La chanson kabyle, comme la musique algérienne en général, a longtemps souffert de la médiocrité de ses textes, et parfois même de sa musique. Durant la crise politique et économique que l’Algérie a traversée pendant plus de dix longues années, les Algériens, notamment les jeunes, cherchaient beaucoup plus à se défouler et oublier la situation désastreuse dans laquelle ils vivaient que de la belle musique avec des textes intéressants et des belles mélodies. Les mélomanes avaient mal au cœur quand certains «artistes» faisaient salle comble au moment où d’autres plus «poétiques» peinaient à réunir le quart de la salle. La situation sécuritaire de l’époque était telle qu’aucun artiste étranger ne venait animer des spectacles pour les amoureux de la belle musique.

Mais au beau milieu de ce champ de médiocrité, il y avait des jeunes artistes qui luttaient contre vents et marées pour faire passer leurs musiques et leurs textes, mais en vain. Il faut dire que ce n’était pas facile quand les éditeurs, à quelques exceptions près, ne prenaient que ce qui est «vendable». Certains ont lâché prise alors que d’autres ont décidé de résister en traversant la Méditerranée.

Parmi ces artistes, Hocine Boukella, plus connu sous le nom d’artiste de Cheikh Sidi Bémol, a fait sensation dès ses premiers enregistrements. Et ce n’était pas chose facile à un moment où la chanson légère et festive était dominante, y compris au sein du public. Mais l’idée de ce fils de Bouzeguène, à plus de 60 kilomètres à l’est du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou, était de s’amuser et de faire ce qu’il aime avant tout. C’était un pari difficile d’autant plus Cheikh Sidi Bémol avait opté pour un style d’un mélange particulier. Une fusion entre modernité et tradition mais surtout entre gnawi, ghaabi, blues, rock et celte. Un mélange explosif qui a donné de très beaux morceaux et beaucoup de plaisir aux oreilles des mélomanes.

Aurait-il réussi s’il n’y avait pas cette ouverture vers l’extérieur qui lui a permis ce mélange extraordinaire ? Cheikh Sidi Bémol a réussi à surfer sur les vagues de la mondialisation en donnant à la culture algérienne une dimension universelle, avec ce mélange de styles mais aussi des langues puisqu’il arrive à manier le kabyle, l’arabe algérien, le français et l’anglais avec des textes poétiques mais aussi critiques et humoristiques avec lesquels il dépeint la société algérienne. Et comme ce mélange ne lui suffisait pas, l’artiste continuera son exploration de l’univers musical en inventant le gourbi rock en 2007 avant de se mettre une année plus tard aux chants des marins kabyles, présentés a cappella et réalisés avec un poète et écrivain kabyle établi en France, en l’occurrence Ameziane Kezzar.

C’est ce mélange de styles et de cultures qui commence à connaître un essor dans la chanson kabyle, même si cela n’a pas été aussi évident au début a faire sortir la chanson kabyle de sa routine festive. Une sorte de retour vers la musique des années soixante-dix qui brillait à volonté grâce à des artistes comme Idir, Les Abranis ou Djamel Allam.

Aujourd’hui, des jeunes artistes ont repris le flambeau de la musique moderne kabyle et, au même moment que Cheikh Sidi Bémol, un autre artiste, un talent exceptionnel, fait parler de lui depuis quelques années.

Il s’agit bien entendu du jeune Ali Amran qui a eu besoin de beaucoup de temps pour se frayer un chemin sur la scène artistique dominée à l’époque par la médiocrité. Ses études d’anglais et de tamazight à l’université de Tizi Ouzou «reflètent la double perspective d’Ali, penché sur ses racines et
ouvert sur l’autre», dit l’auteur de sa biographie publié sur son site qui rappelle aussi que «le voyage s’impose très vite à lui ; de Tanger à Helsinki, en passant par Barcelone, Amsterdam et autres cités-muses, il nourrit sa quête esthétique en posant l’artiste engagé en citoyen du monde. Chemin faisant, sa musique s’imprègne de nouvelles couleurs, toujours plus libre». Tout au long de son parcours artistique qui a commencé en 1994 avec son titre Adu (Le Vent), Ali Amran s’est mis à la recherche de la perfection mais aussi de l’universel. De Amsebrid en 1998 à son dernier album Akk’i d amur en passant par son fameux Khali Sliman, cet artiste qui a donné un nouveau souffle à la musique kabyle, a su «distiller un savant mélange de genres qui fait l’originalité de sa musique».

Un mélange qui l’a mené naturellement vers l’univers de la pop-rock et surtout du folk-rock qui ont bercé son adolescence.

Une quinzaine d’années de scènes et d’enregistrements pour servir à ses fans, de plus en plus nombreux, un véritable bijou artistique qu’est l’album Akk’i d amur.

Bien entendu, Ali ne compte pas en rester là puisqu’il reste toujours à la recherche de l’excellence et, dans cette démarche, il sera bien aidé par la réaction d’un public qui quitte petit à petit les chansonnettes et le grand n’importe quoi.

Par La Tribune