ANALYSE - À Kiev, les autorités se préparent à subir les bombardements russes de l’hiver et redoutent que l’aide militaire occidentale finisse par se tarir.
Lancée en juin dernier dans l’est et le sud du pays, la contre-offensive de Kiev était censée percer les lignes de défense russes pour rejoindre la mer d’Azov et rompre le pont de ravitaillement entre la Russie et la péninsule de Crimée, annexée par Moscou en 2014. Mais cinq mois plus tard, l’armée n’a reconquis qu’environ 400 kilomètres carrés, n’avançant que de 17 kilomètres. Elle est encore à une centaine de kilomètres de la mer d’Azov, et l’armée russe tient toujours la plupart de ses positions.
Bien que subissant de fortes pertes, les Russes ont pour leur part mené plusieurs assauts ces dernières semaines, d’une ampleur supérieure à ceux - tant russes qu’ukrainiens - de ces derniers mois. Lundi, Kiev a d’ailleurs annoncé que l’ennemi tentait de reprendre le village de Robotyne, dans le Sud, dont la libération à la fin de l’été avait été présentée comme un succès notoire de sa contre-offensive, annonciateur d’autres avancées… Lesquelles n’ont pas encore eu lieu.
«La vie des soldats a beaucoup de valeur»
Depuis l’automne dernier et la reprise de Kherson (Sud), qui fit suite à l’offensive fulgurante de Kharkiv - les deux principaux succès de Kiev depuis un an -, l’armée ukrainienne piétine. Et, même si Moscou n’a pas non plus acquis de gains significatifs, Kiev redoute que son adversaire fasse déferler cet hiver un déluge de frappes sur ses infrastructures énergétiques, comme ce fut le cas il y a un an. Des millions de personnes avaient été privées d’électricité, et donc de chauffage.
Le postulat de départ partagé par les Occidentaux, lorsque la contre-offensive fut annoncée en juin dernier, était qu’en causant assez de dommages aux forces russes, celle-ci contraindrait Moscou à accepter une solution négociée - où l’Ukraine bénéficierait d’un avantage tant militaire que politique. Mais le peu de considération de Moscou pour la vie de ses soldats et sa disposition à renvoyer toujours plus d’éléments sur le terrain ont rendu caduque cette stratégie.
Bien que la Russie ait perdu «au moins 150.000 soldats», a souligné il y a quelques jours le commandant en chef des forces armées ukrainiennes Valeri Zaloujny dans les colonnes du magazine britannique The Economist, «les points de référence de M. Poutine sont les première et deuxième guerres mondiales, lors desquelles la Russie a perdu des dizaines de millions d’hommes». Cet «État féodal» en tire, selon le général, un avantage certain par rapport à l’Ukraine, où «la vie des soldats a beaucoup de valeur».
Une guerre d’usure
La stratégie de la guerre d’usure, qui devait rendre exsangues les forces de Moscou, a d’autant plus échappé aux stratèges de l’Otan et de Kiev, que ces derniers ont dû constater un état de fait: aucune des deux parties n’a acquis de supériorité technologique, et aucune n’a donc pris l’avantage sur le front. Résultat: au lieu d’une contre-offensive décisive, s’est matérialisée une guerre de positions, tranchées contre tranchées.
Or, Moscou a l’avantage de pouvoir, plus certainement que l’Ukraine, mener dans la durée une guerre d’attrition. Sa population est plus de trois fois supérieure à celle de l’Ukraine, et son économie plus robuste. Malgré les sanctions occidentales, le pays produit plus de missiles qu’avant le 24 février 2022. Le directeur du renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Boudanov, a estimé lors d’une interview le mois dernier avec la presse locale que la Russie disposerait d’assez d’hommes et d’équipement militaire pour tenir jusqu’en 2026.
Par contraste, l’Ukraine manque de munitions, et n’est pas en mesure de mener des frappes en profondeur dans les territoires contrôlés par Moscou. Dans l’attente des avions de chasse américains F-16, qui doivent être livrés à Kiev courant 2024, Moscou contrôle toujours le ciel. La livraison de ces F-16, note par ailleurs Zaloujny, arrivera à contretemps des réalités du terrain, Moscou ayant amélioré depuis le début du conflit son système de défense antiaérienne. Un problème représentatif, selon lui, du caractère trop parcellaire des livraisons d’armes par ses alliés depuis le début du conflit.
L’aide internationale
Autre obstacle au succès de la contre-offensive: depuis 2022, l’armée russe a dissimulé des mines sur une immense étendue du territoire, rendant périlleuse et lente la progression des soldats ukrainiens. Selon une estimation rendue publique par le gouvernement ukrainien en octobre dernier, environ un tiers du pays serait jonché de mines posées par l’armée russe.
Afin d’assurer que l’Ukraine remporte la guerre, et non seulement d’éviter une victoire russe, le général Zaloujny appelle ses alliés à livrer toutes les innovations qui rendraient son armée technologiquement supérieure à celle de Moscou: drones, équipement de guerre électronique, capacités anti-artillerie et de déminage, et autres systèmes de missiles longue portée.
Vendredi dernier, les États-Unis ont annoncé débloquer une enveloppe d’aide militaire à l’Ukraine d’un montant de 425 millions de dollars… Mais à Washington, des élus républicains questionnent de manière de plus en plus pressante le futur de l’aide militaire américaine destinée à Kiev. Des Européens, dont la France, ont également prévu de livrer prochainement du matériel militaire à Kiev… Mais il y a une semaine, l’agence Bloomberg révélait que l’UE ne serait pas en mesure de tenir son engagement de livrer 1 million de munitions à l’Ukraine d’ici à mars prochain.
L’aide internationale risque bel et bien de s’étioler. Non seulement les avancées ukrainiennes ne sont plus aussi spectaculaires que l’an dernier, mais le conflit au Proche-Orient, qui semble lui aussi parti pour durer, accapare l’attention des médias, des gouvernements et de l’opinion publique.
Lancée en juin dernier dans l’est et le sud du pays, la contre-offensive de Kiev était censée percer les lignes de défense russes pour rejoindre la mer d’Azov et rompre le pont de ravitaillement entre la Russie et la péninsule de Crimée, annexée par Moscou en 2014. Mais cinq mois plus tard, l’armée n’a reconquis qu’environ 400 kilomètres carrés, n’avançant que de 17 kilomètres. Elle est encore à une centaine de kilomètres de la mer d’Azov, et l’armée russe tient toujours la plupart de ses positions.
Bien que subissant de fortes pertes, les Russes ont pour leur part mené plusieurs assauts ces dernières semaines, d’une ampleur supérieure à ceux - tant russes qu’ukrainiens - de ces derniers mois. Lundi, Kiev a d’ailleurs annoncé que l’ennemi tentait de reprendre le village de Robotyne, dans le Sud, dont la libération à la fin de l’été avait été présentée comme un succès notoire de sa contre-offensive, annonciateur d’autres avancées… Lesquelles n’ont pas encore eu lieu.
«La vie des soldats a beaucoup de valeur»
Depuis l’automne dernier et la reprise de Kherson (Sud), qui fit suite à l’offensive fulgurante de Kharkiv - les deux principaux succès de Kiev depuis un an -, l’armée ukrainienne piétine. Et, même si Moscou n’a pas non plus acquis de gains significatifs, Kiev redoute que son adversaire fasse déferler cet hiver un déluge de frappes sur ses infrastructures énergétiques, comme ce fut le cas il y a un an. Des millions de personnes avaient été privées d’électricité, et donc de chauffage.
Le postulat de départ partagé par les Occidentaux, lorsque la contre-offensive fut annoncée en juin dernier, était qu’en causant assez de dommages aux forces russes, celle-ci contraindrait Moscou à accepter une solution négociée - où l’Ukraine bénéficierait d’un avantage tant militaire que politique. Mais le peu de considération de Moscou pour la vie de ses soldats et sa disposition à renvoyer toujours plus d’éléments sur le terrain ont rendu caduque cette stratégie.
Bien que la Russie ait perdu «au moins 150.000 soldats», a souligné il y a quelques jours le commandant en chef des forces armées ukrainiennes Valeri Zaloujny dans les colonnes du magazine britannique The Economist, «les points de référence de M. Poutine sont les première et deuxième guerres mondiales, lors desquelles la Russie a perdu des dizaines de millions d’hommes». Cet «État féodal» en tire, selon le général, un avantage certain par rapport à l’Ukraine, où «la vie des soldats a beaucoup de valeur».
Une guerre d’usure
La stratégie de la guerre d’usure, qui devait rendre exsangues les forces de Moscou, a d’autant plus échappé aux stratèges de l’Otan et de Kiev, que ces derniers ont dû constater un état de fait: aucune des deux parties n’a acquis de supériorité technologique, et aucune n’a donc pris l’avantage sur le front. Résultat: au lieu d’une contre-offensive décisive, s’est matérialisée une guerre de positions, tranchées contre tranchées.
Or, Moscou a l’avantage de pouvoir, plus certainement que l’Ukraine, mener dans la durée une guerre d’attrition. Sa population est plus de trois fois supérieure à celle de l’Ukraine, et son économie plus robuste. Malgré les sanctions occidentales, le pays produit plus de missiles qu’avant le 24 février 2022. Le directeur du renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Boudanov, a estimé lors d’une interview le mois dernier avec la presse locale que la Russie disposerait d’assez d’hommes et d’équipement militaire pour tenir jusqu’en 2026.
Par contraste, l’Ukraine manque de munitions, et n’est pas en mesure de mener des frappes en profondeur dans les territoires contrôlés par Moscou. Dans l’attente des avions de chasse américains F-16, qui doivent être livrés à Kiev courant 2024, Moscou contrôle toujours le ciel. La livraison de ces F-16, note par ailleurs Zaloujny, arrivera à contretemps des réalités du terrain, Moscou ayant amélioré depuis le début du conflit son système de défense antiaérienne. Un problème représentatif, selon lui, du caractère trop parcellaire des livraisons d’armes par ses alliés depuis le début du conflit.
L’aide internationale
Autre obstacle au succès de la contre-offensive: depuis 2022, l’armée russe a dissimulé des mines sur une immense étendue du territoire, rendant périlleuse et lente la progression des soldats ukrainiens. Selon une estimation rendue publique par le gouvernement ukrainien en octobre dernier, environ un tiers du pays serait jonché de mines posées par l’armée russe.
Afin d’assurer que l’Ukraine remporte la guerre, et non seulement d’éviter une victoire russe, le général Zaloujny appelle ses alliés à livrer toutes les innovations qui rendraient son armée technologiquement supérieure à celle de Moscou: drones, équipement de guerre électronique, capacités anti-artillerie et de déminage, et autres systèmes de missiles longue portée.
Vendredi dernier, les États-Unis ont annoncé débloquer une enveloppe d’aide militaire à l’Ukraine d’un montant de 425 millions de dollars… Mais à Washington, des élus républicains questionnent de manière de plus en plus pressante le futur de l’aide militaire américaine destinée à Kiev. Des Européens, dont la France, ont également prévu de livrer prochainement du matériel militaire à Kiev… Mais il y a une semaine, l’agence Bloomberg révélait que l’UE ne serait pas en mesure de tenir son engagement de livrer 1 million de munitions à l’Ukraine d’ici à mars prochain.
L’aide internationale risque bel et bien de s’étioler. Non seulement les avancées ukrainiennes ne sont plus aussi spectaculaires que l’an dernier, mais le conflit au Proche-Orient, qui semble lui aussi parti pour durer, accapare l’attention des médias, des gouvernements et de l’opinion publique.