Par Mehdi Sekkouri Alaoui,
envoyé spécial à Amsterdam
Enquête Exclusive. Nos espions à l’étrangerenvoyé spécial à Amsterdam
Vrais flics et faux diplomates
Comment la chute d’un agent secret marocain a fait scandale en Hollande, mettant à nu un réseau d’espionnage aux ramifications insoupçonnées.
Lundi 28 septembre 2008. En ce début de soirée, les cafés d’Oost, quartier multiethnique à l’ouest d’Amsterdam à forte présence marocaine, sont quasi déserts. Cela semble être le cas depuis plusieurs jours, déjà. L’explication à cette étrange désaffection tient en une phrase : les révélations fracassantes sur les activités des services de
On infiltre bien la police hollandaise
Flash-back. Nous sommes en mars 2007, les services secrets néerlandais (AIVD, équivalent de la DGST marocaine) envoient une note interne à la direction de la police les informant que deux de leurs membres seraient des collaborateurs des renseignements marocains, la DGED en l’occurrence. La réaction ne se fait pas attendre : la police licencie illico presto Redouane Lemhaouli et Mohamed Ziad pour “violation du secret professionnel” et “manquement au devoir”. Les autorités néerlandaises n’hésitent pas, dans le même temps, à faire part de leur colère à Rabat. Dans la foulée, deux agents secrets, théoriquement rattachés à l’ambassade du Maroc à La Haye, sont priés de quitter le pays sur le champ…
Dans un premier temps, les deux présumés coupables, Redouane Lemhaouli et Mohamed Ziad, encaissent le coup sans broncher. Le premier, dit “Ré”, est brigadier à Rotterdam. Il est devenu, à 38 ans, une célébrité locale connue pour son engagement dans la société civile, notamment auprès des Marocains. Marié à une Hollandaise, cet originaire du Rif marocain, qu’il a quitté très jeune dans les valises de ses parents, était en 1991 un des tout premiers “étrangers” à rejoindre les rangs de la police. Il est un si bon représentant de l’entente maroco-hollandaise, qu’on lui prête un rôle actif dans la préparation de certaines visites effectuées par des délégations néerlandaises au Maroc. Mohamed Ziad, lui, est un enfant de Hay Mohammadi à Casablanca, arrivé en Hollande dans les années 90. Il est préposé bénévole à l’accueil dans un commissariat de quartier de La Haye depuis moins d’un an. Assistant social à la base, Mohamed, la trentaine, milite dans une ONG dont il est le président : l’association des droits des Marocains aux Pays-Bas. Il est connu pour prendre part, comme nous l’ont confirmé plusieurs sources, “aux manifestations revendiquant la marocanité du Sahara”. Ziad, à qui il arrive de collaborer avec des journaux arabophones au Maroc, a par ailleurs la réputation d’être “proche des employés du consulat du Maroc, qu’il fréquente assidûment”.
Fin du premier chapitre.
L’espion et la princesse
L’affaire aurait pu en rester là, sans écho public, si les médias ne s’en étaient pas mêlés. Le 15 septembre, Nova, émission quotidienne phare de la télévision publique néerlandaise, dévoile les barbouzeries supposées du tandem Redouane Lemhaouli - Mohamed Ziad. Le scandale éclate alors au grand jour.
Rencontré dans les studios de Nova dans la région d’Amsterdam, le journaliste Robert Bas nous confie avoir eu beaucoup de mal à boucler son enquête. “Au début du mois de juillet, nous avions eu des informations selon lesquelles un membre de la police de Rotterdam a été licencié pour espionnage. Nous avons alors entamé notre investigation, qui s’est avérée plus longue que prévu du moment que personne ne voulait répondre à nos questions”. Raison de cette omerta : l’affaire des deux policiers d’origine marocaine, qui promet de remonter jusqu’à un haut niveau de l’establishment local, risque d’éclabousser au passage la famille royale néerlandaise. Et pour cause, en février dernier, la princesse Maxima, épouse du prince héritier Willem Alexander, présidait une cérémonie de remise des diplômes à 57 jeunes immigrés. L’opération, un coup de marketing pour l’intégration des populations immigrées, est parrainée… par un certain Redouane Lemhaouli, épaulé par Mohamed Ziad. Le jour de la remise des diplômes, donc, la princesse trône au milieu d’un parterre de haut rang (le ministre de la Jeunesse et de la Famille, le chef d’état-major des armées, l’ambassadeur du Maroc aux Pays-Bas, etc), parmi lequel s’est glissé Lemhaoudi. Sans oublier Ziad, confortablement installé parmi le public. Séduite par ce programme de réinsertion mis sur pied par “Ré”, la princesse va jusqu’à accepter de le parrainer en le baptisant “Projet Maxima”. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que “Ré”, et son ami “Momo”, feraient l’objet de la fameuse note des services néerlandais quelques semaines plus tard…
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