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L' Etat Face A L'epreuve Des Islamistes

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  • L' Etat Face A L'epreuve Des Islamistes

    Entretien avec Mohamed El Ayadi, universitaire spécialiste des Mouvements islamistes
    Propos recueillis par Abdellatif MANSOUR

    Mohamed El Ayadi est de ceux qui pensent qu'une nation ne peut se réduire au PIB, au PNB, à l'humeur de la Bourse et à la polémique intéressée sur des privatisations. Il pense qu'une nation c'est aussi, peut-être même surtout, les courants de pensée qui la traversent et les lames de fond qui peuvent la secouer. Depuis 1977, la mouvance islamiste constitue son domaine de recherche.

    Philosophe de formation, il transite par la sociologie de l'éducation avant d'opter pour l'histoire de la pensée.

    Après un troisième cycle sur le "modèle social à travers le discours scolaire, soutenu" en 1983 à la Sorbonne, il présente une "habilitation" (doctorat d'Etat) à Paris VIII, en 1996, sur le thème "Religion, société et politique, dans le Maroc contemporain".

    Mohamed El Ayadi a publié plusieurs articles portant sur la question islamiste, dans des revues spécialisées telle "L'homme et la société" dirigée par René Galissot. Il a également participé à des ouvrages collectifs dont "penseurs Maghrébins contemporains".


    Voyant pour une fois comment un vrais specialiste analyse la situation et comment il definit les choses.
    Ne serait ce que pour changer un peu des psoeudos experts qui jailissent de tous les cieux et qui ont meme ete cités dans l'interview

  • #2
    Maroc-Hebdo: Il semble que "l'islamologie" soit devenue une mode intellectuelle qui se"vend" bien. Qu'en pensez-vous, vous qui êtes chercheur, versé dans ce domaine depuis des années?

    - Mohamed El Ayadi: En fait, l'islamologie couvre un domaine qui va au delà de la trame événementielle de ces dernières années. L'islamologie est plus ancienne. Elle touche à plusieurs champs d'investigation. Elle prend plusieurs directions pour une meilleure connaissance de la pensée et du mode de vie islamique. Par contre, le phénomène de mode est plus récent. Il date de l'arrivée de Khomeiny au pouvoir en Iran.

    Cette mode se réduit-elle à un créneau opportun qui permet à des intellectuels arabo-musulmans d'être reçus dans les cénacles universitaires occidentaux?

    - C'est vrai dans les deux sens. Car ce créneau a également permis à des chercheurs occidentaux, mais aussi à des amateurs d'histoire, d'aborder ou de revisiter un domaine en prise directe avec le factuel politique. Et il faut bien le dire, l'islamologie à la sauce occidentalo-amateur a beaucoup nui à l'image de l'Islam. Elle a propagé des clichés erronés et suscité des réflexes négatifs.

    C'est donc si grave que ça?

    - C'est doublement grave. D'abord, pour le savoir et la connaissance. Mais aussi au plan politique, dans la mesure où certains de ces soi-disant "spécialistes" de l'Islam, deviennent des conseillers attitrés et écoutés auprès des chancelleries concernées ou intéressées par le phénomène islamiste.

    Les actions terroristes imputées aux intégristes auraient donc provoqué une sorte de connexion entre l'université et la rue. Et cette connexion aurait donc été préjudiciable à l'image de l'islam?

    - Cette connexion est normale, elle est même souhaitable, dans la mesure où l'université se doit de répondre aux interrogations légitimes d'une population touchée dans sa vie quotidienne par le phénomène intégriste. Ce qui n'est pas normal, ce sont les approches approximatives.

    Pouvez-vous être plus précis?

    - A titre d'exemple, on a opposé Islam et modernité, on a parlé de 'brutale de la jeunesse à l'Islam' et de 'de l'Islam'. La vérité est qu'il y a eu un retour du politique dans le champ religieux, et un retour en force de la référence religieuse dans le champ politique.

    Dans cette déferlante islamiste, à travers le monde arabo-islamique, est-ce qu'on peut parler d'un particularisme ou d'une exception marocaine?

    - Dans le phénomène islamiste, il faut faire la distinction entre l'aspect général et l'aspect particulier. Dans tous les pays touchés par la vague islamiste, on se réfère à un fond orthodoxe commun.

    Plus concrètement.

    - Si vous prenez les écrits islamistes égyptiens, tunisiens, algériens, pakistanais, soudanais ou marocains, vous trouverez qu'ils puisent dans la même source et développent le même type d'argumentaire. Ceci dit, le phénomène islamiste prend des manifestations différentes, emprunte des voies et des moyens différents, selon les réalités politiques et sociologiques de chaque pays.

    Qu'est-ce qui nous revient, à nous marocains, dans cet aspect particulier du phénomène?

    - Historiquement, l'islam a toujours été sollicité dans le débat politique. Il en a même constitué le moteur en tant que donnée permanente.

    Avez-vous des exemples précis?

    - Un exemple parmi d'autres. La destitution de Moulay Abdelaziz et l'intronisation de Moulay Hafid a été faite au nom de l'Islam.

    Où se situe, dans cet exemple, l'intrusion de l'élément religieux?

    - Moulay Hafid a été porté au trône en tant que sultan du Jihad contre la menace coloniale. Une fonction que Moulay Abdelaziz, pensait-on à l'époque, n'assumait pas.

    Est-ce la vérité historique?

    - En histoire, comme dans d'autres domaines, il n'y a pas de vérité définitive, mais une relecture permanente. Il y a quelques années, Abdellah Laroui, historien connu, organisait à Mohammédia un colloque sous le thème 'Maroc sous le règne de Moulay Abdelaziz', où celui-ci a été présenté comme le symbole d'un projet de modernité. Un projet avorté de modernité, à cause des résistances des ouléma.

    ....

    Pourquoi et comment un 'contestataire' est-il apparu, depuis quelques années, face à ce que l'on pourrait appeler un "d'État"?

    - Plus qu'un Islam d'État, on peut parler d'un "d'État". Dans le contexte des années 1970, un contexte de confrontation entre le pouvoir et l'opposition de gauche, "fondamentalisme d'État" s'est manifesté avec une vigueur renouvelée. La référence religieuse dans le discours politique officiel est devenue plus forte et quasi systématique.

    Sur quoi porte la contestation islamiste qui s'oppose à ce "d'État"?

    - Sur le plan doctrinal, il n'y a ni différence ni même nuance. La contestation se situe au niveau politique. Les islamistes considèrent que l'utilisation politicienne de l'Islam ne peut pas être confondue avec une politique qui traduit la lettre et l'esprit de l'Islam.

    La mouvance islamiste contestataire est-elle homogène?

    - On peut distinguer dans cette mouvance deux courants principaux: il y a ceux qui situent le problème, essentiellement, au niveau des structures politiques et il y a ceux qui pensent que le mal est à chercher d'abord au sein même de la société. Pour les premiers, le changement doit être d'ordre politique. Pour les seconds, l'action doit porter sur le corps social à "rééduquer" dans le sens d'un plus grand attachement aux préceptes de l'Islam.

    Qui représente chacune de ces deux tendances?

    - En gros, "Adl wa Lihsan" de Abdeslam Yassine représente la première tendance et "Islah wa Attajdid" de Abdelilah Benkirane, représente la seconde tendance. Il est maintenant connu que la première tendance est plus radicale que la seconde.

    Vous, qui utilisez ces concepts, quelle est la nuance sémantique entre fondamentalisme, islamisme et intégrisme?

    - Le fondamentalisme s'inscrit dans une tradition réformiste qui ne récuse pas la modernité, par contre, le courant islamiste estime qu'il y a incompatibilité totale entre l'Islam et la civilisation moderne. Sayed Qotb, leader islamiste pendu par Jamal Abdenasser, tout comme Abdeslam Yassin, parlent de la " du 20ème siècle", à propos de la civilisation moderne.

    Abdeslam Yassine est donc un islamiste avéré, est-il pour autant un intégriste?

    - L'intégrisme est le type même de terme intrus, emprunté à l'histoire du christianisme. Ceci dit, il n'est pas nécessaire d'être intégriste pour prêcher la violence. Dans le courant islamiste, il y a ceux qui appellent à l'action violente, et il y a ceux qui privilégient l'action politique pacifique.

    ....

    Quel est d'après vous le projet politique des islamistes?

    - Le projet politique de tout islamiste, qu'il soit violent ou pas, est d'instaurer un régime islamiste. C'est aussi simple que ça. D'ailleurs Abdeslam Yassine, dans son dernier livre "avec les vertueux démocrates", pose le problème du changement politique. Il expose la voie pacifique et la manière violente, au choix.

    ...

    Y-a-t-il une responsabilité de l'école dans la découverte de "islamistes"?

    - Dans la conjoncture de confrontation politique qui a caractérisé les années 1970 on a assisté à un retour en force de l'enseignement religieux, dans les programmes scolaires. On avait alors considéré que la jeunesse était exposée à un danger idéologique externe et on avait entrepris ce que j'appellerai une "des esprits", avec toute une logistique pédagogique appropriée.

    Comment cela s'est-il traduit concrètement?

    - Le meilleur exemple est celui des manuels scolaires, sur lesquels j'ai personnellement travaillé pour les besoins d'une thèse sur le discours scolaire. On trouve dans ces manuels des chapitres qui ne diffèrent en rien des publications islamistes: l'exégèse du modèle islamiste, le dénigrement du monde occidental, la critique du libéralisme économique et de l'institution bancaire accusée de pratiques usurières, la condamnation du contrôle des naissances, jugé antireligieux. En somme, un contenu aux antipodes de la politique officielle de l'État et de la réalité. Ces chapitres n'ont été retirés des manuels que depuis la dernière rentrée scolaire de 1996-97. Après presque 20 ans d'enseignement à partir de ces manuels.

    Il ne s'agit tout de même pas de demander à ce que l'école soit désislamisée, en pays d'Islam?

    - Il ne s'agit pas de laïciser, encore moins de désislamiser l'école, mais de dépolitiser le contenu de l'enseignement.

    ....

    Les islamistes font-ils partie des enjeux de la transition démocratique en préparation?

    - Ils en font partie pour deux raisons. D'abord, ils existent et il faut bien faire avec eux, d'une manière ou d'une autre. Ensuite, le drame algérien est présent dans tous les esprits. Le problème avec les islamistes est qu'ils ne semblent embrasser la démocratie que pour mieux l'étouffer. L'expérience a prouvé qu'on ne peut leur faire confiance quand ils jurent de respecter les règles du jeu démocratique. En fait, les islamistes reconnaissent les vertus d'un système dont ils ne sont pas convaincus. Le problème pour les responsables est le suivant: comment permettre à la sensibilité islamiste de s'exprimer tout en la contenant dans des limites contrôlables.

    Si l'on fait la hiérarchie des slogans, est-ce que vous metteriez ceux des islamistes en premier?

    - Il est un fait que les slogans islamistes ont déclassé tous les autres. Ils sont actuellement les plus porteurs, les plus mobilisateurs. Les islamistes proposent leurs prêches et leurs services, partout où il y a un déficit des pouvoirs publics, des partis ou des associations caritatives non-islamistes. L'action sociale est leur terrain de prédilection. Ils l'ont complètement investi en Égypte, ils en ont fait leur tremplin en Algérie et ils y sont présents au Maroc. Mais le terreau de la misère n'est qu'un facteur parmi d'autres. Il peut être nécessaire, mais pas suffisant pour expliquer le phénomène.

    L'integralité de l'interview

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