Abdelilah Issou est un officier dissident marocain. Il raconte ce qu’il a vécu au sein de l’armée marocaine, la corruption au sein de l’armée royale, les graves projets israéliens au Maroc…
Abdelilah Issou, qui est installé en Espagne depuis 20 ans, a servi dans l’armée marocaine entre 1988 et 2000. Il a fait l’essentiel de sa carrière au Sahara occidental. Il a quitté l’armée avec le grade de lieutenant après avoir subi toutes brimades et représailles pour avoir refusé de cautionner les détournements auxquels s’adonnaient ses supérieurs.
Denrées alimentaires, carburants et autres, rien n’échappe à la prédation des officiers supérieurs de l’armée royale marocaine. « Les officiers subalternes doivent signer pour enrichir les chefs de corps », résume-t-il.
Les hauts officiers marocains sont des « businessmen » et c’est le défunt roi Hassan II lui-même qui en a voulu ainsi. « Après les coups d’État (ratés) de 1971 et de 1972, il a réuni son-major et leur a dit : ne faites pas de politique, faites de l’argent », raconte l’ancien officier de l’armée marocaine.
Même la concentration des troupes le long du mur de séparation au Sahara occidental a aussi comme objectif d’éloigner l’armée des centres du pouvoir et de réduire les risques de putsch.
L’analyse concorde parfaitement avec les faits : depuis les coups d’État ratés des généraux El Madhbouh et Oufkir et le déclenchement du conflit du Sahara occidental, l’armée marocaine n’a plus attenté à la monarchie.
Dans l’armée marocaine, « tout est à vendre »
Les grades, les mutations et les permissions sont aussi monnayées. Abdelilah Issou se souvient d’une proposition qu’on lui a fait de payer entre 40.000 et 60.000 dirhams pour se faire affecter dans une « belle unité » au Nord.
Paradoxalement, les plus « belles unités » sont celles stationnées au Sahara occidental. L’ex-lieutenant les qualifie de « poules aux œufs d’or ». Pour diriger un bataillon dans cette zone, il fallait mettre à l’époque pas moins de 100.000 dollars.
Et quand les généraux du roi ne détournent pas les rations des soldats ou ne négocient pas les mutations des officiers, ils prélèvent une dîme sur les trafics de drogue aux frontières algériennes et dans le Rif.
Abdelilah Issou a servi pendant six mois dans la région, mais c’est son passage dans l’infanterie au Sahara occidental qui l’a le plus marqué. C’est dans cette zone que les soldats souffrent le plus : manque d’eau, chaleur suffocante, nourriture insuffisante, serpents, scorpions…
La prédation et les détournements ont logiquement impacté les conditions de vie des soldats dans les cantonnements, ce qui, selon l’officier dissident, a tué chez eux « l’esprit de combat ».
C’était notamment le cas au Sahara occidental où les chefs de corps fuyaient devant les attaques du Polisario et les unités d’intervention n’intervenaient que pour ramasser les morts.
Et les choses n’ont pas changé, assure notre interlocuteur. « Le seul changement que je vois, c’est l’utilisation de drones dans les territoires libérés », dit-il. Et encore, les personnels actuels n’ont « aucune expérience de combat ».
Abdelilah Issou décrit une situation de délitement au sein des unités marocaines, avec des désertions, comme cela a été rapporté récemment, des suicides et des rébellions.
« Si le Polisario gagne, le régime marocain va tomber »
L’acharnement du makhzen marocain à garder le Sahara occidental sous occupation s’explique, selon l’officier dissident, par le fait que cette question soit vitale pour la survie de la monarchie. « Ils savent que si le Polisario gagne, le régime va tomber », dit-il, ajoutant que cela est aussi l’analyse de tous les services secrets et diplomates des autres pays.
C’est pourquoi les dirigeants marocains sont « prêts à s’allier avec le diable ». La normalisation avec Israël, qui a été conclue en 2020, en est la parfaite illustration.
Une transaction dans laquelle le Maroc n’a, selon l’opposant, « rien gagné. Israël n’a même pas reconnu la marocanité du Sahara », note-t-il.
Quant aux armes que peut fournir Tel-Aviv à Rabat, elles sont dépassées et, de toute façon, elles ne sont pas gratuites, ce qui ne fait qu’aggraver l’endettement du royaume, déjà lourd. Le Maroc est l’un des pays les plus endettés d’Afrique, avec un stock de plus de 65 milliards de dollars.
Le gagnant exclusif des accords de normalisation, c’est Israël, assure le dissident qui dévoile ce que cache le ballet des militaires israéliens au Maroc. Déjà, révèle-t-il, des laboratoires de recherche israéliens sur les armes biologiques ont été délocalisés au Maroc sous couvert de centres de recherche scientifique.
« C’est extrêmement grave », dit-il, en évoquant la possibilité d’utiliser des Marocains comme cobayes dans ces laboratoires maquillés en hôpitaux.
Pour l’ex-officier marocain, le Maroc pourrait constituer une sorte de base arrière pour Israël en cas de conflit au Moyen-Orient.
« Les grandes décisions sont prises à Tel-Aviv et sont transmises à Rabat via Azoulay (André, conseiller du roi, ndlr) », ajoute-t-il.
La présence d’Israël au Maroc constitue un danger pour l’Algérie, avec qui il a de « vieux comptes à régler ».
Les Israéliens sont connus pour ne pas hésiter à mener des actions de sabotage. Ils peuvent s’attaquer aux installations énergétiques algériennes et aux navires de transport d’hydrocarbures, met en garde Issou.
Sinon, en cas d’affrontement entre le Maroc et l’Algérie, l’armée israélienne n’interviendra pas, elle pourra tout au plus fournir du matériel, de l’expertise ou un soutien diplomatique auprès des États-Unis ou de l’Europe. « Ils ne sont pas prêts à mourir pour le Maroc, eux qui, pour un seul soldat, libèrent 1.000 prisonniers palestiniens », analyse Abdelilah Issou.
L’ex-officier marocain assure que si la guerre se déclenche avec l’Algérie, les Marocains n’auront aucune chance, et ils le savent. « Avec une bonne stratégie, l’armée algérienne peut atteindre Rabat en 48 heures », dit-il.
Pour lui, la normalisation est une « nouvelle forme de protectorat », « le peuple est contre » mais l’armée est « impuissante ».
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