Avec les frappes israéliennes en Iran, la toute-puissance de la République islamique a volé en éclats, laissant la population entre peur et espoir.
Par Armin Arefi
La déclaration a été contredite par l'Histoire. « Il n'y a aura ni guerre ni négociation avec les États-Unis. » Nous sommes le 13 août 2018 et l'ayatollah Khamenei, le guide suprême de la révolution, fixe le nouveau cap de son régime après le retrait tonitruant de Donald Trump de l'accord sur le programme nucléaire iranien.
À l'époque, la République islamique est à l'apogée de sa puissance. Ayant écrasé dans le sang une énième révolte populaire sur fond de revendications économiques et politiques, l'Iran, qui a placé l'objectif d'éradication d'Israël au cœur de sa politique étrangère, se sent pousser des ailes. En privé, des Gardiens de la révolution, l'armée idéologique de la République islamique, se vantent de contrôler pas moins de quatre capitales arabes – Bagdad, Damas, Beyrouth et Sanaa – par le biais des groupes paramilitaires – milices chiites, Hamas, Hezbollah, houthis – alliés dans la région. L'« axe de la résistance » à Israël est à son zénith. Mais le 7 octobre 2023 a torpillé ce fragile équilibre.
Les répercussions du 7 Octobre sur l'Iran
« D'après nos renseignements, il n'y a pas eu d'instructions de la part des Iraniens au Hamas pour commettre le 7 Octobre, pointe le général Tamir Hayman, ancien chef des renseignements de l'armée israélienne. Mais indirectement, en fournissant des moyens de combat au Hamas, les gardiens de la révolution lui ont donné la confiance nécessaire pour agir. »
En à peine dix-huit mois, le piège que la République islamique avait patiemment mis en place pendant trois décennies autour de l'État hébreu s'est refermé sur elle-même. Un an et demi après la pire attaque de l'Histoire, l'axe pro-iranien a été décapité. Sous les coups de boutoir de l'armée israélienne, le Hamas est aux abois à Gaza. Le Hezbollah est au tapis au Liban. Et Bachar el-Assad a été renversé en Syrie.

Guide suprême. L’ayatollah Khamenei le 13 juin 2025.
« Coup sur coup, le régime a perdu plusieurs couches de dissuasion qu'il avait construites au cours des vingt dernières années, avec l'affaiblissement de ses groupes islamistes alliés, ainsi qu'une grande partie de son arsenal de missiles balistiques lors des attaques directes qu'il a lancées l'an dernier contre Israël, explique un diplomate occidental. Si bien que désormais, pour assurer la survie du régime, certains responsables iraniens envisagent publiquement un changement de doctrine nucléaire pour aller vers la construction de la bombe. »
Deux semaines pour réunir la matière fissile d'une charge nucléaire
Officiellement, la République islamique, qui est signataire du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), dément rechercher l'arme atomique. Elle dit enrichir de l'uranium sur son sol, un droit garanti par le TNP, à des fins de consommation énergétique interne et de recherche médicale. Mais dans les faits, le régime a repris tambour battant son programme nucléaire à la suite du retrait unilatéral de Donald Trump de l'accord de 2015, dont le respect par l'Iran était pourtant certifié à l'époque par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Téhéran enrichit aujourd'hui de l'uranium à 60 %, plus très loin des 90 %, seuil nécessaire pour une arme nucléaire.
Le 12 juin, l'AIEA a indiqué dans une résolution, pour la première fois en vingt ans, que l'Iran violait ses obligations. D'après les agences de renseignement occidentales, il ne faudrait plus à Téhéran que deux semaines pour réunir assez de matière fissile pour produire une charge nucléaire. Viendrait ensuite la phase de « miniaturisation » de la charge, puis de « vectorisation » sur un missile, qui prendrait entre un an et demi et deux ans. « Pour nous, l'Iran ne peut pas avoir de programme nucléaire qui nous menace, confie une source diplomatique israélienne. Si nous faisons une analogie avec un jeu d'échecs, et que le régime iranien est le “roi”, et le nucléaire, la “reine”, la vraie question est de savoir si, pour sauver le “roi”, l'Iran serait prêt à sacrifier la “reine”. En d'autres termes, il faut savoir si le régime est suffisamment conscient des dangers qu'il court s'il n'accepte pas nos conditions. »
Affaiblie par le poids des sanctions américaines qui étouffent son économie, et dos au mur face à la menace insistante d'une intervention militaire des États-Unis et d'Israël, la République islamique avait fini par céder, en acceptant de négocier avec Donald Trump. Pour l'ayatollah Khamenei, l'humiliation est totale. Benyamin Netanyahou a profité de ce contexte pour lancer son attaque sans précédent contre la République islamique à l'avant-veille de la « réunion de la dernière chance » censée se tenir dimanche 15 juin à Mascate. « Le régime ne s'attendait pas à ce qu'Israël attaque l'Iran tant que ses négociations avec les États-Unis se poursuivaient, pointe Ali Alfoneh, chercheur spécialiste des forces armées iraniennes à l'Arab Gulf States Institute à Washington. Étonnamment, les gardiens de la révolution semblent n'avoir tiré aucune leçon de la destruction quasi totale du Hezbollah libanais par Israël ni de l'assassinat de l'ancien chef du Hamas Ismaïl Haniyeh à Téhéran. »
Le commandement décapité des gardiens de la Révolution
Au-delà des sites nucléaires, c'est l'ensemble du commandement militaire de la République islamique qui a été décapité par Israël. Ancien haut responsable des gardiens de la révolution, Hossein Kanani Moghaddam a été réveillé en pleine nuit par le fracas des drones qui ont éliminé, un par un, la quasi-totalité des membres de l'état-major iranien dans la capitale. « Tous les commandants tués en martyrs étaient mes amis, se désole cet ancien membre du Conseil suprême des pasdaran lors de la guerre Iran-Irak. Avec ce qu'il vient de faire, le régime sioniste a atteint ce qu'on appelle en langage militaire le point de non-retour. C'est-à-dire que nous ne poserons aucune limite à notre vengeance. Israël a ouvert une guerre qui n'a d'autre issue que sa disparition.
La riposte iranienne ne s'est pas fait attendre. Face à l'obsolescence de son aviation, soumise aux sanctions occidentales, la République islamique a développé son propre programme de missiles balistiques ainsi que son industrie de drones militaires. Depuis le 13 juin, les gardiens de la révolution ont tiré vers Israël plusieurs centaines de projectiles en plusieurs vagues. « Le plan initial de l'Iran était de submerger les défenses aériennes israéliennes avec 1 000 missiles et drones aériens, mais l'assassinat ciblé de la direction de la Force aérospatiale des gardiens de la révolution, ainsi que les opérations de sabotage et les attaques de drones réalisées contre les lanceurs de missiles iraniens ont contrarié les objectifs de Téhéran, souligne Ali Alfoneh. De fait, l'Iran n'a finalement répondu qu'avec un tir initial de 200 projectiles, un volume que les défenses antiaériennes israéliennes ont pu gérer. Et cette tendance semble se poursuivre. »
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