’accélère: les sièges de Lafarge en France et en Belgique sont perquisitionnés, et six anciens dirigeants et cadres de Lafarge sont mis en examen.
Le 12 décembre 2017, nous avons organisé une conférence de presse pour dénoncer les entraves du groupe Lafarge au bon déroulement de l’enquête et clarifier les montants évoqués dans le dossier d’instruction. A ce stade de l’instruction, ce sont plus de 13 millions d’euros qui auraient été versés à des groupes armés.
L’affaire Lafarge est devenue emblématique de la lutte contre l’impunité des multinationales, particulièrement dans des zones de conflit. Elle deviendra certainement un précédent historique. C’est la première fois que des dirigeants d’une entreprise enregistrée au CAC 40 sont mises en examen pour ses activités à l’étranger dans une affaire de financement du terrorisme, sur la mise en danger délibérée de leurs employés, et le travail incompatible avec la dignité humaine.
« Pourquoi Lafarge ne nous a pas évacués ? Même les habitants du village voisin avaient fui la veille de l’attaque. A croire que Lafarge nous utilisait comme bouclier humain pour protéger le site. Ils nous ont fait prendre trop de risques. Ils auraient dû fermer l’usine il y a bien longtemps. » s’indigne un ancien employé de l’usine.
Etat de la procédure
15 Novembre 2016. SHERPA, ECCHR et 11 victimes portent plainte devant le Doyen des juges d’instruction, au TGI de Paris contre les sociétés Lafarge (France), Lafarge Cement Syria (Syrie), Bruno Lafont, Bruno Pescheux et Frédéric Jolibois
28 février 2017. Ordonnance fixant une consignation de partie civile
9 juin 2017. Nomination de trois juges d’instruction du Tribunal de Grande Instance de PARIS – Madame Charlotte BILGER et Monsieur Renaud VAN RUYMBEKE, en fonction au Pôle financier, et Monsieur David DE PAS, du pôle antiterroriste – pour instruire sur les faits qualifiés notamment de financement de terrorisme et complicité de crimes contre l’humanité reprochés au groupe industriel franco-suisse LAFARGE HOLCIM
16 juin 2017. Avis à partie civile de l’ouverture de l’information judiciaire
Juin-Novembre 2017. Auditions des parties civiles
14 novembre 2017. Perquisition au siège de Lafarge à Paris et GBL en Belgique
1er décembre 2017. Mises en examen de Bruno Pescheux, directeur de la filiale syrienne de Lafarge entre 2008 et 2014, et son successeur, Frédéric Jolibois, pour « financement du terrorisme », « mise en danger d’autrui » et « violation du règlement européen » concernant l’embargo sur le pétrole syrien. Jean-Claude Veillard, directeur de la sûreté de Lafarge, a lui été mis en examen pour « financement du terrorisme » et « mise en danger d’autrui »
7 décembre 2017. Mise en examen d’Éric Olsen, DRH puis directeur général adjoint, pour « financement d’une entreprise terroriste » et « mise en danger de la vie d’autrui » et placé sous contrôle judiciaire.
8 décembre 2017. Mises en examen de Bruno Lafont, ancien PDG de Lafarge, de Christian Herrault, ex directeur général adjoint opérations
27 mars 2018. Mise en examen de l’ex-DRH du cimentier Sonia Artinian, en poste de septembre 2013 à juillet 2015, poursuivie pour «mise en danger délibérée de la vie d’autrui». Sonia Artinian a aussi été placée sous le statut de «témoin assisté» concernant le «financement d’une entreprise terroriste»
2 mai 2018. Interpellation de Jacob Waerness à l’aéroport de Roissy
3 mai 2018. Déclassification de documents confidentiels défense
4 mai 2018. Mise en examen de l’ancien responsable sécurité de l’usine, Jacob Waerness, pour financement d’une entreprise terroriste
11 mai 2018. Communication d’une note par les parties civiles SHERPA et ECCHR sur la nécessité d’une mise en examen de la personne morale, et de personnes physiques, pour complicité des crimes contre l’humanité commis par l’EI entre 2013 et 2014 et d’autres groupes armés à partir de 2012 (retrouvez notre communiqué de presse ici)
28 juin 2018. Mise en examen de la personne morale Lafarge SA pour « violation d’un embargo », « financement d’une entreprise terroriste », « mise en danger de la vie d’autrui » et « complicité de crimes contre l’humanité » (retrouvez notre communiqué de presse ici)