«Le musulman est tolérant ou n’est pas»
Frédéric Koller

Ahmed al-Tayyeb (à gauche) avec le patriarche copte, Shenouda III, après l’attentat à Alexandrie. (AFP)
Le principal guide spirituel de l’islam sunnite, le grand imam de l’Université Al-Azhar du Caire Ahmed al-Tayyeb, s’exprime sur les événements tunisiens, le suicide, la coexistence entre christianisme et islam ainsi que la présence musulmane en Europe. Entretien exclusif
Ahmed al-Tayyeb est considéré comme un homme modéré. Mais le 44e grand imam de l’Université Al-Azhar, principale référence de l’islam sunnite dont le siège est au Caire, sait aussi hausser le ton. Jeudi, par communiqué, il annonçait le gel d’un dialogue bisannuel avec le Vatican en geste de protestation contre les propos du pape Benoît XVI qui s’était inquiété, en début d’année, du sort des chrétiens d’Orient suite aux attentats visant cette communauté en Irak et en Egypte. Il emboîte ainsi le pas au gouvernement égyptien qui avait déjà rappelé son ambassadeur au Vatican pour signifier sa mauvaise humeur face à ce qu’il considère comme une ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures.
Nommé en mars dernier par le président Hosni Moubarak pour reprendre la direction d’une institution plus que millénaire, Ahmed al-Tayyeb représente l’un des piliers du pouvoir avec la tâche difficile de promouvoir l’islam tout en neutralisant ses courants plus radicaux comme celui des Frères musulmans. Très respecté en Egypte, sa crédibilité est contestée par certains du fait de sa proximité avec le pouvoir. Agé de 64 ans, il a étudié en France et connaît bien l’Europe.
Le grand imam Ahmed al-Tayyeb nous a reçu dans la grande salle d’audience de l’Université Al-Azhar pour un entretien exclusif en début de semaine. Là, sous le portrait tutélaire du président égyptien, de nombreuses personnes patientent pour aborder le grand cheikh. Trois conseillers intervenant dans la traduction et des sollicitations incessantes ne nous ont permis, dans un premier temps, de ne poser que deux questions en plus d’une heure. Affable, le grand imam nous a fixé un second rendez-vous le lendemain matin pour terminer l’entretien.
Le Temps: Lundi et mardi, trois personnes se sont immolées, dont deux devant le parlement. Comment expliquer ce geste? Est-ce une protestation traditionnelle dans l’islam puisqu’il y a aussi des cas en Tunisie, en Algérie et en Mauritanie ces jours-ci?
Ahmed al-Tayyeb:On ne peut pas faire de parallèle entre l’Egypte et la Tunisie car les situations sont très différentes. En Tunisie, le peuple a été occidentalisé, coupé de sa culture et de son identité arabe et musulmane. Ce n’est pas le cas en Egypte. Par exemple, la règle de l’héritage tel que décrit par la charia et le Coran, et qui fait l’objet d’un consensus chez les musulmans, a été déformée (en Tunisie). Il en va de même avec l’interdiction du voile dans les rues et les lieux publics. Ainsi l’Université Zitouna – qui avait une place éminente dans l’histoire de l’islam – a été piétinée par le régime tunisien. L’état des libertés ne correspondait pas aux attentes du peuple tunisien. Les médias évoquent beaucoup la corruption et la concentration des richesses nationales au profit d’une élite. La loi de l’histoire veut que, dans ces circonstances, le peuple se soulève pour obtenir des améliorations.
L’Egypte est très différente. Nous n’avons pas vécu cette occidentalisation et une telle remise en cause de notre civilisation. Al-Azhar continue de jouer son rôle et transmet son message sur la charia islamique. C’est intouchable. Nous n’avons pas interdit le voile. Beaucoup de femmes préfèrent rester dévoilées et ce n’est pas un problème. Al-Azhar émet ses conseils et l’Etat n’intervient pas sur leur tenue vestimentaire. C’est libre. L’Etat est à nos côtés pour diffuser l’islam correct, la culture islamique modérée et les règles de la charia comme la miséricorde et l’aide au peuple. Il y a bien sûr des différences de classes et de niveau de vie. Comme partout. En Egypte, c’est le résultat de quatre guerres – entre 1948 et 1973 – et d’une très forte croissance démographique. Mais, ici, tout le monde sait que le gouvernement travaille jour et nuit pour vaincre ces problèmes.
Voilà pourquoi la comparaison faite par quelques-uns entre ce qui s’est passé en Tunisie et la situation de l’Egypte est vide de tout sens. Je ne peux pas juger du cas de l’immolation à Tunis, il y a des circonstances psychologiques qui ont peut-être poussé cette personne à cet état de fragilité mentale. Mais je peux dire que l’islam interdit absolument qu’un homme ayant sa raison utilise le suicide pour exprimer sa colère. Cette mode de l’immolation chez les jeunes, l’islam l’interdit complètement.
Frédéric Koller

Ahmed al-Tayyeb (à gauche) avec le patriarche copte, Shenouda III, après l’attentat à Alexandrie. (AFP)
Le principal guide spirituel de l’islam sunnite, le grand imam de l’Université Al-Azhar du Caire Ahmed al-Tayyeb, s’exprime sur les événements tunisiens, le suicide, la coexistence entre christianisme et islam ainsi que la présence musulmane en Europe. Entretien exclusif
Ahmed al-Tayyeb est considéré comme un homme modéré. Mais le 44e grand imam de l’Université Al-Azhar, principale référence de l’islam sunnite dont le siège est au Caire, sait aussi hausser le ton. Jeudi, par communiqué, il annonçait le gel d’un dialogue bisannuel avec le Vatican en geste de protestation contre les propos du pape Benoît XVI qui s’était inquiété, en début d’année, du sort des chrétiens d’Orient suite aux attentats visant cette communauté en Irak et en Egypte. Il emboîte ainsi le pas au gouvernement égyptien qui avait déjà rappelé son ambassadeur au Vatican pour signifier sa mauvaise humeur face à ce qu’il considère comme une ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures.
Nommé en mars dernier par le président Hosni Moubarak pour reprendre la direction d’une institution plus que millénaire, Ahmed al-Tayyeb représente l’un des piliers du pouvoir avec la tâche difficile de promouvoir l’islam tout en neutralisant ses courants plus radicaux comme celui des Frères musulmans. Très respecté en Egypte, sa crédibilité est contestée par certains du fait de sa proximité avec le pouvoir. Agé de 64 ans, il a étudié en France et connaît bien l’Europe.
Le grand imam Ahmed al-Tayyeb nous a reçu dans la grande salle d’audience de l’Université Al-Azhar pour un entretien exclusif en début de semaine. Là, sous le portrait tutélaire du président égyptien, de nombreuses personnes patientent pour aborder le grand cheikh. Trois conseillers intervenant dans la traduction et des sollicitations incessantes ne nous ont permis, dans un premier temps, de ne poser que deux questions en plus d’une heure. Affable, le grand imam nous a fixé un second rendez-vous le lendemain matin pour terminer l’entretien.
Le Temps: Lundi et mardi, trois personnes se sont immolées, dont deux devant le parlement. Comment expliquer ce geste? Est-ce une protestation traditionnelle dans l’islam puisqu’il y a aussi des cas en Tunisie, en Algérie et en Mauritanie ces jours-ci?
Ahmed al-Tayyeb:On ne peut pas faire de parallèle entre l’Egypte et la Tunisie car les situations sont très différentes. En Tunisie, le peuple a été occidentalisé, coupé de sa culture et de son identité arabe et musulmane. Ce n’est pas le cas en Egypte. Par exemple, la règle de l’héritage tel que décrit par la charia et le Coran, et qui fait l’objet d’un consensus chez les musulmans, a été déformée (en Tunisie). Il en va de même avec l’interdiction du voile dans les rues et les lieux publics. Ainsi l’Université Zitouna – qui avait une place éminente dans l’histoire de l’islam – a été piétinée par le régime tunisien. L’état des libertés ne correspondait pas aux attentes du peuple tunisien. Les médias évoquent beaucoup la corruption et la concentration des richesses nationales au profit d’une élite. La loi de l’histoire veut que, dans ces circonstances, le peuple se soulève pour obtenir des améliorations.
L’Egypte est très différente. Nous n’avons pas vécu cette occidentalisation et une telle remise en cause de notre civilisation. Al-Azhar continue de jouer son rôle et transmet son message sur la charia islamique. C’est intouchable. Nous n’avons pas interdit le voile. Beaucoup de femmes préfèrent rester dévoilées et ce n’est pas un problème. Al-Azhar émet ses conseils et l’Etat n’intervient pas sur leur tenue vestimentaire. C’est libre. L’Etat est à nos côtés pour diffuser l’islam correct, la culture islamique modérée et les règles de la charia comme la miséricorde et l’aide au peuple. Il y a bien sûr des différences de classes et de niveau de vie. Comme partout. En Egypte, c’est le résultat de quatre guerres – entre 1948 et 1973 – et d’une très forte croissance démographique. Mais, ici, tout le monde sait que le gouvernement travaille jour et nuit pour vaincre ces problèmes.
Voilà pourquoi la comparaison faite par quelques-uns entre ce qui s’est passé en Tunisie et la situation de l’Egypte est vide de tout sens. Je ne peux pas juger du cas de l’immolation à Tunis, il y a des circonstances psychologiques qui ont peut-être poussé cette personne à cet état de fragilité mentale. Mais je peux dire que l’islam interdit absolument qu’un homme ayant sa raison utilise le suicide pour exprimer sa colère. Cette mode de l’immolation chez les jeunes, l’islam l’interdit complètement.
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